Beurre et poudre, un équilibre fragile

«Toutes les conditions semblent réunies pour une nouvelle crise laitière, dure et longue », alerte, André Pflimlin, expert auprès du Comité européen des régions (CdR). Cette analyse fait suite à la décision des ministres européens de l'Agriculture, le 29 janvier, de porter à zéro le plafond des achats à prix fixe dans le cadre de l'intervention publique sur la poudre de lait écrémé à partir du 1er mars 2018. En somme, Bruxelles se refuse à rouvrir le mécanisme d'intervention pour 2018 et se retrouve avec 380 000 tonnes de poudre de lait sur les bras, achetées depuis 2015. Or, cette poudre est un coproduit du beurre et sa production dans les pays européens ne devrait pas diminuer en 2018 puisque le beurre se vend cher aujourd'hui.
« Un risque de surproduction » pour Phil Hogan
Phil Hogan est sans appel : « Il y a un risque de surproduction alors que nous avons toujours 380 000 tonnes de stocks de poudre ». Damien Lacombe, président de Coop de France-Métier du lait, s'inquiète lui aussi, de ces stocks de poudre : « Nous avons la volonté d'être offensifs sur ces stocks de poudre qui pèsent sur le marché. Il ne suffira pas de se contenter de dire que c'est le marché qui va réguler la production ». À cela s'ajoute l'arrivée du printemps, soit le pic de production européen. FranceAgriMer écrit à ce sujet que « compte tenu des volumes de poudre en stock et de la reprise de la collecte, avec le pic saisonnier attendu au printemps, une remontée significative des cours de la poudre de lait écrémé est difficilement envisageable dans les prochains mois ».
De lourds stocks de poudre de lait
Pour Damien Lacombe comme pour Frédéric Courleux, économiste chez Momagri, il est urgent de trouver une solution pour faire disparaître les stocks de poudre. « Une poudre vieillissante », souligne Gérard You, chef de service conjoncture laitière à l'Institut de l'élevage. Pour bon nombre d'acteurs, cette poudre ne peut être attribuée qu'à l'alimentation animale, mais elle reste encore trop chère. « Il faut rendre le prix de la poudre de lait assez attractif pour que les fabricants d'aliments acceptent les contraintes additionnelles de transport liées aux lieux et formes de stockage », relève André Pflimlin. Il constate, comme d'autres, que les éleveurs de porcs seraient le mieux à même de valoriser cette poudre. Même si cette attribution coûte moins cher à l'UE que la destruction ou le don, Bruxelles semble s'y opposer car cette solution est jugée trop coûteuse, comme le rapporte Damien Lacombe.
Le prix du lait aux producteurs
Et Frédéric Courleux de s'insurger de cette réponse : « Qu'est ce qui sera trop coûteux : vendre la poudre pour l'alimentation animale ou faire les frais d'une nouvelle crise ? Nous restons toujours dans la même séquence de la fin non maîtrisée des quotas laitiers », dénonce-t-il. Il estime même que Phil Hogan prend un gros risque politique dans un contexte de réforme de la Pac. Gérard You décrit lui aussi une « politique attentiste » de la part de la Commission européenne.
Et cela d'autant plus que, selon lui, le prix du beurre pourrait revenir « en tension » durant l'été prochain car les stocks ne sont pas si importants et « certains opérateurs vont chercher à se couvrir ». Entre un prix du beurre élevé et un prix de la poudre bas, le prix payé au producteur devrait, à l'image de 2017, se tenir un minimum. Benoît Rouyer, économiste au Cniel, note ainsi dans son analyse de conjoncture que « l'année 2018 s'annonce pour l'instant assez similaire à 2017. Les importants stocks de poudre de lait ne permettent pas d'envisager un scénario euphorique. Mais a contrario, le manque de beurre donne quelques assurances, en mettant un garde-fou vis-à-vis d'une éventuelle dégradation de la conjoncture ».
2018, année charnière
Damien Lacombe se veut optimiste : « Il ne faut pas vendre le pire pour 2018 (...). C'est une vraie année charnière avec une filière laitière française qui a besoin de plus d'années favorables et des éleveurs qui « ont besoin de refaire leur trésorerie ». Si l'un des marqueurs, beurre ou poudre, dérape, il s'agira d'« une nouvelle année noire », estime André Bonnard, secrétaire général de laFédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Afin d'éviter cela, il imagine déjà des changements possibles à Bruxelles, face à l'urgence de la situation, avec « une contractualisation rendue européenne » et une maîtrise des volumes déléguée aux opérateurs.
Du côté des producteurs, l'année risque d'être encore compliquée avec des défaillances d'entreprises possibles à la clef. Mais Bruxelles peut toujours envoyer des signaux pour influencer les marchés.
E. D.