« Du champ à la bouteille », Quentin Sicard distille l’essence des céréales
Quentin Sicard est distillateur. Après plus de dix ans à travailler dans le cognac, cet ingénieur agronome de formation a lancé, il y a quatre ans, sa distillerie artisanale, grâce à laquelle il espère redonner ses lettres de noblesse aux gins, vodkas, whiskys et autres spiritueux.

«Du champ à la bouteille. » C’est l’ambition que nourrit Quentin Sicard. En 2021, il ouvre sa distillerie artisanale, La Distillerie des Volcans, à Brassac-les-Mines, à l’extrême sud du Puy-de-Dôme. Après avoir travaillé dans le cognac, au Chili et aux États-Unis, l’enfant originaire de Tallende (Puy-de-Dôme) revient en terres auvergnates. Plus qu’un retour à la terre, c’est un retour vers l’eau des volcans qu’opère le jeune bouilleur. « Le premier ingrédient des spiritueux reste l’eau. Elle doit être la plus pure possible pour diluer les alcools à la sortie de l’alambic, sans altérer les saveurs. »
La production d’alcool, une affaire pas toujours très claire
L’ingénieur agronome et œnologue s’est passionné pour la distillation à travers ses expériences professionnelles passées, avec pour ambition de redorer l’image de ces alcools majoritairement produits de façon industrielle, en revenant à des recettes artisanales. « Dans les années 1950, on comptait plusieurs centaines de distilleries artisanales en Auvergne. La hausse des taxes sur l’alcool, les a fait disparaître au profit de l’industrie. » S’ajoute, à cela, un encadrement européen de la production particulièrement flou. « Les alcools sans appellation (à l’inverse du cognac et du calvados par exemple) peuvent être produits à l’autre bout de la planète et embouteillés n’importe où dans la région et se revendiquer comme un produit régional… C’est tromper le consommateur, mais en toute légalité, puisque le droit européen le permet, à partir du moment où vous payez les taxes. De même, il n’y a pas de formation spécifique pour se revendiquer distillateur. » Ce système, Quentin Sicard le rejette. Depuis le début de son activité, il met un point d’honneur à travailler des matières premières locales ou a minima françaises. « Il n’y a que la mélasse de canne à sucre, pour la fabrication de rhum, qui vient du Paraguay. J’ai essayé de m’approvisionner dans les îles françaises, mais la canne à sucre est entièrement transformée sur place. »
Trouver des matières premières
Les savoir-faire de la distillation ont survécu, mais pas la production des matières premières. C’est ce qui fait défaut à la démarche de Quentin Sicard. La production du whisky, par exemple, demande une variété d’orge bien particulière, la lauréate. Absente des terres auvergnates, elle n’est cultivée que sur quelques milliers d’hectares en France et sous contrat. « J’achète l’orge déjà maltée aux Malteries Soufflet. Je n’ai pas le choix. » À l’impossible, nul n’est tenu. L’ingénieur agronome, en partenariat avec la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, a donc entamé des essais chez un agriculteur biologique, non loin de la distillerie. Il espère ainsi relancer la production de cette orge brassicole pour produire un whisky 100 % puydomois. La tâche est en revanche plus ardue pour d’autres recettes. Le gin et la vodka doivent ainsi être produits à partir d’alcool surfin, issu de la distillation de céréales et très normé. « C’est un alcool neutre à 96 °C minimum. Il évite d’obtenir des eaux-de-vie frelatées (présence anormale d’éthanol - NDLR) dangereuses pour la santé. » Le gin est obtenu à partir de cet alcool, après une macération de baies de genévrier et de verveine citronnée. Quentin Sicard travaille avec la coopérative agricole puydomoise de producteurs de plantes à parfum aromatiques et médicinales (Sicarappam) pour ces deux ingrédients, garantissant une provenance régionale. «
D’autres artisans font venir ces baies d’Italie pour à peine 10 €/kg. Je préfère payer plus cher, mais avoir un ingrédient de qualité et surtout français. » Le pari est osé mais judicieux. Le gin de Quentin Sicard a été médaillé d’argent au dernier concours général agricole (CGA), ainsi qu’au Frankfurt International Trophy. Quant aux fruits nécessaires à l’élaboration des liqueurs, là encore, le département du Puy-de-Dôme offre peu de possibilités. Alors Quentin, rejoint l’année dernière par sa compagne Sophie Parayre, projette de produire lui-même ses matières premières. « Dans l’idéal, nous aimerions acquérir du foncier, ou une ferme, pour cultiver nos céréales et planter des vergers. Ou alors tisser un partenariat avec un ou des agriculteurs du département. Ce n’est encore qu’à l’état de réflexion. »
L’alambic, la pièce maîtresse de tout distillateur
Les prémices de ce projet de paysan distillateur viennent d’accéder à la finale des « Trophées des Terroirs », organisés par l’association Le Tour des Terroirs pour promouvoir les initiatives des professionnels de la restauration, producteurs, artisans et fabricants de boissons de France. Le distillateur puydomois pourrait ainsi recevoir un joli coup de pouce s’il parvient à remporter ce concours.
L’alambic est la clé de voûte de toute distillerie. Celui de Quentin Sicard trône fièrement au centre de la pièce. Il a été le premier investissement du jeune distillateur. Réalisé sur-mesure « par un meilleur ouvrier de France », tout en cuivre, il représente à lui seul un tiers des 300 000 € investis pour l’ouverture de la distillerie. Grâce à cet outil, Quentin extrait l’essence des malts de céréales, transforme le sucre en alcool, concentre les saveurs les plus fines. Ses gestes sont similaires à ceux pratiqués par nombre d’hommes avant lui, dès 3 500 av. J.-C. « La distillation a été importée en Europe depuis les pays d’Afrique du Nord. Alambic est d’ailleurs un mot arabe. »
Entre 5 000 et 6 000 bouteilles sont produites chaque année dans son atelier, durant cinq mois de l’année à raison de 120 heures par semaine. « Quand on commence, on ne peut pas arrêter. » Gin, vodka, whisky, pur malt, rhum, eaux-de-vie et liqueurs composent son catalogue décliné autour de trois marques : Les Scories, des spiritueux de qualité premium ; la Liquoristerie pour les liqueurs ; et Éruption, des spiritueux aux prix plus accessibles. L’ensemble de ses produits est vendu en direct, à des restaurateurs ou des cavistes.
La distillation n’est qu’une étape du process. Si gin et vodka peuvent être embouteillés directement, ce n’est pas le cas du whisky, dont 36 mois de garde en fût de chêne minimum sont obligatoires, sans quoi la boisson ne peut revêtir son nom. « J’ai produit mes premiers whiskys entre février et mars 2022. Ils vont sortir pour la fin d’année 2025. » Tout vient à point à qui sait attendre.
Mélodie Comte