Aethina tumida : une menace pour les ruchers français

Vis-à-vis des sous-espèces locales, Aethina tumida ne cause pas d'importants dommages lorsqu'il vise des colonies fortes, car elles disposent de mécanismes de défenses permettant de limiter l'impact du petit coléoptère. Cependant, les échanges apicoles actuels, de portée mondiale, représentent une réelle menace d'introduction dans les pays indemnes jusqu'à ce jour et au sein desquels les colonies ne sont pas armées pour lutter efficacement. C'est le cas des sous-espèces d'abeilles européennes, chez lesquelles Aethina tumida peut être responsable de dégâts importants au sein de la colonie (destruction de cadres, fermentation du miel, désertion des abeilles voire mort de la colonie). La France est à ce jour indemne mais l'actualité sanitaire, avec la présence depuis plus de trois ans maintenant de foyers en Italie, souligne la nécessité de maintenir une vigilance constante vis-à-vis de ce risque.
Les conséquences d'une éventuelle introduction en France
Une introduction sur le territoire national aurait des répercussions importantes, à différents niveaux :
- Au niveau clinique : la forme sévère de la maladie provoque la dégradation des récoltes de miel, voire la désertion des abeilles de la ruche. Il existe des formes moins sévères mais délétères, avec atteinte de certains cadres.
- Au niveau des pratiques apicoles : l'extraction et le traitement du miel doivent être faits rapidement pour éviter la ponte et les dégradations potentiellement occasionnées par les larves sur les cadres et sur le miel. En prévention, on traite également souvent Aethina tumida par le froid (destruction des œufs) donc la mise en place de chambres froides est recommandée. Ces nouvelles pratiques ont un impact économique important pour les exploitations apicoles.
- Au niveau réglementaire : la perte du statut indemne aurait des conséquences du point de vue des mouvements apicoles mais également sur le plan de la production et de la vente des produits de la ruche.
Les dispositifs de surveillance
La France a ainsi mis en place une surveillance passive sur le territoire (déclaration de toute suspicion) et une surveillance active ciblée sur les exploitations identifiées à risque. Le ministère de l'Agriculture réfléchit actuellement à l'établissement d'une surveillance active dans certaines zones de France.
Des actions de communication relayées par toutes les organisations apicoles sont également déployées pour alerter les apiculteurs. Ainsi, des alertes remontent à la DDPP (Direction départementale de la protection des populations) et à l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).
La France est ainsi reconnue indemne : le petit coléoptère des ruches est donc soit absent du territoire national, soit présent mais en dessous du seuil de détectabilité. Outre les points évoqués précédemment, les moyens permettant de limiter les risques de perte du statut sont :
- La prévention, basée sur la surveillance de la maladie, la communication et le respect de la réglementation (une série de directives a notamment été produite par l'Europe et déclinée en Italie. Tous les échanges commerciaux sont interdits depuis les zones réglementées).
- La détection précoce, permettant l'éradication rapide des foyers.
- La mise en place d'un plan d'urgence : le ministère y travaille actuellement, l'objectif étant la mise en place de mesures drastiques suite à la détection.
La réglementation
Afin de prévenir le risque d'introduction et d'assurer la réactivité du dispositif de surveillance en cas de détection sur le territoire, le respect de la réglementation doit être assuré, à savoir :
1 - Pour les échanges de matériel apicole, en particulier d'apidés, et dans l'objectif de limiter les pratiques à risque : qu'il s'agisse d'importations d'un État membre ou de pays tiers, les mouvements doivent obligatoirement être associés à l'établissement d'un certificat sanitaire dans le pays d'origine et la traçabilité doit être assurée.
2 - Pour l'identification des colonies, afin de permettre la réalisation d'enquêtes épidémiologiques et la mise en place d'actions pour la circonscription d'un éventuel foyer, il est impératif de respecter les obligations suivantes :
- La déclaration annuelle de ruches répertoriant les emplacements des colonies et leur nombre.
- L'identification des ruchers et(ou) des ruches par le numéro d'immatriculation.
- La tenue d'un registre d'élevage pour tout apiculteur assurant la vente de produits de la ruche ou leur cession hors cadre familial. Il permet notamment de tracer les données relatives aux mouvements, aux soins et à l'entretien des colonies ainsi que les interventions vétérinaires réalisées.
SANITAIRE / Détecté en 2014 dans le Sud de l’Italie, Aethina tumida ou PCR (petit coléoptère des ruches) est une menace pour l’apiculture française. Gilles Deshors, apiculteur professionnel dans la Loire, a rencontré des apiculteurs italiens confrontés à la présence du coléoptère. Interview.

“ Maintenir le niveau de vigilance sur notre territoire ”
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?Gilles Deshors : « Je suis apiculteur professionnel depuis 1991. Avec mes deux associés, nous gérons une exploitation apicole située dans la Loire qui compte près de 800 ruches en production de miel et une vingtaine de ruches en gelée royale. »
À quelle occasion avez-vous pu rencontrer des apiculteurs italiens ?
G. D. : « C’est par l’intermédiaire d’une association de producteurs en bio qu’un voyage en Italie a été organisé à l’automne 2017. L’objectif de ce voyage était de découvrir de nouvelles techniques apicoles, d’améliorer nos pratiques de lutte contre Varroa destructor en bio et également d’en apprendre un peu plus sur la situation d’Aethina tumida en Italie. Au cours de cette excursion de quatre jours, nous avons rencontré des apiculteurs (exploitant 200 à 4 000 ruches), une coopérative ainsi que des techniciens sanitaires apicoles. »
Quel est l’impact de la présence du PCR sur leurs activités apicoles ?
G. D. : « Nos visites ont concerné le Nord et le Centre de l’Italie. Les apiculteurs rencontrés n’étaient pas localisés dans le périmètre de protection, et donc pas directement concernés. L’arrivée du PCR en Italie a cependant déjà eu des impacts économiques pour les exploitations qui, même hors de la zone de surveillance, se sont équipées en chambre froide pour faire face à une éventuelle arrivée sur leurs sites. Ils se disent d’ailleurs prêts pour ça. À ce jour, le PCR n’a pas d’autre impact sur leurs activités. »
Comment perçoivent-ils les dispositifs de surveillance mis en place en Italie ?
G. D. : « Les apiculteurs interrogés sont très peu intervenus sur le sujet. Mais globalement, il semble qu’ils émettent quelques réserves concernant le dispositif de lutte actuel. En fait, Aethina tumida paraît s’être implanté sur leur territoire, faute de détection précoce. L’objectif n’est donc plus d’éradiquer et les mesures de destruction des ruchers ne leur semblent donc plus adaptées à ce stade. Ils souhaiteraient ainsi une évolution des mesures prises en cas de déclaration d’un foyer. »
Comment envisagent-ils l’évolution du petit coléoptère des ruches en Italie ? Et ailleurs ?
G. D. : « Concernant la situation nationale, les apiculteurs rencontrés semblent penser qu’un confinement du PCR à la zone de surveillance est possible. Ils se tiennent néanmoins prêts pour une éventuelle arrivée dans leurs régions. Certains ont également mentionné des pratiques à risque suite à la déclaration des premiers foyers en Italie. Des mouvements de ruches en provenance des zones à risque vers certains pays européens auraient été réalisés sans déclaration préalable. Le risque existe donc et pas seulement sur le territoire national, d’où l’importance de maintenir le niveau de vigilance sur notre territoire. »
Quel a été l’intérêt de cette visite pour vous ? A-t-elle suscité des réflexions quant à d’éventuelles évolutions de vos pratiques apicoles ?
G. D. : « Échanger avec d’autres apiculteurs, y compris à l’étranger est toujours pour moi un excellent moyen de progresser dans ma pratique quotidienne. Ce voyage en Italie a été l’occasion de réfléchir à l’optimisation du matériel apicole. La présence d’Aethina tumida sur une zone oblige en effet à extraire le miel très rapidement pour ne pas perdre la production. Il serait donc intéressant d’envisager la mise en commun de gros moyens d’extraction et de conditionnement, via des mielleries collectives, comme cela est beaucoup pratiqué en Italie. Il s’agit d’investissements qui sont importants, difficiles à envisager pour une structure seule. La mise en place de chambres froides est également un point à étudier. Au printemps prochain, j’envisage de me rendre à nouveau en Italie, à l’occasion du Congrès apicole national, afin de continuer à avoir des informations sur l’évolution de la situation du PCR là-bas. »
Propos recueillis par Prémila Constantin, vétérinaire GDS Rhône-Alpes