Agriculture bio et changement climatique : quels impacts ?

Une controverse scientifique oppose les systèmes bio et conventionnels quant à leurs impacts sur le climat. Concrètement, une tonne de blé bio pourrait avoir un plus mauvais impact climatique qu'une tonne de blé conventionnel (car nécessitant plus de charges pour une moindre production) ; mais un hectare de culture de blé biologique serait meilleur qu'un même hectare conventionnel. Une production très extensive pourrait par conséquent présenter un impact plus lourd qu'une production intensive ... ou inversement, selon l'indicateur choisi ! Si une vache émet, quoiqu'elle mange, à peu près 120 kg de méthane par an, vaut-il mieux qu'elle produise 10 000 kg de lait ou 6 000 kg ? Mais vaut-il mieux un paysage de prairies qui stockent une tonne de carbone par hectare par an, ou des cultures qui consomment plus d'énergie et déstockent de la matière organique ? La réponse tient probablement à une conjonction subtile d'intensification des processus « gratuits » et de désintensification des processus « coûteux », comme intensifier la production végétale, mieux valoriser la conversion des fourrages en production animale, tout en baissant le coût énergétique (moindre consommation de carburant ou d'engrais de synthèse, part des céréales dans les rations et les rotations, animaux improductifs).
Pratiques vertueuses d'atténuation en AB
De nombreuses stratégies d'alimentation en élevage biologique, visant à maximiser les prairies et le pâturage, ont un effet d'atténuation marqué sur l'émission de GES* et sont d'ailleurs généralisables. Ainsi, l'élevage biologique des ruminants se caractérise par un plus grand recours au pâturage et aux fourrages issus de prairies, donc une alimentation moins riche en aliments issus de cultures annuelles (maïs, céréales et protéagineux). C'est une nécessité économique pour les éleveurs bio qui maîtrisent ainsi mieux les coûts alimentaires, mais cela permet aussi aux élevages biologiques de stocker plus de carbone dans les sols et de moins dépenser de carburant pour les cultures annuelles. Les rations herbagères sont certes plus émettrices de méthane que les rations basées sur le maïs mais la présence des prairies permanentes, véritables « puits de carbone », compense largement ce surplus d'émissions. De plus, sachant que la synthèse des engrais chimiques nécessite du gaz naturel (et émet donc du CO2, à raison de 5 kg pour 1 kg d'azote synthétisé), les systèmes de culture basés sur les légumineuses (prairies diversifiées, protéagineux...) permettent donc une moindre émission de GES.
L'exploitation de l'herbe
Le pâturage tournant permet d'intensifier le prélèvement d'herbe en valorisant une ressource qui, autrement, serait gâchée. La même surface fourragère permet donc d'augmenter la productivité animale (par rapport à un système peu tournant) avec un moindre besoin de complémentation (moins d'achats, moins de fourrages à distribuer) et la possibilité de valoriser plus de surfaces. Moins de refus, moins d'achats, une production plus herbagère : autant d'éléments positifs pour réduire l'impact climatique de l'exploitation. Avec le changement climatique, la saison de pousse de l'herbe va cependant être modifiée, devenant plus précoce et plus intense en début de période, puis avec moins de pousse l'été et parfois pas assez d'eau à l'automne. Les fermes arrivant à être suffisamment souples avec cette variabilité, par exemple avec des stratégies permettant des sorties ou entrées rapides d'animaux en production, sortiront gagnantes pour exploiter au mieux la ressource. Les races valorisant les rations herbagères et capables de croissances compensatrices tireront aussi mieux leur épingle du jeu. Enfin, constituer des stocks fourragers de qualité (séchage en grange...) et gagner en souplesse d'exploitation des prairies (avec des prairies à flore diversifiée) deviendra un enjeu avec une saison printanière plus courte.
Des couverts végétaux maximisés
L'expérience s'accumule sur la construction de systèmes de culture avec couverts végétaux maximisés permettant un travail du sol allégé. Chez Georges Joya, agriculteur bio dans le Gers, la captation de carbone est telle que, sur son système grandes cultures (céréales, lentilles, lin, pois chiche, soja), l'incorporation des intercultures hivernales hachées au rouleau au printemps efface quasiment toutes les émissions de carbone ! Le système devient donc très vertueux, avec des coûts minimes (semences autoproduites, matériel non-spécifique). Le stockage de carbone dans les sols est donc une voie très pertinente voire plus efficace que l'arrêt total du labour, qui reste difficile en bio. La maximisation de la photosynthèse via les engrais verts restitués au sol est la clé de systèmes très peu émissifs en GES. Contrairement à l'implantation de haies et d'arbres (qui stocke de grandes quantités de carbone sur plusieurs années), les couverts végétaux permettent de gérer les flux de carbone par du stockage très temporaire, remis à disposition lors de la minéralisation. Ce mécanisme continu permet une gestion dynamique des flux de carbone, avec un effet bénéfique potentiel sur le climat. En période estivale sèche derrière la moisson, les agriculteurs s'interrogent souvent sur la pertinence d'implanter des couverts. Si l'irrigation est présente sur la ferme, et si des perspectives de pluies sont probables dans le mois, un peu d'arrosage est très profitable car la productivité est maximale à ce moment de l'année.
La plantation de haies, la valorisation du bois sur la ferme
Les haies sont un réservoir de biodiversité bien connu, mais elles sont aussi un puits de carbone efficace et une source de produits intéressants ! Sylvain Caumont, éleveur de bovin viande dans le Cantal, implante tous les ans 150 mètres linéaires de haies. Aujourd'hui, il a 2,5 km de haies en « production ». Les plaquettes, issues entre autres de ses haies, lui permettent d'être autonome en paille, et de réaliser (après quatre mois de fermentation) un compost intéressant, riche en calcium, potasse et magnésium. Le compost est épandu à raison de 15 à 20 tonnes sur prairies et céréales. Ses prairies et haies compensent ainsi la moitié de ses émissions totales de carbone. Ces pratiques ne sont pas l'apanage d'un cahier des charges, mais relèvent d'une démarche authentiquement biologique, basée sur le fonctionnement et la maximisation des processus vivants. La photosynthèse est la réaction biologique fondatrice de la vie sur terre, qui transforme lumière et carbone en humus et en oxygène. Construire des systèmes qui maximisent la production végétale sur la ferme permet de capter plus de carbone dans le bois, les végétaux, les sols... C'est l'intensification agroécologique.
Le changement climatique est dit « global », et le changement nécessaire de notre mode de production et de consommation est également « global ». Le mouvement de l'agriculture biologique peut et doit s'emparer de ces enjeux ; il a des atouts importants pour pouvoir aider à répondre aux modifications de notre mode de vie.
Rémi Masquelier,
conseiller polyculture-élevage bio à Agri Bio Ardèche
* GES : gaz à effet de serre.
Pour aller plus loin : Retrouvez de nombreuses pratiques favorables à l'atténuation du changement climatique, mises en œuvre par des agriculteurs bio en Auvergne-Rhône-Alpes et dans d'autres régions, dans le recueil « Pratiques favorables au climat – Tour de France des paysans bio engagés » en ligne sur le site www.produire-bio.fr