Allez voir ce que veulent les marchés !

La gestion de l’approvisionnement des cantines des lycées est curieuse. La Région et les parents d’élèves payent, mais c’est le rectorat et ses intendants qui gèrent...
Gilles Pelurson : « C’est l’organisation conforme à la règle et qui, pour assurer sa mission qui est celle de servir des repas aux élèves en quantité et en qualité, fonctionne bien. Elle montre cependant les efforts restant à faire entre la Région et l’État pour développer une dynamique qui prenne mieux en compte la notion de proximité dans l’approvisionnement. Mais, je veux préciser que la proximité ne se cantonne pas aux frontières administratives. Je prends un exemple : le restaurant inter-administration de Lyon propose des yaourts bio qui viennent de la Loire. C’est très bien mais ces yaourts viendraient de la Haute-Loire ou du Jura qu’ils resteraient conformes à un approvisionnement de proximité. Nous devons éviter de nous enfermer dans des frontières administratives trop hermétiques et la saisonnalité est une autre proximité, temporelle celle-là, à laquelle il faut aussi veiller. Au fond, il faut donner du sens à l’acte d’achat pour mieux choisir notre alimentation. »
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à l’approvisionnement de proximité ?
G. P. : « Entre une volonté politique exprimée tant par les élus de la Région que par l’État et sa traduction, c’est toute une chaîne d’acteurs qu’il faut mobiliser pour rendre concrète et visible sur le terrain cette volonté. Je pense que la prise de conscience est là mais que nous nous heurtons encore à des questions d’adaptation de l’offre à la demande, de logistique, de formulation des appels d’offres, d’habitudes aussi. Ma conviction, c’est que les producteurs doivent aller à la rencontre des acheteurs pour étudier leurs besoins en produits et en volumes. C’est à partir de ces informations qu’ils pourront s’organiser pour satisfaire ces demandes du marché. »
La vigilance tatillonne de l’administration de la concurrence sur les appels d’offres n’est-elle pas un frein à l’approvisionnement local ?
G. P. : « Les règles de la concurrence s’appliquent à tous mais c’est moins le cadre des marchés publics qui pose des difficultés que la façon dont les clauses techniques particulières des appels d’offres sont écrites. C’est pour répondre à cette situation et aider les gestionnaires des approvisionnements de la restauration collective que la Draaf de Rhône-Alpes, dès 2010, a publié un guide (*). Depuis, ce guide a été repris par le ministère de l’Agriculture et diffusé dans toute la France pour favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation et accompagner la volonté des acteurs de l’approvisionnement à répondre à l’attente des consommateurs aujourd’hui plus attachés à la qualité de leur alimentation.»
Serge Berra
(*) Guide disponible sur le site du ministère de l’Agriculture : agriculture.gouv.fr
Passer à l’approvisionnement local en restauration collective
Si l'approvisionnement de la restauration collective en produits locaux devient une priorité des pouvoirs publics, il reste de multiples freins dans les organisations. Grâce à une démarche globale, il est possible de passer par dessus les contraintes du code des marchés publics.Les exemples de restaurants collectifs offrant plus de 70 % de produits locaux dans les assiettes ne manquent pas. Ils sont encore insuffisamment nombreux pour que l'on puisse parler de généralisation, mais ils montrent qu'il est possible d'y parvenir avec de la volonté politique. Ainsi, à Saint-Martin-en-Haut (Rhône), le conseil municipal a choisi de rompre son contrat avec une grande société de restauration et d'investir dans une cuisine pour ses établissements scolaires en mutualisant avec des collèges et des écoles publiques et privées. « Les discussions furent parfois difficiles avec le conseil général en charge des collèges, se souvient Jean-Claude Chambe, un membre du conseil municipal de Saint-Martin-en-Haut. Les élus ont souhaité que l'approvisionnement en produits soit réalisé auprès des producteurs locaux pour maintenir une agriculture viable et offrir une restauration performante et de qualité. » Pour être en mesure de répondre aux commandes du restaurant, une association locale d'agriculteurs formalise les achats et organise la logistique. Elle reçoit et répercute aux producteurs les commandes et gère les livraisons. « En termes de coût, nous sommes en dessous des référentiels que l'on nous avait donné », poursuit l'élu.Lever les risques de sanctionLorsque l'on discute avec des responsables d'achats ou de cuisines, ce qui revient le plus souvent, ce sont les craintes quant au contrôle de légalité et aux recours devant le tribunal administratif d'entreprises non retenues lors d'un appel d'offres. « Chaque échelon administratif ouvre le parapluie pour ne prendre aucun risque, explique la chargée des achats d'un lycée de Rhône-Alpes qui préfère rester anonyme. Nous sommes un petit lycée, nous avons notre propre cuisine. Cela est une chance car nous pouvons ainsi acheter en direct beaucoup de produits auprès d'agriculteurs locaux. Mais, depuis quelques années, la direction nous demande de tout faire par écrit, ce qui complique tout. Quand un maraîcher m'appelle pour me demander si je suis intéressée par un lot de légumes, avant il me suffisait de confirmer avec le cuisinier par téléphone pour accepter ou refuser. Maintenant, il faut faire des mails, ce qui nous enlève toute souplesse et nous fait rater des opportunités d'achats locaux. »Un code des marchés publics contraignantLes fonctionnaires confirment également que le code des marchés publics, même s'il offre de nombreuses possibilités pour ne pas empêcher les petits producteurs ou les groupements de répondre, sont mal maîtrisés. « On a toujours peur de ne pas être dans les clous, confie la gestionnaire d'un lycée dans la Loire. Nous avons perdu une fois au tribunal administratif après un recours contre un appel d'offres. Depuis, nous ne voulons plus prendre de risque. » Les appels d'offres simplifiés ne sont, par exemple, pas assez utilisés par les collectivités. Même si les responsables des achats confirment que le guide sur l'approvisionnement local en restauration collective publié par le ministère de l'Agriculture donne des clés utiles, les habitudes ont la vie dure. Les budgets achats sont limités et peu de cuisiniers sont formés pour optimiser les produits en utilisant, par exemple, des fours à basse température pour perdre moins de poids lors de la cuisson ou en réutilisant les restes non servis pour un autre plat. Cela demande de repenser l'organisation du service au sein du restaurant, de former les équipes en cuisine, de réduire le gaspillage. C'est une démarche globale. C. P.