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Prospectives

Accords commerciaux internationaux : quels impacts sur notre agriculture ?

Regards sur les accords commerciaux internationaux et leurs incidences sur les filières agricoles françaises.
Accords commerciaux internationaux : quels impacts sur notre agriculture ?

Ceta, Mercosur..., quelles conséquences sur l'agriculture française ? Thierry Pouch, responsable du service économie et prospectives à l'APCA(*), a apporté un éclairage l'après-midi de la session de la chambre d'agriculture de la Drôme, le 25 novembre. « Instable et incertain, le climat entrave la lisibilité pour les acteurs économiques, notamment les agriculteurs », a-t-il constaté. Les raisons : Brexit, réforme de la Pac en cours de négociation, organisation mondiale du commerce (OMC) défaillante, multiplication des accords commerciaux, protectionnisme, conflits avec les Etats-Unis.

L'assistance à l'après-midi de la session de la chambre d'agriculture de la Drôme, le 25 novembre.

Ceta

Le Ceta (Comprehensive economic and trade agreement) est un accord commercial bilatéral de libre-échange entre l'Union européenne (UE) et le Canada. Il a été approuvé par le Parlement européen mais doit être ratifié par les assemblées nationales et régionales d'Europe. En France, l'Assemblé nationale a autorisé sa ratification, le Sénat pas encore. Il ne devrait pas se prononcer avant les élections municipales, d'après Thierry Pouch.
Pour l'agriculture, les enjeux sont de plusieurs ordres. En grandes cultures, dans le domaine phytosanitaire, les exigences sont moindres au Canada qu'en UE. En viande bovine, le différentiel de coût est favorable à ce pays. Le contingent devrait être pratiquement rempli. Autres enjeux : le Ceta n'intègre pas de thèmes relevant de la santé publique. Alors que le principe de précaution s'applique en UE, des tests scientifiques valident le recours à des intrants dans la production agricole au Canada. Ce pays utilise des farines animales, des « promoteurs » de croissance... « Notre modèle alimentaire risque d'être nivelé par le bas lorsque le Ceta se déploiera pleinement, craint Thierry Pouch. Deux ans après l'entrée en application provisoire du Ceta, en agrégeant tous les produits, le Canada continue à avoir un déficit commercial agroalimentaire avec l'UE. Sa compétitivité s'érodant depuis 2000, il a beaucoup investi pour enclencher une révolution agricole (avec de la haute technologie intégrée), ce qui nécessite l'ouverture de marchés pour rentabiliser ces investissements. C'est pourquoi il a fait pression pour signer le Ceta. »

Mercosur

Le Canada est un petit partenaire de l'UE. Par contre, avec l'accord de libre-échange entre l'UE et le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay), « ça va être une autre paire de manches, a observé Thierry Pouch. Faut-il ouvrir davantage notre marché aux pays membres du Mercosur alors que les échanges sont déjà lourdement déficitaires pour l'UE ? Le secteur agricole et alimentaire est déterminant pour le Brésil, qui sort d'une récession grave (et, dans une moindre mesure, pour l'Argentine). Il avait donc tout intérêt à accélérer les négociations et la signature. » L'UE a obtenu des contingents plus faibles que ceux qu'elle a accordé aux pays du Mercosur. « C'est déséquilibré. » Parmi les risques, un différentiel de coût de production en faveur des pays du Mercosur, des problèmes sanitaires et des scandales au Brésil, pas de clause monétaire. Et puis ces accords ne sont-ils pas en contradiction avec les intentions affichées par l'Etat français d'aller vers les circuits courts, de réduire l'empreinte carbone du transport... ?

Des pour et des contre

Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture de la Drôme, et Michel Chapoutier, président d'Inter Rhône (de gauche à droite).

« La filière vin est à 100 % pour le Mercosur, a indiqué le président d'Inter Rhône, Michel Chapoutier, lui aussi invité à intervenir. Ce marché nous intéresse, peu de produits nous concurrencent. Par contre, le Royaume-Uni (comme l'Allemagne et la Hollande) est un gros acheteur mais sur des petits prix. Il vaut mieux perdre ce marché plutôt que les Etats-Unis où, par exemple, la hausse du prix du Crozes-Hermitage n'a pas fait baisser les ventes. Je crois qu'on a aussi tout intérêt à se rapprocher des marchés russe et de l'Est de l'Europe. »
Comme l'a conclu le président de la chambre d'agriculture de la Drôme, Jean-Pierre Royannez, cet éclairage sur les accords commerciaux internationaux montre « des craintes et des risques différents selon les filières ».

Annie Laurie

(*) APCA : assemblée permanente des chambres d'agriculture.

 

Contenu des accords

Ceta :
Le Canada ouvre à l'Union européenne (UE) un contingent de 18 500 tonnes (t) de fromages. Craignant la concurrence, les producteurs laitiers canadiens ont réagi à cet accord et obtenu des aides compensatoires sur sept ans (1,7 milliard de dollars). L'UE accorde au Canada un accès en franchise de droits pour 67 950 t de viande bovine (sans hormones), 80 000 t de viande de porc sur cinq ans et 8 000 t de maïs doux en conserve. Elle obtient la reconnaissance de 145 indications géographiques s'ajoutant aux 200 IG de l'accord de 2003 sur les vins et spiritueux.
Mercosur :
L'UE accorde aux pays du Mercosur un contingent de 99 000 t de viande bovine à droits réduits (le Brésil en avait réclamé 300 000), 190 000 t en viande de volaille, 180 000 t de sucre à droits nuls. Et elle obtient un contingent de 10 000 t de poudre lait, 5 000 t de lait infantile, 30 000 t de fromages (à droits nuls) ainsi que la reconnaissance de 357 IG.

 

Brexit en cas de « no deal »
Pour le Brexit, si le Royaume-Uni (RU) sort de l'Union européenne (UE) sans accord (« no deal »), a expliqué Thierry Pouch, ce sera le rétablissement des droits de douanes selon le régime de l'OMC, qui pourraient être compris entre + 10 et + 30 % (productions françaises très exposées : viande bovine et produits laitiers). Les droits de douanes plus une livre sterling très dépréciée vis-à-vis de l'euro se traduiraient par une inflation sur les prix des produits importés, donc une baisse du pouvoir d'achat du consommateur britannique. « Des pays ont déjà annoncé qu'ils déverseront sur le marché intracommunautaire ce qu'ils exportaient au RU, accentuant ainsi la pression concurrentielle » : l'Irlande (viande bovine, ovine, produits laitiers), l'Allemagne et les Pays-Bas (porc, produits laitiers). Un « no deal » exposerait les Britanniques (autosuffisants à hauteur de 50 %) à des risques de pénuries alimentaires au moins à court terme, le temps de reconstituer un outil de production agricole ou de passer des accords commerciaux avec d'autres nations pour s'approvisionner. Parmi les productions françaises, les boissons dont les vins, produits laitiers, céréales, la viande de porc sont les plus concernés.
L'impact de l'absence d'accord commercial au bout d'un an serait une perte de l'ordre de 500 millions d'euros pour notre pays (région la plus touchée : les Hauts-de-France). S'il se prolongeait sur plusieurs années, il pourrait y avoir des effets cumulatifs. Tous secteurs confondus, l'UE perdrait 17 milliards par an. Pour le RU, la fin des aides Pac, c'est 4 milliards d'euros par an en moins (selon les estimations, 80 % des exploitations pourraient disparaître du fait de ce manque à gagner).
A. L.

 

La guerre commerciale des Etats-Unis
Dans la guerre commerciale menée par Donald Trump, la Chine est la première cible, l'Union européenne (UE) la seconde. La taxation des produits agricoles et alimentaires européens de + 25 % (entrée en vigueur le 18 octobre) concerne les vins et huiles d'olive surtout, les fromages... « Le préjudice économique qui s'annonce sur les exportations sera fonction de la durée de la taxation, note Thierry Pouch (APCA). La France, l'Italie et l'Espagne ont demandé à la Commission européenne de réagir. Je pense que Donald Trump veut forcer l'UE à négocier un accord sur les produits agricoles de façon à soulager les agriculteurs américains(*), qui connaissent une crise depuis quelques années. S'il est réélu, l'UE doit se préparer d'ores et déjà à subir les assauts de l'administration américaine sur ses produits agricoles et alimentaires. »
A. L.
(*) Agriculteurs américains : baisse de près de moitié de leur revenu depuis 2013 (amplifiée par la guerre commerciale) et endettement record (près de 430 milliards de dollars).