Afficher ses valeurs, gagner en notoriété
agricoles investissent dans la communication et font appel à des agences spécialisées.

Depuis vingt ans, l'agence Texto travaille avec les filières agricoles et agroalimentaires pour leur communication. Entretien avec sa directrice Anne-Marie Massonnet.
Certaines marques de produits agroalimentaires ou syndicats de promotion d'appellations investissent beaucoup dans la communication et la publicité, pour quelles raisons ?
Anne-Marie Massonnet : « En France, l'agroalimentaire est un univers déterminant avec de forts enjeux. Il y a beaucoup de labels très connus du grand public, mais beaucoup de gens mélangent les sigles IGP, AOP, AOC, marques, etc. Dans ce contexte, où tout le monde recherche le produit de proximité et de qualité, les efforts qui sont faits pour promouvoir la qualité française sont très importants. Avec la communication les fabricants ou les filières cherchent à associer des valeurs à leurs produits telles que la sécurité alimentaire, la qualité de production, la localité ou le terroir. C'est indispensable pour ces produits d'être présents via la communication. »
Quels types de stratégies de communication sont utilisés dans le secteur de l'agroalimentaire et de l'agriculture ?
A-M. M. : « Les stratégies mixent toutes les techniques de communication, sur le Web, sur les réseaux sociaux, l'affichage, les médias, etc. Rien n'est négligé. Une marque collective qui défend un produit investit vraiment tous les canaux. C'est ce que l'on préconise en tout cas. L'objectif est de toucher leur clientèle, de renouveler leurs acheteurs, d'informer les jeunes que ces marques existent avec des produits de qualité. Il faut également rassurer les clients déjà fidélisés, par la presse ou l'affichage. Après, il y a différents choix possibles. Quand on voit la publicité pour la saucisse de Morteau assez tendancieuse qui parlait de « 20 cm de plaisir », je pense que ces publicités peuvent accrocher l'attention mais dans le fond, cela dénature le produit. La publicité tend à rendre le produit trivial. Sur le long terme, ce n'est pas cela que nous visons. Nous travaillons plutôt sur l'image de marque sur plusieurs années. Les coups de buzz sans fond, cela ne me paraît pas très positif sur le long terme. »
Quelles sont les tendances de la communication pour les produits agroalimentaires ?
A-M. M. :« Le beaufort et le reblochon communiquent depuis de longues années maintenant. Ce n'est pas un hasard si le reblochon fait partie des cinq fromages AOP les plus vendus en France. Il est clair que si un produit ne communique pas, il est complètement occulté. Les fromages les plus connus et les plus consommés sont ceux qui investissent le plus dans la communication comme le comté ou le saint-nectaire. À long terme, cela paie. Pour la tomme de Savoie qui a investi beaucoup plus récemment en communication, les effets s'en font également ressentir. Nous associons aussi les relations presse et l'influence auprès des chefs cuisiniers. Ce qui est important, c'est d'être présent régulièrement sur la plupart des canaux. Aujourd'hui, les campagnes travaillent sur l'esthétique, le raffiné, le beau plus que le coquin ou le tendancieux. Des choses plus sages, plus conviviales, où l'on parle de valeurs, où l'on transmet l'identité du produit. »
Si l'on prend l'exemple de la communication autour des crème et beurre de Bresse, elle a réussi à en faire un produit de haute qualité très rapidement...
A-M. M. : « La stratégie du syndicat de promotion de la crème et beurre de Bresse est très intéressante. Comme il n'y a qu'eux et la crème de Normandie sur ce créneau de la crème haut de gamme, ils se sont donc tournés vers les grands chefs cuisiniers. Beaucoup de chefs utilisent la crème de Bresse car ils sont bien au fait de la qualité de ce produit. Grâce aux relations presse, le syndicat qui ne dispose pas de beaucoup de moyens pour se faire connaître vise d'abord la région Rhône-Alpes et Paris, qui sont des zones d'influence. Avec un petit budget, il faut vraiment être très agile pour réussir à tirer un maximum de retour vers le produit. Les meilleurs résultats sont obtenus avec internet (coût contact le plus performant) et les relations presse. Cela permet de se faire connaître efficacement. »
Comment estimez-vous les résultats d'une campagne de communication ?
A-M. M. : « C'est assez complexe. Sur internet ou les réseaux sociaux, il est possible de mesurer les retours sur les campagnes. Il est donc assez facile d'estimer si cela marche ou pas. Par exemple, nous avons lancé un challenge autour de la tomme de Savoie il y a trois ans qui monte en puissance avec environ 10 000 connexions dès l'ouverture. Nous avons réussi à créer une vraie relation avec le produit. Pour les grandes campagnes d'affichage, c'est plus compliqué. On sait que c'est impactant, mais le retour est difficile à mesurer. Les syndicats fromagers ont un observatoire des ventes, mais il est toujours difficile d'attribuer l'évolution des ventes à tels ou tels facteurs précis et surtout en déduire des proportions. »
Que pourrait-on faire mieux ?
A-M. M. : « À l'inverse des fromages suisses ou hollandais par exemple qui ont une communication très efficace en France, nos produits de qualité ne communiquent pas beaucoup à l'étranger. Nous n'y mettons pas autant de moyens. Quand on voit que l'Irlande ou l'Angleterre communiquent en France sur leurs produits dans une stratégie concertée et multifilière, on se dit qu'ils ont vu juste. On est en Europe, les marchés sont ouverts, il faut y aller groupé pour être plus impactant. »
Propos recueillis par Camille Peyrache
VIN / En matière de communication, le beaujolais nouveau est sans nul doute un cas d’école. Vanter pour son succès planétaire dans les années 1970 à 1990, il voit ses volumes de vente se réduire malgré des campagnes de communication souvent originales. Alors, c’est quoi le problème ?

Beaujolais nouveau : ils ont tout essayé…
Le beaujolais nouveau est un contraste. Il est l’un des vins les plus connus au monde, une véritable marque internationale, pourtant, inexorablement depuis 15 ans, les volumes commercialisés chutent, quand bien même sa qualité se révèle bien plus homogène qu’autrefois et son style, fruité plutôt que tannique, semble correspondre aux attentes des consommateurs.L’interprofession ne lésine pourtant pas sur les moyens pour accompagner son lancement. La sortie de la nouvelle campagne promotionnelle est devenue un événement dans l’événement. Ces dernières années, Inter Beaujolais a fait appel à des artistes réputés (Ben, Skwak), elle a alterné volontiers la tradition et le côté moderne. Mais rien n’y fait, millésime après millésime, agence après agence, les chiffres s’érodent même si on a cru voir la courbe s’inverser en 2011. Le primeur sort même d’une année 2014 catastrophique : - 11 % de vente au global, principalement en France, et plus particulièrement dans le réseau traditionnel. Il se vendait 400 000 hl de beaujolais nouveau aux heures de gloire, il ne s’en vend guère plus de 200 000 aujourd’hui. Quoi de neuf en 2015 ? L’agence TBWA, retenue pour la première fois, a décliné le thème de l’horlogerie. Parce qu’en viticulture, le rapport au temps est incontournable et que la vinification est un travail de précision, d’orfèvre. « Faire un bon vin en quelques jours, c’est compliqué », rappelle Anthony Collet, responsable marketing de l’interprofession.
Un vin ou un événement ?
L’argumentaire est bien senti mais sera-t-il suffisant pour rebondir ? La campagne va d’abord tenter de résoudre le problème numéro un du primeur : sa durée de consommation. Paradoxalement en 2014, les chiffres de vente le troisième jeudi étaient en augmentation, avant de s’effondrer les jours suivants. Le beaujolais nouveau est devenu un événement autant qu’un vin, un rendez-vous sur le calendrier. Après l’heure, c’est plus l’heure ? Espérons que ce n’est pas la conclusion que tireront les consommateurs à la vue du visuel de campagne… Les distributeurs ne prennent plus de risque : ils commandent peu pour éviter les invendus. Nombre d’entre eux sont en rupture dès le samedi, sans prendre la peine de réapprovisionner. Inter Beaujolais a rencontré au début d’année tous les distributeurs pour trouver des solutions. Afin d’allonger la durée de vie du primeur dans les étals, elle déploiera sa campagne jusqu’au samedi de la semaine suivante. Plutôt que l’affichage, c’est la radio, « un média de masse », qui en sera le support. Près de 300 spots seront diffusés à 25 millions de paires d’oreilles. La campagne sera relayée aussi sur les nouveaux médias (Google, Facebook, Twitter) « pour toucher les plus jeunes consommateurs ». Sur le terrain, la PLV sera déployée jusque dans les GMS, un partenariat a été conclu avec les cavistes tandis que les vignerons iront « au front », le verre à la main, dans les bistrots parisiens.
Casser les a priori
Pour la première fois, Inter Beaujolais a lancé un site Web entièrement dédié au nouveau, ou plutôt, aux nouveaux. Le slogan historique est désormais décliné au pluriel pour témoigner de la diversité des vins. « Les gens croient parfois que le beaujolais nouveau sort d’une grosse usine alors qu’il existe une myriade d’opérateurs », commente Anthony Collet. Le site visera ainsi à « réhumaniser » ce produit considéré comme industriel et marketing. La filière attendra des résultats car le budget consacré à l’opération a doublé « il dépasse le demi-million d’euros », reconnaît Anthony Collet et l’excellence du millésime 2015 donnerait à un échec de cette campagne un goût de désaveu cinglant. Une chose est sûre, avec un tiers des volumes produits dans le vignoble, le primeur reste un pilier économique, un mur porteur…
David Bessenay