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Elevage

Antibiorésistance : le monde agricole mobilisé pour réduire les risques

Le mauvais usage des antibiotiques, en santé humaine et animale, est un facteur important du développement de l’antibiorésistance. Cependant,
il n’est pas le seul responsable, l’environnement, principalement lorsqu’il est pollué, peut aussi servir de réservoir et (ou) d’amplificateur à la propagation de gènes responsables de la résistance des bactéries.
Antibiorésistance : le monde agricole mobilisé pour réduire les risques

Pour lutter contre l'antibiorésistance, l'Inra a mis en place une stratégie transversale et pluridisciplinaire. Les axes de recherche explorés par l'institut vont de la prévention à l'utilisation raisonnée d'antibiotiques, en passant par la recherche d'alternatives aux molécules antibiotiques classiques.
En raison de la globalité des enjeux liés à l'antibiorésistance, cette problématique doit être traitée de manière globale par une grande diversité d'acteurs, allant de la santé animale à la santé humaine. L'Inra, Institut national de recherche agronomique, est donc naturellement intégré à la stratégie nationale de lutte contre l'antibiorésistance. En effet, même si elle touche les hommes, elle est aussi en lien avec l'élevage. D'une part, car l'antibiorésistance qui apparaît en élevage peut être transmise aux humains, les molécules utilisées sont souvent les mêmes et les gènes responsables peuvent se disséminer dans l'environnement ou via la nourriture. Et d'autre part car l'apparition de résistance pose des problèmes pour traiter les animaux de rente. Le 8 novembre l'Inra a ainsi présenté sa stratégie globale pour lutter contre l'antibiorésistance. « Notre premier objectif est de trouver des solutions pour réduire l'utilisation d'antibiotiques, pas de les bannir complètement », précise Muriel Vayssier-Taussat, chef du département santé animale à l'Inra. L'institut a donc mis en place une stratégie transversale et pluridisciplinaire pour activer différents leviers. Le premier est celui de la prévention des maladies infectieuses. Des recherches sont notamment menées autour des vaccins dans le cadre de projets européens comme le projet Safir.

Prévenir les mammites grâce à l'équilibre de l'écosystème mammaire

Autre axe pour prévenir l'apparition des infections, l'équilibre de la flore commensale et interne des animaux. Les staphylocoques dorés sont la principale cause de mammite chez les vaches laitières. Ils sont aussi responsables une source de toxi-infection dans les produits laitiers (fromage, lait ...). Yves Le Loir, directeur de l'unité Sciences et technologie du lait et de l'œuf du centre Inra Bretagne-Normandie, précise que des études ont ainsi montré que des bactéries lactiques, des lactocoques, avaient la capacité de diminuer la virulence des staphylocoques dorés en inhibant leur concept pathogène dans les produits laitiers. Cette bactérie pathogène sévissant de l'amont à l'aval de la filière laitière, des études ont été menées pour étudier l'effet des bactéries lactiques sur l'apparition des mammites. En Irlande, des études in vivo ont démontré qu'elles étaient efficaces pour prévenir l'apparition des infections mammaires des vaches. « Il s'agit donc d'utiliser de bonnes bactéries pour lutter contre les mauvaises, de prévenir l'apparition de maladie en utilisant des probiotiques », note Yves Le Loir. Actuellement, l'Inra travaille sur l'équilibre des écosystèmes mammaires. « Plus ils seront équilibrés, plus ils devraient pouvoir faire barrières aux mauvaises bactéries. Une étude a démontré que les vaches saines de mammite avaient une plus grande diversité bactérienne dans leurs trayons », explique Yves Le Loir. Deuxième axe de recherche, l'utilisation raisonnée des antibiotiques afin de traiter seulement les animaux malades, au bon moment, et non tout le cheptel. La recherche consiste ainsi à étudier le comportement des animaux pour relever les premiers signes indiquant une maladie infectieuse, par exemple.

Des algues pour lutter contre les bactéries et booster le système immunitaire

Le dernier levier est celui de la recherche d'alternatives aux antibiotiques classiques en cherchant de nouvelles molécules pour lutter contre les bactéries ou pour booster l'immunité des animaux. Des principes actifs issus des plantes et des huiles essentielles sont ainsi étudiés. Mustapha Berri, ingénieur de recherche de l'unité « Infectiologie et santé publique » du centre Inra Val de Loire, étudie quant à lui l'effet d'extrait d'algues vertes, Ulva armorinica sur la croissance des bactéries. Cette recherche, menée en collaboration avec Omis qui commercialise ses algues sous forme de complément alimentaire pour l'homme et l'animal. La paroi cellulaire de cette plante aquatique est riche en polysaccharides sulfatés marins (sucre). Les chercheurs de l'Inra Val de Loire ont testé ce sucre sur 42 souches de bactéries très présentes en élevage bovin, porcin ou aviaire. Ils ont constaté qu'il permettait une réduction, plus ou moins importante, du développement des bactéries. Mais ils ont aussi montré que le polysaccharide sulfaté induit une stimulation de la production des molécules médiatrices de l'immunité par les cellules épithéliales de l'intestin du porc. Cette algue verte, riche en polysaccharide sulfaté, pourrait donc être utilisée en alimentation animale pour inhiber la croissance de pathogène, mais aussi pour stimuler l'immunité des animaux. Elles auraient à la fois une action de lutte directe contre les bactéries et de prévention en renforçant le système immunitaire. Des tests doivent encore être menés pour valider ces résultats. 

 

Les évolutions

En 2017, le volume total des ventes d’antibiotiques à usage vétérinaire a diminué de 5,9 % par rapport à 2016 et le niveau d’exposition des animaux aux antibiotiques a, quant à lui, baissé de 3,6 %. Ces très bons résultats de la filière animale sont accompagnés d’une baisse de l’antibiorésistance dans les filières étudiées par le réseau Résapath.
Baisse de la consommation et de l’exposition aux antibiotiques en filière animale
La surconsommation d’antibiotiques, notamment en filière animale, fait partie des facteurs favorisant l’apparition de l’antibiorésistance. En France, en 2017, d’après les chiffres présentés par Delphine Urban de l’Agence nationale du médicament vétérinaire, le volume total des ventes d’antibiotiques à usage vétérinaire a diminué de 5,9 % par rapport à 2016, pour s’établir à 499 tonnes. Il s’agit du tonnage le plus faible depuis le début du suivi des ventes en 1999 (1 311 tonnes). Les volumes ont diminué de 45,2 % depuis 2011. Cette évolution témoigne donc des efforts fournis par la filière animale, depuis la mise en place du premier plan Ecoantibio (2012-2016) qui avait pour objectif de réduire de 25 % l’usage des antibiotiques sur cette période. Finalement, c’est une baisse de 37 % qui a été enregistrée. Cette diminution est principalement imputable à une baisse des ventes d’antibiotiques administrés par voie orale. « Les résultats du plan Ecoantibio sont très encourageants et doivent nous inciter à maintenir les efforts consentis par tous les acteurs », s’est félicité Patrick Dehaumont, le directeur général de l’alimentation. Fort de ces résultats encourageants, le gouvernement continue sa lutte contre la surutilisation des antibiotiques afin d’éviter le développement de bactéries résistantes ou même multirésistantes (insensibles à trois familles d’antibiotiques différentes au minimum). Les objectifs globaux du plan Ecoantibio 2 (2017-2021) sont d’évaluer les impacts du premier plan, d’en valoriser les résultats et de poursuivre la dynamique en consolidant les acquis et en poursuivant les actions précédemment engagées. Ecoantibio 2 vise également à maintenir dans la durée la tendance à la baisse de l’exposition des animaux aux antibiotiques.
Delphine Urban a cependant tenu à relativiser ses chiffres en soulignant que les tonnages vendus ne traduisent pas toujours précisément leur utilisation. « Les antibiotiques récents sont généralement plus actifs et nécessitent l’administration d’une quantité plus faible de substance active », explique-t-elle.
L’exposition des animaux en baisse
L’Alea (Animal level of exposure to antimicrobials) qui permet de mesurer le niveau des expositions des animaux aux antibiotiques en fonction du poids vif traité à la masse de population animale potentiellement traitée est un indicateur plus objectif. Il est également en baisse. En 2017, l’Alea a diminué de 3,6 % par rapport à 2016. Entre 2011 et 2017, l’exposition globale a diminué de 38,9 %. Le rapport précise que l’exposition aux antibiotiques a baissé de 23,3 % pour les bovins, de 43,5 % pour les porcs, de 48,7 % pour les volailles, de 44,3 % pour les lapins et de 14 % pour les chiens et les chats. Durant le colloque organisé par l’Anses, les résultats de surveillance de l’antibiorésistance en filière animale par le réseau Résapath ont également été présentés par Marisa Haenni de l’Anses à Lyon. Une diminution de résistance de la bactérie E.Coli aux antibiotiques critiques a ainsi été observée. Ces résultats sont cohérents avec la diminution de l’exposition des animaux aux antibiotiques. Entre 1999 et 2011, la proportion de souches bactériennes sensibles aux antibiotiques a légèrement augmenté chez les bovins et les porcs et a doublé en filière avicole. Entre 2011 et 2017, la proportion de souches multirésistantes a significativement diminué dans toutes les espèces animales observées, sauf chez les équidés. 

Entre 2011 et 2017, l’exposition aux antibiotiques a baissé de 23,3 % pour les bovins, de 43,5 % pour les porcs, de 48,7 % pour les volailles, de 44,3 % pour les lapins, selon l’Alea.

 

Médicaments vétérinaires : une nouvelle réglementation pour 2022

Le Parlement européen a adopté à une large majorité, fin octobre, les trois accords trouvés avec les États membres sur les propositions de la Commission de Bruxelles concernant les médicaments vétérinaires qui doivent notamment permettre de limiter le recours aux antibiotiques : le premier sur les médicaments vétérinaires eux-mêmes, le deuxième sur la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation d’aliments médicamenteux pour animaux et le troisième sur l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire.
La nouvelle législation limite l’utilisation prophylactique (par mesure préventive, en l’absence de signes cliniques d’infection) aux animaux individuels (et non aux groupes d’animaux) et uniquement si cela est pleinement justifié par un vétérinaire, lorsqu’un risque élevé d’infection est avéré. L’utilisation métaphylactique (traitement d’un groupe d’animaux dont l’un présente des signes d’infection) devrait être un dernier recours et n’être possible qu’après diagnostic et prescription des antimicrobiens par un vétérinaire. La nouvelle réglementation confirme l’interdiction de l’utilisation d’antibiotiques comme facteurs de croissance.
Appliquer ses exigences aux importations
Afin d’aider à lutter contre la résistante antimicrobienne, la législation donne à la Commission européenne le pouvoir de sélectionner les antimicrobiens qui devront être uniquement réservés aux traitements humains. Et, comme l’ont demandé les eurodéputés, le texte impose également que les denrées alimentaires importées répondent aux normes communautaires, notamment la non-utilisation d'antibiotiques comme facteurs de croissance.
Afin d’encourager la recherche sur de nouveaux antibiotiques, la législation propose des incitations, en particulier l’allongement des périodes de protection pour la documentation technique relative aux nouveaux médicaments, la protection commerciale pour les substances actives novatrices et la protection des investissements dans les données produites pour améliorer un produit antimicrobien existant ou pour le maintenir sur le marché.
L’accord doit encore être adopté de façon formelle par le Conseil de l’UE avant publication au Journal officiel de l'Union d’ici la fin de l’année pour une entrée en vigueur au plus tard en 2022.
La Commission européenne poursuit par ailleurs la mise en œuvre de son plan d’action pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens adopté en juin 2017. Le 26 octobre s’est réuni pour la troisième fois à Bruxelles le réseau européen AMR One-Health (résistance aux antimicrobiens, une seule santé) pour faire notamment le point sur les bonnes pratiques mises en place par les États membres. 

 

Médecine / L’antibiorésistance est un problème qu’il faut traiter de manière transversale. Les antibiotiques utilisés en élevage ont une influence sur l’antibiorésistance des bactéries humaines et inversement.

Comprendre l’antibiorésitance

L’antibiorésistance est un enjeu de santé publique majeur. En remettant en cause la capacité de soigner les infections, même les plus courantes, elle pourrait devenir l’une des causes principales de mortalité dans le monde. En France, d’après l’Anses, elle serait la cause de 12 500 décès par an. L’usage abusif d’antibiotiques au cours des dernières décennies est en partie responsable de l’apparition de résistance aux antibiotiques chez les bactéries. Depuis déjà plusieurs millions d’années ces dernières évoluent, modifiant notamment leur génome, pour s’adapter à leur environnement, se nourrir, se multiplier et survivre. En quelques années seulement, elles ont donc réussi à évoluer, pour résister aux armes déployées pour les combattre. La propagation de la résistance aux antibiotiques repose sur l’acquisition de gènes de résistance, soit par mutation, soit par assimilation de morceaux de génomes, notamment via l’ADN plasmidique (morceau de matériel génétique de forme circulaire extérieur au génome de la bactérie) entre différentes bactéries. Un « pont cellulaire » se crée entre les deux organismes permettant ainsi le transfert de l’ADN. Elles peuvent aussi récupérer de l’ADN libre dans l’environnement pour l’intégrer à leur génome. Cette action peut ainsi permettre à l’organisme receveur d’acquérir des avantages compétitifs et potentiellement des gènes d’antibiorésistance. Certains virus, notamment les phages, sont aussi de potentiels vecteurs de ces gènes.
L’antibiorésistance : une problématique transversale
Cependant, l’apparition de l’antibiorésistance et la diffusion des morceaux d’ADN responsables de l’expression de ce caractère ne sont pas seulement causées par la surconsommation et le mauvais usage des antibiotiques. La transmission des gènes peut se faire via le contact de personne à personne, les eaux usées, les activités comme l’épandage de résidus (provenant d’élevages ou d’hôpitaux par exemple), ou via les animaux sauvages ou domestiques. Les gènes de résistances peuvent donc être transmis au sein même d’un organisme infecté (entre plusieurs bactéries), entres deux organismes infectés, ou à des bactéries présentes dans l’environnement. La surutilisation d’antibiotiques est le facteur initial de l’émergence et du maintien de souches résistantes. Mais l’environnement, principalement lorsqu’il est pollué, peut aussi servir de réservoir et (ou) d’amplificateur à leur propagation, à leur multiplication et à la transmission des gènes. L’antibiorésistance est donc un problème qu’il faut traiter de manière transversale. Les antibiotiques utilisés en élevage ont une influence sur l’antibiorésistance des bactéries humaines. Inversement, ceux utilisés en médecine humaine peuvent aussi être des vecteurs de gènes de résistance pour des bactéries qui infectent les animaux.
Les éleveur ont grandement réduit l’usage des antibiotiques avec leurs animaux.