Blé dur : un manque d’attractivité préjudiciable
Les inquiétudes sur la filière blé dur ne cessent d’accroître alors même que le Canada s’impose comme un leader incontesté du marché mondial. En face, la France, et plus globalement l’Europe, pâtit de rendements mineurs et d’une qualité dégradée.

Alors que le Canada réalise les deux tiers des exports mondiaux (67 %) de blé dur, l’Europe est le premier importateur (33 %), suivi de près par le « bloc Maghreb » (Algérie, Maroc, Tunisie) avec 30 % des importations. Ces données ont été mises en évidence dernièrement lors d’un colloque tenu par Arvalis en visioconférence. Nicolas Prévost, responsable commercialisation et collecte pour la coopérative Arterris, n’envisage « pas de reconstitution des stocks » cette année, après les bas niveaux de la dernière campagne liés notamment à un effet Covid de surconsommation. Il a également fait le constat d’un fort déséquilibre de l’offre entre les pays producteurs : « L’offre européenne est déficitaire, avec des surfaces restées stables mais des rendements, à l’exception de l’Espagne, très décevants dans le Sud de l’Italie, en France et en Grèce. En face de cela, nous avons une offre canadienne très abondante, avec une disponibilité très importante qui vient concurrencer tous les autres opérateurs sur les marchés mondiaux », souligne-t-il. Au-delà de ce déséquilibre de la répartition de l’offre, « il faut aussi noter un déséquilibre de la répartition qualitative de l’offre, avec en Europe des qualités plutôt dégradées du fait des conditions climatiques extrêmes que nous avons connues, et au Canada une qualité extraordinaire tout au long du cycle végétatif, comme jamais vu », rajoute Nicolas Prévost. Alors que les marchés des grains atteignent des sommets, celui du blé dur connaît un manque d’attractivité préjudiciable. « Le marché semble décorrélé », selon Nicolas Prévost, avec une relative stabilité des prix.
Renforcer sa place sur les marchés
Par ailleurs, les débouchés du blé dur français ont largement évolué lors de la dernière décennie. En effet, selon la répartition des parts de marché, celle des « utilisations intérieures » s’est stabilisée entre 2008 et 2019. En revanche, les exportations vers les pays tiers ont fortement réduit (de 34 à 14 %), au profit de l’Union européenne (de 39 à 58 %). « Nous avons un blé dur reconnu pour ses qualités. Si nous voulons avoir une filière forte qui soit compétitive, nous devons avoir la capacité de nous positionner sur l’ensemble des marchés », explique Charles Neron Bancel, responsable achat blé dur chez Panzani. « Cela dépendra bien entendu des quantités disponibles sur le marché et des qualités que nous aurons la capacité de proposer. De mon point de vue, il n’y a pas de compétition entre ces différents marchés, nous avons une complémentarité à avoir », poursuit-il. Et Nicolas Prévost de conclure : « La force de la filière blé dur française réside dans sa capacité à répondre à tous les débouchés, à s’adapter à la demande du marché intérieur et à ses fortes évolutions, mais aussi à la capacité d’adapter ses pratiques pour être un acteur fort à l’export ».
Amandine Priolet
Un plan stratégique pour le blé dur
«La surface et la production française de blé dur ont été divisées par deux en dix ans seulement, et cette baisse affecte les quatre bassins de productions en France. Les producteurs sont aujourd’hui dans une situation économique difficile, les activités de collecte, de transformation et d’exportation risquent également d’être déstabilisées, alerte Éric Thirouin, président de l’association générale des producteurs de blé (AGPB). Nous sommes dans une période clé, notamment avec la préparation du plan stratégique national et des discussions sur les outils de la Pac (aides directes ou couplées, programmes opérationnels, mobilisation des aides du deuxième pilier, soutiens mobilisables dans le cadre des plans de relance…) .» Prochainement, dans le cadre d’Intercéréales, sera lancée une étude stratégique en vue d’améliorer la compétitivité de la filière et relancer la production et la transformation du blé dur en France. Elle s’articulera autour de deux axes : coûts de productivité et valeur. « L’objectif est d’identifier des solutions et préparer un plan d’action en vue de redynamiser le secteur, et ainsi de faire du blé dur une culture d’avenir et rémunératrice pour les producteurs », prévient Éric Thirouin. L’ambition repose également sur le souhait d’améliorer la compétitivité tout au long de la filière, de relancer la production et la transformation et répondre aux attentes des clients et des consommateurs de couscous et de pâtes.
A.P.
Changement climatique : trouver des stratégies d’adaptation
Alors que les prévisions liées au changement climatique inquiètent de plus en plus le monde agricole, Arvalis travaille sur le sujet en coordonnant le projet Durostress (2020-2023). Celui-ci vise à caractériser le potentiel d’adaptation d’un panel de génotypes de blé dur face aux stress hydriques et thermiques afin de développer des outils permettant d’identifier les stratégies les plus performantes au niveau agronomique. Plus de cinquante variétés, génétiquement diversifiées, seront évaluées sous des climats plus extrêmes que le climat français (Portugal et Italie notamment), mais qui pourraient, à terme, devenir prédominants en France. L’évaluation s’appuiera sur un total de 21 essais et permettra, à l’avenir, de préconiser aux agriculteurs des variétés adaptées à l’évolution des contraintes climatiques.
A. P.
Covid-19 : « Les usines ont assuré la continuité de l’approvisionnement »

Dès le début de la crise sanitaire, la filière blé dur a su répondre collectivement à l’augmentation de la demande, notamment pour approvisionner les magasins en pâtes. « La filière a su faire preuve d’adaptabilité, grâce à une solidarité exprimée par tous », se réjouit Nicolas Prévost, responsable commercialisation et collecte pour la coopérative Arterris. Un avis partagé par Bernard Skalli, président du comité français de la semoulerie industrielle et vice-président du syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires : « Les usines ont assuré la continuité de l’approvisionnement dans les grandes surfaces alors qu’il n’y avait plus d’importations possibles. Les collaborateurs ont travaillé 7 jours sur 7 pour produire, en mars 2020, 100 % de plus qu’un mois habituel. Enfin, tout ceci s’est déroulé sans augmentation de prix, alors qu’il y avait des surcoûts assez considérables dans les usines, sur le poids de la logistique tendue à ce moment-là ». La crise sanitaire a montré aux consommateurs l’importance des marques françaises, alors même que les frontières étaient fermées, empêchant toute importation. « Le consommateur a pris conscience que les marques françaises étaient là pour répondre à la demande. Mais faut-il en tirer des conséquences ? » s’interroge Bernard Skalli. Toujours est-il que la Covid-19 a accéléré les tendances de consommation des Français, désireux de se tourner vers des produits locaux, biologiques… Le groupe Alpina Savoie avait justement fait le pari du local depuis longtemps. « La société travaille sur l’origine France avec la mise en place des premières filières en conventionnel dès 1997, et en agriculture biologique depuis plus de dix ans », rappelle Antoine Chiron, responsable filières au sein du groupe Alpina Savoie. Ce dernier souligne que davantage d’agriculteurs sont en recherche de solutions pour faire moudre leur blé dur. « De plus en plus de producteurs ont même l’envie d’aller vers la transformation, de monter leur petit moulin, pour faire du local », conclut-il. La filière a donc de beaux axes de développement en perspective…
A. P.