« A nous de conquérir le marché de la restauration hors domicile »

En assemblée générale extraordinaire qui s'est déroulée chez Tradival, dans l'Allier, Dauphidrom et les autres coopératives du groupe Sicarev ont acté leur fusion au sein d'une seule et même entité : Sicarev Coop. Rappelez-nous les enjeux de cette stratégie.
Eric Chavrot : « C'est avant tout une question de pérennité. Notre ambition est de bâtir une coopérative, certes de taille importante, mais qui aura le souci de porter et de défendre les intérêts de chacun de ses adhérents. Si l'objectif premier est bien d'être plus efficace dans le fonctionnement au sein du groupe, notre première préoccupation sera de conserver le lien de proximité avec nos adhérents. Nous sommes tous très attachés à conserver, voire à cultiver, le lien au territoire de chaque section. D'ailleurs, je prends le pari que, hormis l'en-tête qui figure sur les décomptes d'apport, les éleveurs ne verront aucun changement dans leur quotidien. Grâce à la fusion, Dauphidrom pourra proposer des services supplémentaires à ses adhérents mais les interlocuteurs resteront les mêmes, le centre d'allotement restera à Marcilloles. Même les camions resteront rouges ! »
Dans le rapport moral que vous avez présenté à la mi-juin devant l'assemblée générale de Dauphidrom, vous avez évoqué une consommation de viande en baisse et des résultats en berne. Comment analysez-vous cette situation ?
E. C. : « En fait, les Français ne consomment pas moins de viande, ils la consomment différemment. Les achats des ménages reculent de 3,2 % en 2018 mais la consommation augmente de 2,2 % au niveau national. Les Français n'achètent plus les mêmes produits et ne les consomment plus aux mêmes endroits : ils mangent moins de viande à la maison et plus hors de chez eux. C'est donc dans la restauration hors domicile que la viande pourrait trouver son salut. Nous, éleveurs et transformateurs, avons un gros travail à faire pour conquérir ce marché-là. Le problème, c'est que nous avons du mal à nous placer au niveau prix car nous sommes face à des concurrents allemands, polonais ou irlandais qui n'ont pas les mêmes coûts de production. »
C'est sans solution alors...
E. C. : « Pas du tout. Le problème est plus politique qu'économique. La France est connue pour avoir l'un des niveaux de charges les plus élevés d'Europe. Tout se joue au niveau des charges qui pèsent sur nos structures. Il faut donc les faire baisser pour diminuer les coûts de production. Cela permettrait d'enclencher un cercle vertueux. Car si nous arrivions à conquérir le marché de la restauration hors domicile, grosse consommatrice de steaks hachés, nous pourrions l'approvisionner avec de la viande issue du troupeau laitier, plus apte à trouver une valorisation en haché que la viande issue du troupeau allaitant. Ce serait aussi un levier important pour assurer la montée en gamme soutenue par la loi Egalim. »
A propos d'Egalim, quel bilan en tirez-vous ?
E. C. : « On nous avait promis que, grâce à cette loi, la grande distribution n'aurait pas d'autre possibilité que d'assurer un juste retour de marge aux producteurs. Pour l'instant, nous n'avons rien vu venir, alors que la loi est en application depuis novembre 2018. Cela signifie que les deux mesures phares que sont le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions ont permis aux enseignes de se constituer un confortable pactole pris aux consommateurs, mais qui devra revenir aux producteurs coûte que coûte. J'espère que l'Etat saura jouer son rôle pour que ces sommes ne soient pas utilisées à d'autres fins en attendant que les mécanismes de ruissellement ne soient effectifs. Nous avons fait valoir nos difficultés à la députée iséroise Monique Limon, lors de l'assemblée générale de Dauphidrom. Il est prévu que nous rediscutions du sujet en allant visiter un abattoir pour qu'elle comprenne bien les enjeux. »
Au cours de l'AG, vous avez appelé les éleveurs à « tordre le cou aux discours mensongers »...
E. C. : « Notre métier fait régulièrement l'objet d'attaques de personnes qui disent défendre la cause animale : les extrémistes végans. Si nous devons respecter la liberté de chacun de choisir son mode de vie, et en particulier son alimentation, nous ne pouvons tolérer de subir le totalitarisme et les violences de quelques personnes qui ne représentent qu'elles-mêmes. Cela dit, si l'on estime entre 1 et 3 % la proportion de végétariens en France, il reste 97 % de la population française à satisfaire en produits carnés. Pour fidéliser ces consommateurs, il faut les rassurer sur la qualité et la traçabilité des produits français, sur les bienfaits de l'élevage en termes de paysages, de biodiversité, de stockage du CO2 par les prairies. L'élevage ne doit pas être associé en premier lieu à "émission de gaz à effet de serre, gros consommateur d'eau, pollution des milieux". A chacun d'entre nous de faire partager notre quotidien d'éleveur pour rétablir la vérité. Il ne faut plus laisser dire n'importe quoi. »
Propos recueillis par Marianne Boilève