“ Apparaître comme écologiste est devenu un enjeu ”

Comment analysez-vous la communication des chasseurs ?
Christophe Baticle : « Dans les années 1970, les chasseurs étaient adeptes du « vivons heureux, vivons cachés » et communiquaient assez peu. Dans les années 80, l'état d'esprit a tourné davantage à l'affrontement avec l'apparition d'une forme de défiance de ce milieu à l'égard des sciences. Les chasseurs opposent une « écologie de trottoir » et une « écologie de terroir ». En 1995 et 2002, le discours des chasseurs était plutôt politique, autour du parti Chasse, pêche, nature et tradition. Ensuite, la communication fut plus scientifique, les chasseurs se positionnant comme sentinelles de la nature, chargés de récolter des données, d'alerter et d'effectuer un suivi des populations. On parle de chasse gestion. Aujourd'hui, on semble revenu à un lobbying plus classique, basé sur le réseau et la communication. »
On oppose souvent les écologistes et les chasseurs...
C. B. : « Les chasseurs ont adapté la posture de dire : "On est des acteurs de la nature. Nous représentons une forme d'écologie, on ne va pas à contre-sens de la nature. " C'est une forme d'écologie anthropologique à l'inverse de la deep écologie, partagée par les écologistes, où l'homme est vu comme un obstacle. Mais, dans les faits, les deux veulent préserver les haies et le gibier par exemple. Dans les médias, chaque groupe est obligé d'adopter des positions caricaturales. Le débat se cristallise sur « les vrais écologistes, c'est nous ». Apparaître comme un écologiste est devenu un enjeu, preuve que ce statut a acquis une valeur positive. »
Les chasseurs sont beaucoup critiqués pour la mise à mort, qu'en pensez-vous ?
C. B. : « Le monde devient aseptisé de certaines choses. Le rapport au vivant et à la mise à mort est en train de changer. Pour justifier leur pratique, les chasseurs avancent souvent l'argument de la tradition. Critiquer la chasse serait critiquer les pratiques populaires. Or, si on parle de la chasse de peuples traditionnels, cela ne gêne pas la population. Ce n'est pas la chasse qui gêne en réalité, c'est l'image populaire du chasseur qui interpelle. Pourtant, il n'y a pas d'unité au sein des chasseurs. Les catégories socioprofessionnelles varient d'une fédération à une autre. Il y a une vraie dimension de classe et de territoire dans la chasse. Il faut rendre son territoire attractif aux autres chasseurs tout en limitant l'entrée de chasseurs extérieurs au territoire. Le foncier joue un grand rôle dans la façon d'appréhender la nature. »
Les chasseurs parlent de prélèvement ou de battue. Que pensez-vous de ce vocabulaire ?
C. B. : « Les mots sont une chose importante, ils ont un impact face à un public donné. Il est difficile d'avoir une bonne solution. Prélever rappelle une attitude gestionnaire, c'est bien vu par la population. Mais entre chasseurs, ils utilisent bien le verbe tuer. Or, pour recruter, les pratiquants ont besoin d'une forme d'enchantement. Ce qui fait rêver le chasseur, c'est de retrouver au coin d'un bois un animal fabuleux, exceptionnel. C'est le syndrome de Bambi. Mais c'est aussi ce dont rêve l'écologiste. Les deux groupes ont cet idéal d'ensauvagement occidental. Mais cette nature n'existe pas. »
Propos recueillis par Virginie Montmartin