Alain Baudouin : « déclasser le loup pour le réguler »

Alain Baudouin, en tant que président, parlez-nous de l'association des éleveurs et bergers du Vercors Drôme-Isère et de son action en termes de prédation lupine ?
Alain Baudouin : « Elle soutient les éleveurs et bergers victimes d'attaques de loups. Cela va de l'aide physique, comme le montage de parcs de nuit, jusqu'à leur défense devant la justice. Notre association travaille en partenariat avec la fédération départementale ovine (FDO). Elle ne perçoit pas de subventions, fonctionne avec nos cotisations et nous sommes tous bénévoles. Nos moyens financiers servent surtout à défendre des éleveurs et bergers devant la justice. Récemment, une juriste nous a dispensé une information gratuitement sur nos responsabilités en cas de randonneur mordu par un chien de protection, les peines encourues si l'on tue un loup... Et, à notre assemblée générale le 20 février à Combovin, Michel Meuret, directeur de recherche à l'Inra (Montpellier), est lui aussi intervenu gracieusement, au titre des 34 scientifiques ayant signé le « plaidoyer pour des écosystèmes non désertés par les bergers » paru dans Libération le 13 octobre 2014. »
Que faire face au loup ? Les dispositifs « foxlights »(1) et « turbo fladry »(2), destinés à les éloigner des troupeaux, sont-ils efficaces ?
A. B. : « Au début, durant quelques jours ou semaines, ces dispositifs fonctionneront puis le loup s'habituera. Il s'adapte à tout : aux chiens, parcs de nuit, clôtures électrifiées rehaussées... Et prélever 36 loups au plan national sur une campagne, c'est dérisoire. Il faut déclasser le loup de son statut d'espèce protégée pour pouvoir le réguler.
A notre assemblée générale, Michel Meuret, a expliqué comment les loups sont régulés au nord des Montagnes Rocheuses (Montana, Wyoming et Idaho), aux Etats-Unis. En 2009, année où ils ont eu le plus d'attaques (721 victimes), 270 loups à problèmes (surtout ceux qui s'attaquaient au bétail) ont été tués légalement. Les Américains ne comprennent pas qu'avec autant de prédation (9 068 victimes indemnisées en France en 2015) nous ne puissions pas nous défendre directement. C'est pourquoi, les 34 scientifiques plaident pour une véritable gestion du loup. Afin de pouvoir prélever régulièrement les loups à problèmes, avec la FDO, les piégeurs de la Drôme et la FDC(3), nous avions demandé le piégeage (avec des pièges agréés) mais ne l'avons pas obtenu.
Je souligne que le pastoralisme contribue à la biodiversité, à la lutte contre l'incendie, évite des avalanches en entretenant les estives (l'herbe rase favorise la fixation de la sous-couche de neige). C'est aussi pour rappeler notre rôle écologique à reconnaître et encourager dans les territoires que plus de 400 maires se sont regroupés en association, à la suite des rencontres de la montagne 2014 et 2015 au col du Glandon (Savoie). Cette association (USAPR) vient d'ailleurs d'adresser une lettre aux ministres de l'Environnement et de l'Agriculture. »
Avez-vous le sentiment que la perception du problème du loup change dans la société ?
A. B. : « L'opinion publique commence à évoluer mais doucement. Des chaînes de télévision, radios commencent à parler du problème de la prédation. On se rend compte que les éleveurs sont désemparés. Dans notre profession, le taux de suicide est fort. En élevage ovin, nous n'arrivons pas à renouveler les générations : peu de jeunes s'installent et certains abandonnent car le métier est dur. Notre but premier est de produire de la viande de qualité pour nourrir la population. »
Propos recueillis par Annie Laurie
(1) Foxlights : dispositif lumineux autonome composé de 9 leds (blanches et bleues) s'allumant et clignotant de façon aléatoire pour simuler la présence d'une personne autour du troupeau (utilisé en Australie pour effaroucher les renards).
(2) Turbo fladry : autre système de dissuasion constitué de bandelettes en plastique ou tissu fixées sur un fil électrifié, destiné à apeurer le loup en créant une perturbation visuelle et sonore.
(3) FDC : fédération départementale des chasseurs.
La régulation des loups aux Etats-Unis
Au nord des Montagnes rocheuses des Etats-Unis (Montana, Wyoming et Idaho), la restauration des populations de loups (projet démarré en 1982, avec réintroductions faites en 1994 et 1995) s'est déroulée avec un suivi des constitutions de meutes et couples reproducteurs, le piégeage et la pose de colliers émetteurs. De plus, les cartes assez précises de territoires des meutes ont toujours été rendues publiques (aujourd'hui consultables par tous sur internet) et régulièrement mises à jour. En outre, les éleveurs sont avertis des mouvements de loups près de leurs troupeaux.La population lupine a progressé d'environ 150 individus par an jusqu'à atteindre en 2009 et 2010 un effectif minimum estimé à 1 700 adultes. Dès le départ, leur évolution a été placée sous le contrôle des « réintroducteurs ». Les loups à problèmes (s'attaquant au bétail mais aussi aux ongulés sauvages en migration hors des limites des grands espaces protégés) ont été régulés dès les premières années : captures, piégeages et tirs létaux. De 2008 à 2010, les contrôles ont concernés 260 à 270 loups par an (15 % de la population). En 2008, huit meutes entières ont dû être éliminées sur la périphérie du Parc national de Yellowstone. La prédation sur le bétail domestique n'est que de 180 bovins et 330 ovins par an en moyenne. C'est incomparablement moins qu'en France.A voir la situation dans les Rocheuses du Nord (USA) vue par des chasseurs de gros gibiers (cerfs et élans).
Loup / Pour être efficaces, les prélèvements de loups doivent être prompts et préférentiellement ciblés sur les individus devenus trop opportunistes et posant problème, indiquent les 34 scientifiques.« Une véritable gestion s'impose »

« C'est un changement de comportement du prédateur qui était prévisible et connu depuis longtemps aux Etats-Unis, observent les 34 scientifiques ayant signé la tribune. [...] Les dispositifs de protection des troupeaux ont été dévalués en peu d'années. Le loup est intelligent, audacieux et inventif. La stratégie européenne de coexistence a échoué, elle doit être remise en question ». Ces chercheurs estiment qu'une véritable gestion s'impose. « Pour être efficaces, les prélèvements doivent être prompts et préférentiellement ciblés sur les individus, couples ou meutes entières posant problèmes aux activités humaines, à commencer par les loups ou meutes "sans gêne" qui s'attaquent au bétail à quelques mètres des habitations. Les loups doivent associer le bétail aux humains et les humains au danger. »