Bioreco : Jusqu'à 45 % de pesticides en moins

Sylvaine Simon, rappelez-nous ce qu'est le programme Bioreco.
Sylvaine Simon : « L'objectif de Bioréco était de concevoir et d'expérimenter un verger innovant pour réduire l'utilisation des pesticides, tout en assurant une production correcte en quantité et qualité. L'essai a porté sur 3,3 hectares de pommiers plantés en janvier 2005 et duré jusqu'en 2015, soit onze ans.
Neuf systèmes combinant trois logiques de protection et trois variétés ont été suivis avec une approche système, ce qui était original à l'époque. La logique « Rai », le conventionnel raisonné, a consisté à intervenir à bon escient, avec efficacité et sans prise de risques. La logique « Eco » était la combinaison de différentes méthodes alternatives et une protection chimique en dernier recours avec des pesticides sélectifs. Avec la logique « Bio », il s'agissait de limiter le recours à la lutte directe et l'utilisation du cuivre. Comme variétés de pommes, avaient été choisies Smoothee (sensible à la tavelure), Melrose (peu sensible aux maladies) et Ariane. Les performances agronomiques, environnementales et économiques de ce verger ont été évaluées dans la durée. »
Quels sont les résultats de cette expérimentation en termes d'indices de fréquence de traitement (IFT) ?
S. S. : « Avec un IFT de 37, le système « Rai Smothee » est dans la moyenne des références Ecophyto du Sud-Est pour les variétés de type Golden. Nous avons réussi à réduire de 40 à 45 % l'utilisation des pesticides dans quatre des systèmes (« Bio » et « Eco » plantés avec les variétés résistantes et peu sensibles aux maladies, c'est-à-dire Ariane et Melrose). Le gène de résistance à la tavelure d'Ariane a toutefois été contourné en 2012. Du coup, le nombre de traitements a dû être augmenté et, malgré cela, la maladie n'a pas toujours pu être complètement contrôlée en « Bio ». Sur variété sensible, le potentiel de réduction de l'utilisation de pesticides reste limité. »
Quels autres enseignements en tirez-vous ?
S. S. : « Les rendements sont de même niveau entre les modalités « Eco » et « Rai », même si des petites différences ont été constatées entre variétés. En « Bio », ils sont plus faibles mais acceptables. Cela en raison de fruits plus petits et d'une charge moindre laissée sur les arbres pour une meilleure régularité de production. Quelques attaques de bioagresseurs (pucerons et tavelure principalement) ont été observées certaines années. Sur au moins six ans de données, le pourcentage de fruits de premier choix est le même dans les logiques « Eco » et « Rai ». Par contre, il est en deça dans la logique « Bio », du fait des attaques de bioagresseurs et des calibres inférieurs.
Au départ, la logique « Rai » était traitée chimiquement contre le carpocapse, avant d'être gérée par confusion sexuelle à partir de 2013. Sur les communautés biologiques, ce changement s'est traduit par une augmentation de l'abondance des forficules (auxiliaires généralistes). Par contre, pour les arthropodes de la surface du sol (araignées), la réponse est bien plus lente. Quant au cuivre et au soufre utilisés en « Bio », ils ont un impact environnemental qui pénalise cette modalité par rapport à « Eco » mais elle est mieux notée que « Rai ». Concernant les gaz à effet de serre, le passage du désherbage chimique au désherbage mécanique n'accroît pas le niveau d'émission global (direct au champ et indirect lors de la fabrication des intrants) et permet de supprimer les pollutions liées aux herbicides. »
Que concluez-vous sur le coût de ces stratégies de protection et leur faisabilité ?
S. S. : « L'analyse technico-économique 2009-2014 (plantation en pleine production) montre un petit surcoût pour les logiques « Bio » surtout et « Eco », par rapport à la logique « Rai ». Les pommes coûtent plus cher à produire en bio. Mais la plus-value des fruits « Bio » est toujours supérieure au prix de revient.
Concernant la faisabilité, la stratégie « Eco » s'accompagne de contraintes de mise en œuvre : problème d'accès aux informations et à leur combinaison (données météo, logiciel de prévision de risques de dégâts), temps de contrôle dans le verger notamment lors de pics d'activité ; taille de l'exploitation, matériel et personnel disponibles pour intervenir au "dernier moment" ; absence de valorisation de la production en circuit "classique".
Tous les systèmes ont leurs mérites et leurs limites. Pour les systèmes conventionnels - qui sont performants sauf sur l'aspect environnemental - les améliorations doivent porter sur la réduction de l'utilisation des pesticides. Pour les systèmes économes en intrants, la faisabilité doit être améliorée. Quant au système « Bio », il est pénalisé par son rendement. Toutefois, c'est celui qui réalise le meilleur compromis (il coûte plus cher mais il est mieux valorisé). C'est peut-être aussi le plus risqué pour le contrôle des ravageurs et maladies. »
Propos recueillis par Annie Laurie
Inra de Gotheron / Un nouveau projet est en cours de construction à l'Inra de Gotheron. Essayer de produire sans pesticides en maximisant la régulation naturelle des ravageurs, tel sera le challenge.Produire sans pesticides : un projet à l'extrême
Les premières plantations ainsi que des aménagements pour la biodiversité débuteront au cours de l'hiver 2017-2018 sur une petite surface, qui sera progressivement agrandie au fil du temps. Le projet est prévu pour une quinzaine d'années sur environ huit hectares. Seront aménagées des zones de production de fruits (à pépins, à noyau et à coque), des zones supports de biodiversité, des brise-vent, des zones pour produire de l'azote (fourni directement par des légumineuses ou indirectement par les vaches de la ferme du Valentin)... Les 2,3 hectares restants du dispositif Bioreco (systèmes « Bio » et « Eco ») servent aujourd'hui à tester des leviers pour le futur projet. Des œillets d'Inde y ont été semés en avril 2016 et du romarin planté à l'automne afin de mesurer leur intérêt comme plantes répulsives pour les ravageurs.
« La démarche se veut "pas à pas" : plusieurs "prototypes" plus ou moins en rupture seront testés (implantés sur quelque années), précise Sylvaine Simon. Ce projet s'envisage en lien avec des dynamiques locales et nationales, en particulier avec la plateforme Tab(*) et le lycée agricole du Valentin. »(*) Plateforme Tab : plateforme des techniques alternatives et biologiques (Etoile-sur-Rhône).