« Au nom de la terre », film implacable sur le suicide en agriculture

Plusieurs films ces dernières années ont abordé le thème des difficultés dans le monde agricole. « Au nom de la terre », le film du réalisateur Edouard Bergeon, qui sortira au cinéma le 25 septembre, apparaît comme à part. Inspiré de sa propre histoire familiale, l'œuvre, sa première de fiction, retrace les étapes amenant à une issue dont on saisit vite qu'elle sera tragique. Face à un destin tracé, l'une des forces du récit est justement de ne pas oublier les moments de joie, ceux où la menace paraît absente, rendant plus douloureux le constat de ce qui a été perdu.
Fils d'agriculteur, Pierre Jarjeau (Guillaume Canet) reprend l'exploitation de son père (Rufus) en 1979, une ferme de 500 brebis. Il revient d'un voyage aux États-Unis, pays où il a vu « des ranchs de plus de 10 000 bêtes ». D'une génération à l'autre, l'horizon, déjà, semble ne plus être le même. « Je suis un entrepreneur », affirmera Pierre à plusieurs reprises durant le film. L'attachement à la terre reste, lui, intacte. « L'important est que ça reste dans la famille », assure le père au moment de céder les rênes. La phrase hantera le récit de bout en bout, symbole de tous les sacrifices consentis pour conserver cette terre qui se confond avec l'histoire familiale.
Plus maître de son destin
Jouant sur les couleurs, le film s'assombrit au fur et à mesure que s'éloigne cette époque où tout semblait encore possible. Pierre et sa compagne Claire (Veerle Baetens), installée aussi, élèvent leurs deux enfants dont l'aîné, Thomas (Anthony Barjon), fait des études agricoles et aide son père. L'exploitation s'est agrandie, modifiée. Mais bientôt cela ne paye plus et les dettes s'accumulent. Claire le met en garde, tente de le raisonner. Lancé à marche forcée dans un modèle dans lequel il n'apparaît plus entièrement maître de son destin et de son exploitation, Pierre se bat jusqu'à l'épuisement. Transformé physiquement, Guillaume Canet en devient méconnaissable. Le film, rempli d'une colère sourde, décrit un monde agricole devenu un système laissant l'agriculteur en homme seul face aux difficultés qui s'amoncellent, malgré la présence de sa famille. Et lorsque, face au naufrage de son fils, son père lui conseille de « travailler deux fois plus », Pierre s'écroule.
Le constat posé par Edouard Bergeon sur les causes du suicide dans le monde agricole paraît donc dur et implacable. « La seule façon de s'en sortir, c'est de partir », finit d'ailleurs par lâcher Pierre à son fils désireux de reprendre l'exploitation.
« Au nom de la terre » /
Après la séance, un temps d'échange

« Ce film nous laisse sans voix, il est bouleversant de réalité, a confié Grégory Chardon, président de la FDSEA de la Drôme. Face à certains problèmes, comme le loup, la grêle dévastatrice, on essaie de chercher des solutions. Mais ce ne sont que des pansements. Il est donc important de prévenir avant que n'arrive le pire. Il faut renforcer les liens de solidarité. » Pour le président de la MSA, « il faut réapprendre à voisiner ». Et, pour le directeur de la caisse, il est important de « sensibiliser toutes les personnes intervenant dans les exploitations afin qu'elles soient en capacité d'alerter la MSA. » « La détection, la prévention, c'est l'affaire de tous », a considéré Cécile Ranc, responsable adjointe du service d'action sanitaire et sociale de la MSA.
D'autres personnes ont pris la parole pour évoquer leur vécu, critiquer certains aspects du film... Mais, globalement, l'initiative de cette soirée a été saluée.
Christophe Ledoux