Adice, c’est mieux à trois

C'est une première ! » En ce 8 mars à Chabeuil, Raymond Riban, le président d'Isère Conseil Elevage, affiche un visage visiblement ému. Un peu parce qu'il est en train de passer la main, surtout parce que les structures de l'Ardèche, de la Drôme et de l'Isère tiennent leur première assemblée générale commune. Décidée il y a quelques temps déjà, la fusion des trois entités ne sera effective que l'an prochain. Mais les changements sont déjà perceptibles : les équipes commencent à prendre l'habitude de travailler ensemble et un site administratif a été ouvert à Moirans, en janvier dernier.
Baptisée Adice - pour Ardèche-Drôme-Isère Conseil Elevage -, la nouvelle entité a mis un peu de temps à émerger car il a fallu caler les manières de faire et trouver des terrains d'entente. Certes, en Rhône-Alpes, certains secteurs sont plus « caprins » (Ardèche et Drôme) et d'autres plus « bovins » (Isère). Mais ces différences ne constituent pas un frein au rapprochement. « C'est la politique des petits pas, salue Patrick Ribes, président d'Ardèche Conseil Elevage. On s'est donné les moyens de se découvrir les uns les autres. Il y a beaucoup de similitudes chez nos éleveurs. Certains sont productivistes, d'autres sont en extensif. Mais les besoins et les attentes sont les mêmes. »
Des services plus performants
Motivée par le souci de faire face à la concurrence et à la baisse du nombre d'éleveurs, la création d'Adice s'affiche comme un « projet ambitieux » permettant d'offrir des services plus performants à ses adhérents. La mutualisation n'est apparemment pas une manière déguisée de faire des économies sur les coûts de structure, mais plutôt un outil au service de la professionnalisation des élevages, voire de leur réflexion stratégique. Le projet de rapprochement est né dans le sillage de la création de Mael, le laboratoire d'analyses mis en route conjointement en 2016 par les entreprises de Conseil élevage des départements de l'Ain, l'Ardèche, la Drôme, l'Isère et la Saône-et-Loire. « Les entreprises ont appris à travailler ensemble, ça s'est bien passé et elles ont souhaité aller plus loin », résume Hugues Villette, directeur des structures de l'Isère et de l'Ardèche.
Dans un environnement en pleine mutation, très concurrentiel, il est apparu impératif de « créer quelque chose de nouveau », qui s'appuie sur les compétences et le dynamisme des équipes, tout en démultipliant leur force de frappe. « Avec les nouvelles technologies et les aléas de la conjoncture, nous devons repenser notre organisation si nous voulons rester dans la course », explique Hugues Villette. D'autant que les situations évoluent. Les besoins et les effectifs des élevages caprins augmentent, alors que ceux des bovins lait diminuent. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : à l'échelle des trois départements, le nombre d'adhérents caprins reste stable (198 troupeaux et plus de 26 000 chèvres) alors que les élevages laitiers ont régressé de 6,8 % en un an (44 élevages et 1 800 vaches en moins). Parallèlement, les élevages ovins lait se développent (12 adhérents et 800 animaux), et plus encore les élevages bovins allaitants. Autant de professionnels qu'Adice compte bien satisfaire. D'ici le printemps, les éleveurs bovins viande de la Drôme et de l'Isère devraient ainsi pouvoir bénéficier des nouveaux services. Cette position n'a pas manqué de surprendre la responsable du service élevage des chambres d'agriculture Drôme-Isère, qui a tenu à rappeler l'engagement historique des compagnies consulaires sur le conseil bovin viande.
Changement de posture
Pour répondre à ces nouveaux besoins, la future entité va s'appuyer sur un réseau de 44 agents de pesée à temps partiel et de 21 conseillers, formés à l'expertise technico-économique, ainsi qu'un pôle administratif de sept personnes. Leur mission : aider les adhérents à « pérenniser leur exploitation et à développer leurs compétences » pour accroître la valeur ajoutée de leur élevage. « Ça demande un changement de posture pour les conseillers », reconnaît Solène Dutot, directrice de Drôme Conseil Elevage. Une évolution qui commence à se faire sentir : les coûts de production ont déjà été réalisés chez 30 % des adhérents, dont 80 % ont ensuite participé à une réunion collective d'échange et de comparaison de résultats. Parallèlement, les agents de pesée pourraient se voir attribuer de nouvelles tâches administratives ou manuelles, selon les besoins des éleveurs.
Outre l'accompagnement économique et stratégique des élevages, Adice veut offrir à ses adhérents une gamme de services innovants (caméra en élevage, silo'scan, moisture tracker, monitoring Medria et traitement statistique des données...) qui permettent de développer le « conseil prédictif », sans pour autant négliger la proximité, la réactivité, ni le collectif. « Nous avons réalisé une enquête qui a montré que les producteurs se sentent de plus en plus isolés, précise Hugues Villette. Ils expriment un intérêt pour tout ce qui est collectif. Nous allons donc développer les groupes d'échange, de type robot, fourrage, génisses, chevrettes... » Les professionnels se montrent également motivés par les perspectives offertes par les nouvelles technologies. « Le sujet est parfois clivant, admet Thierry Degas, président de Drôme Conseil Elevage. Mais les nouvelles technologies ne sont pas que pour les gros troupeaux : les colliers GPS sont très prisés des éleveurs qui font pâturer leurs bêtes en extensif. »
Adice compte néanmoins concilier audace et prudence. « Il y a beaucoup d'opportunités, beaucoup d'offres en termes de ferme connectée, conclut Hugues Villette. A nous de faire le tri pour proposer les outils qui permettent réellement d'aller chercher de la performance économique. »
Marianne Boilève
Zoom sur les caprins /
La filière caprine est porteuse, à condition de savoir piloter son élevage. L’Ardèche, la Drôme et l’Isère réunis comptent à peu près autant de livreurs que de fromagers, si l’on inclue les fromagers qui livrent en blanc aux affineurs. Mais les résultats techniques sont très hétérogènes selon les systèmes. Si l’on regarde les résultats dégagés par 41 ateliers caprins laitiers, un peu plus de la moitié parvient à se dégager un revenu égal ou supérieur au Smic (17 485 euros brut) en dépit d’une conjoncture favorable. « Il y a des marges de progrès », souligne Solène Dutot. Adice entend bien aider les éleveurs à les gagner en développant la culture économique caprine. « Nous formons les conseillers caprins pour passer d’une simple lecture technique à une analyse stratégique et économique », confie Solène Dutot, la directrice de Drôme Conseil élevage. Des rendez-vous duo ont été mis en place pour permettre aux éleveurs de discuter stratégie avec deux experts, l’un technique, l’autre économique. Cette nouvelle dynamique passe également par l’animation de « réunions coûts de production » en binôme. En 2017, Jean-Philippe Goron, épaulé par un conseiller caprin, a ainsi pu travailler avec une trentaine d’éleveurs.M. B.
