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COP21

Agroforesterie : l’arbre à solutions

Parmi les mesures préconisées en agriculture pour lutter contre le réchauffement climatique, l’agroforesterie arrive en bonne place. À quoi correspond exactement cette pratique ? Quels sont ses intérêts et ses freins ? Éléments de réponse.

Agroforesterie : l’arbre à solutions

Associer des arbres et des productions agricoles. La définition de l'agroforesterie est simple. Elle inclut aussi, dans son sens le plus large, les haies champêtres. Les arbres ont souvent été supprimés des parcelles cultivées ces dernières décennies pour faciliter la mécanisation et la productivité. Depuis, quelques années, on redécouvre leurs vertus.

Mieux que la forêt

Les forêts, plantations et arbres champêtres, sont des puits potentiels à carbone. Mais en agroforesterie, les arbres ont deux particularités intéressantes : du fait de leur environnement cultivé et de leur isolement, leur enracinement est plus profond. Deuxièmement, ils poussent plus vite grâce à leur exposition à la lumière et la fertilisation des champs voisins et produisent une quantité de biomasse supérieure.
Les différentes études menées sur le sujet tant en France qu'en Amérique du Nord ont conclu que la création d'une parcelle agroforestière permettait de stocker entre 1,5 et 4 tonnes de carbone/ha ; avec des densités comprises entre 50 et 100 arbres/ha. C'est deux fois plus qu'un hectare forestier moyen ! Bref, une sorte de « super séquestreur » de carbone.
D'après l'Inra, 45 000 agriculteurs en France sont agroforestiers sur 170 000 ha. Autrement dit, tel Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, certains exploitants sont agroforestiers sans s'en douter. Traditionnellement, l'agroforesterie prend la forme de systèmes bocagers ou de pré-vergers, associant cultures fruitières et prairies. Mais d'autres configurations sont possibles : arbres et cultures céréalières ou maraîchères ; à l'intérieur ou à l'extérieur des parcelles.

Peu développé en Rhône-Alpes

« À ce jour, l'agroforesterie est peu développée en Rhône-Alpes, reconnaît Olivier Perrin, technicien de la chambre d'agriculture de l'Isère et personne ressource sur cette thématique, mais les chambres d'agriculture l'ont identifié comme levier possible de lutte contre le réchauffement ». Un service interdépartemental (Ain, Ardèche, Rhône, Isère et les Savoie) a vu le jour afin de mobiliser les compétences en la matière. Plusieurs expérimentations sont en cours en Isère sur le secteur Bièvre-Valloire, à la plateforme TAB à Étoile-sur-Rhône dans la Drôme, au lycée agricole Olivier-de-Serre en Ardèche (sur vignes) ou encore au Parc de Miribel-Jonage près de Lyon.
Plusieurs freins doivent être levés pour imaginer une généralisation de l'agroforesterie. « Le premier frein est la méconnaissance de ce système. Nous devons donc communiquer largement, assure Olivier Perrin. Et puis les agriculteurs s'interrogent sur les risques de pertes de surfaces, de rendements, etc. Les bénéfices sont à imaginer à moyen et long terme mais il y a des effets induits : le système racinaire fait remonter de l'humidité, limite l'apport d'intrants et les arbres créent un microclimat qui atténue les pics de froid et de chaleur », constate le technicien. En tout état de cause, il n'y a pas un modèle à reproduire. L'aménagement agroforestier en essences et en densité est fonction de la superficie de la parcelle, des qualités du sol, du matériel de l'agriculteur et des objectifs qu'il se fixe. « Ceux qui s'y intéressent sont souvent engagés dans une réflexion globale : évolution des rotations de cultures, du travail du sol », constate Olivier Perrin. Les coûts d'investissement varient de 14 à 40 euros par arbre planté selon les configurations, sans compter les coûts d'entretien, mais des financements sont mobilisables via le Feader auxquels peuvent s'ajouter des interventions locales (communes, intercommunalités...).
L'Inra estime qu'en France, 28 % des sols cultivés et 20 % des prairies pourraient être conduits en agroforesterie. La généralisation de ce système (400 000 ha d'ici 2030) permettrait de réduire l'émission de gaz à effets de serre de 1,5 m tonnes eq. Co2/an. 

D. B.

 

Témoignage / Longtemps dans le déni, les agriculteurs sont en train de prendre conscience de l’impact de leurs pratiques dans l’émission de gaz à effet de serre. A l’image de Didier Villard, éleveur en Isère et délégué régional du Pôle biomasse énergies de Rhône-Alpes.

Sortir des logiques de facilité

«La première fois que j’ai entendu qu’on mettait mes vaches en cause, ça m’a carrément énervé. Pour moi, c’était encore une manière de démanteler l’élevage. Nos vaches, elles ont toujours existé. Alors pourquoi les rendre responsables du changement climatique ? » Depuis ce premier réflexe d’indignation, Didier Villard a beaucoup discuté, s’est interrogé, informé, ce qui l’a fait pas mal évoluer. Il raisonne désormais en tant que citoyen, habitant un territoire. « L’agricolo-agricole, ça ne fonctionne plus depuis longtemps, il faut savoir entendre la demande sociétale, explique cet éleveur laitier des Vals du Dauphiné (Isère), devenu délégué régional du Pôle biomasse énergies de Rhône-Alpes (1). Aujourd’hui la problématique se pose à l’échelle planétaire. Comment nous, agriculteurs, en devient-on acteurs ? »
Travail en réseau
Loin de faire acte de contrition, Didier Villard reconnaît que, pendant des années, le monde agricole s’est laissé tenté par « des logiques de facilité, très consommatrices d’énergie. « Nous aussi, nous avons notre part de responsabilité : à partir du moment où on vit et où on travaille, on pollue. » Ou plus exactement, on émet des gaz à effet de serre, ces fameux GES dont l’accumulation accroît les risques environnementaux encourus par nos sociétés. Responsable de près d’un quart des émissions totales, l’agriculture est aussi source de solutions. « Il existe plusieurs entrées, estime l’éleveur. Nous pouvons déjà économiser l’énergie de nos tracteurs et de nos machines, en les réglant au mieux et en les utilisant différemment. De même pour nos maisons : quand on voit le fuel qu’on dépense pour se chauffer, alors qu’il y a des kilomètres de haies qui ne demandent qu’à être taillées et déchiquetées pour être valorisées en énergie ! » L’éleveur évoque également les unités de méthanisation que l’on voit fleurir un peu partout sur le territoire, et prochainement dans les Vals du Dauphiné. A ce titre, il insiste sur l’importance du travail en réseau, en lien avec les collectivités, les élus, les politiques : « Tout seul, on ne peut avoir une action qu’à l’échelle de son entreprise. Pour aller plus loin, il faut travailler dans la concertation, comme cela se fait par exemple dans les Territoires à énergie positive. » Des Tepos (2) auxquels appartiennent les Vals du Dauphiné et la communauté d’agglomération limitrophe, la Capi. A n’en pas douter, ces Tepos seront comptabilisés parmi les contributions nationales de la France dans le cadre de la COP21. Mais Didier Villard prévient : « La conférence de Paris (Cop21), c’est bien. Mais il ne faudrait pas que nous soyons les seuls à être bons élèves, ni que ce soit l’occasion de nous pondre un nouveau décret qui serait catastrophique pour notre quotidien. Il faut aussi que les Chinois s’y mettent... » 
Marianne Boilève
(1) Réseau d’expertise sur l’énergie en agriculture.
(2) Un territoire à énergie positive vise l’objectif de réduire ses besoins d’énergie au maximum, par la sobriété et l’efficacité énergétiques, et de les couvrir par les énergies renouvelables locales.