Droits et devoirs liés à l’entretien des cours d’eau
Entre la peur d’être « hors la loi », l’impression qu’on leur en demande toujours plus et la superposition des réglementations, il est difficile pour les agriculteurs riverains d’aborder sereinement l’entretien des cours d’eau. Pour y voir plus clair, une formation sur cette gestion a été organisée par la chambre d’agriculture de l’Ardèche, jeudi 16 octobre, à Davézieux.
Octobre 2024. C’est à cette date que remonte une crue encore présente dans les esprits de nombreux Ardéchois, notamment des agriculteurs riverains, qui s’en souviennent comme si c’était hier. Si l’exploitation de Silvain Laprat, située aux abords de l’Eyrieux à Saint-Laurent-du-Pape, s’est remise des dégâts de l’an passé, l’agriculteur se remémore une autre crue, survenue il y a plus de vingt ans, qui a bien failli le détourner à jamais de ce métier. « Les inondations m’ont marqué plus jeune, quand mon père a perdu plus de dix hectares en quelques crues. Il avait essayé de renforcer les berges avec des cailloux, mais c’était inutile et interdit. Alors, on a planté des bambous, des saules, mais en une seule crue, tout a été arraché. L’enrochement, lui, coûte bien trop cher », témoigne l’agriculteur. « L’Eyrieux, c’est un torrent. Lors de la dernière crue, le débit a atteint près de 1 280 m³ par seconde, soit le niveau moyen du Rhône », ajoute-t-il. Selon lui, « aucun verger ni terre agricole n’est protégé par des digues. Il faudrait pouvoir enlever les îlots et les arbres qui obstruent le lit de la rivière, surtout près des ponts. Autrefois, on retirait le sable à certains endroits stratégiques pour canaliser les crues. Aujourd’hui, on ne peut plus rien faire, et ce n’est pas en coupant un arbre qu’on détruit la biodiversité : quand la rivière déborde, elle arrache tout : arbres, berges et écosystèmes. Et ce sont les agriculteurs qui subissent les premiers dégâts », poursuit-il. Car les agriculteurs observent, au premier rang, les effets visibles du changement climatique. Entre les réglementations complexes, d’anciens ouvrages obsolètes et l’érosion progressive des campagnes laissant certains tronçons de cours d’eau à l’abandon, cette journée de formation a pour objectif de déconstruire les idées reçues et de mieux faire comprendre ce que signifie la responsabilité des agriculteurs riverains. « La loi sur l’eau n’a pas vocation à interdire. L’idée que l’on ne peut plus rien faire est une légende. Nous sommes là pour montrer que chaque action a un impact et, qu’à ce titre, il convient de les prendre en considération pour définir des projets adaptés et cohérents aux enjeux locaux », explique Jean-Luc Masmiquel, chargé de mission eau et biodiversité à la DDT et animateur de la formation. « La loi sur l’eau vise à concilier les usages : eau potable, irrigation, biodiversité, loisirs, activités industrielles, etc. Modifier un cours d’eau nécessite de comprendre son fonctionnement hydraulique et sa dynamique d’écoulement. Seules les structures compétentes, comme les syndicats de rivière ou la police de l’eau, disposent de cette vision d’ensemble. Même si les projets partent souvent d’une bonne intention, leurs porteurs n’ont pas toujours cette approche globale. »
Qu’est-ce qu’un cours d’eau ?
Selon le Code de l’environnement, un cours d’eau se caractérise par trois critères principaux : l’existence d’une source, d’un lit mineur et d’un débit suffisant la majeure partie de l’année. L’ensemble du linéaire étant considéré comme un cours d’eau. Un cours d’eau en bonne santé s’accompagne, le plus souvent, d’une bande tampon, végétalisée, souvent boisée, appelé ripisylve et dont le rôle est essentiel au cours d’eau.
Le rôle de la ripisylve
« Les arbres stabilisent les berges et délimitent le cours d’eau. Ils apportent de l’ombre, limitant la hausse des températures et l’eutrophisation de l’eau », précise Jean-Luc Masmiquel. Ils créent aussi des refuges et des corridors écologiques pour les poissons, les batraciens et les oiseaux, tandis que leurs racines filtrent le ruissellement et la pollution. « Le maintien de la ripisylve est crucial pour le bon fonctionnement des cours d’eau », ajoute-t-il. Pour l’entretien, le propriétaire peut procéder à l’élagage ou au retrait des embâcles et branchages, qui ne sont pas soumis à la loi sur l’eau, mais doivent respecter les règles du Code de l’environnement, notamment celles protégeant la nidification des oiseaux. L’inquiétude d’être « hors-la-loi » s’éveille alors à nouveau chez certains agriculteurs, confrontés à la superposition des réglementations. « C’est hyper complexe d’intervenir : certains sortent les tractopelles la nuit ou par temps de brume. Il faut bien nettoyer », confie une agricultrice. Le chargé de mission de la DDT rassure cependant : « L’administration rappelle et applique la réglementation mais fixe aussi les priorités selon les enjeux ».
Et pour éviter tout quiproquo, les syndicats de rivière peuvent également jouer un rôle d’accompagnateur de projets : « Nous sommes là pour montrer que des aménagements sont possibles », conforte Frédéric De Angelis, technicien du syndicat des Trois-Rivières. « L’objectif est de rappeler le cadre réglementaire et d’accompagner les porteurs de projets : mieux vaut dimensionner correctement les ouvrages en amont pour éviter des démarches administratives lourdes et coûteuses. »
Quels types d’entretiens et pourquoi ?
Les types d’entretien des cours d’eau sont nombreux, et il n’est pas toujours simple de faire le bon choix. Dès qu’une intervention touche le lit mineur, elle est soumise à la loi sur l’eau. Et le curage en fait partie, lui qui cristallise souvent les inquiétudes, avec d’un côté, la volonté de prévenir l’érosion et les dégâts liés aux crues et de l’autre la crainte de ne pas toujours respecter la réglementation. « C’est une opération dans un milieu vivant, il faut donc constituer un dossier avec formulaire et croquis détaillés du projet, à transmettre à la police de l’eau. Impérativement, il faut conserver la même structure sur le cours d’eau », prévient Jean-Luc Masmiquel. Certaines périodes de travaux peuvent être interdites selon les enjeux, notamment pour prendre en considération la reproduction d’espèces aquatiques présentes. Le passage busé est un autre aménagement autorisé sous condition : « La demande doit respecter la capacité hydraulique du cours d’eau et être suffisamment dimensionnée pour que le fond du lit se reconstitue et permettre une meilleure circulation piscicole », ajoute l’agent de la DDT. Le passage à gué, moins impactant pour le cours d’eau, permet au fond du lit de rester stable, même s’il peut être rapidement déformé par le passage des engins. Le drainage de terrain est une autre pratique. « Les zones humides ne sont pas incompatibles avec les travaux, si l’on maintient leur bon fonctionnement », assure-t-il. Régis Gonnet, agriculteur et élu à la chambre d’agriculture confie : « On a peur de solliciter l’administration pour nos projets d’entretien, de crainte que cela ne prenne trop d’ampleur et ne finisse par coûter très cher ».
Végétaliser pour freiner les crues
« Souvent, il existe des méthodes plus douces avec lesquelles on obtient le même résultat. » Pour la DDT, il faut respecter le triptyque : éviter, réduire, compenser. « À la place de l’enrochement, on peut réaliser des plantations ou des fagots de branchages pour favoriser la stabilisation des berges. Cela a un impact positif sur le cours d’eau, car la végétation souple, au passage des crues, va se coucher et freiner la vitesse des écoulements.
À l’inverse, les techniques minérales (gabions, enrochements, etc.), accélèrent le cours d’eau car leur surface dure et lisse favorise sa montée en puissance et l’érosion, lorsque l’eau se fracasse sur des zones plus tendres. » Est-ce que cette formation a permis aux agriculteurs d’appréhender plus sereinement l’entretien des cours d’eau ? Seuls l’expérience et l’avenir le diront, mais elle aura permis de « mieux comprendre la réglementation », confie l’un d’eux. Et surtout d’apporter de la confiance : « Le point positif, c’est qu’il existe certes un cadre réglementaire, mais aussi une adaptation possible à chaque contexte », glisse-t-il.
M.M.
« Il vaut mieux plusieurs petits aménagements »
L’après-midi, la visite se déroule sur la parcelle de Cassandra Veyre, à la ferme du Cardinal, bordant le ruisseau de l’Ecoutay. Ce cours d’eau, dont la source se situe quelques kilomètres en amont, vers Peaugres, s’assèche souvent en été mais, étranglé par le pont trop étroit pour le contenir, déborde violemment en période de crue, inondant parfois la prairie et franchissant la route. « Après un nettoyage complet des berges en 2022, nous avons dû tout recommencer en 2024 », souffle Cassandre Veyre, qui déplore le temps et l’énergie que cela prend. Devant la berge, les deux techniciens de la DDT et du syndicat des Trois-Rivières, prodiguent des conseils : « Pour l’entretien, il s’agit principalement de retirer les embâcles et d’élaguer. Le lit majeur doit rester inondable afin de dissiper l’énergie des crues ». D’autant que la hauteur de la berge de l’autre côté de l’Ecoutay, limite l’expansion naturelle du ruisseau. Mais pour qu’à l’avenir les crues soient moins violentes, les propriétaires peuvent se servir d’anciens ouvrages de calages, réalisés le long du cours d’eau et destinés à stabiliser le lit et à dissiper l’énergie. « Il vaut mieux plusieurs petits aménagements plutôt qu’un seul, pour qu’il se recharge en sédiment et pour stopper son incision », conseille Jean-Luc Masmiquel.
M.M.
Cours d’eau : à qui revient l’entretien ?
Il existe deux catégories de cours d’eau. Les cours d’eau domaniaux appartiennent à l’État. C’est donc lui qui assure le bon écoulement des eaux dans leur lit. Les cours d’eau non domaniaux appartiennent aux propriétaires (privés ou publics) des rives jusqu’au milieu du lit, qui doivent garantir la pérennité et l’écoulement des eaux en entretenant la végétation, enlevant les embâcles et les sédiments qui gênent l’écoulement, à ses propres frais. Seule exception : pour des aménagements ou travaux d’intérêt général, une structure gémapienne (comme un syndicat de rivière) peut se substituer au propriétaire et engager des frais.