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Lutte contre le gaspillage alimentaire

Ces acteurs qui se mobilisent contre le gaspillage alimentaire

La loi de février 2016 sur le gaspillage alimentaire a contraint la grande distribution à valoriser ses déchets et à donner à des associations ses invendus.
Une myriade de start-up ou d’associations a émergé pour accompagner, conseiller, mettre en relation ou sensibiliser à la lutte contre le gaspillage alimentaire. La Commission européenne s’y intéresse également et réfléchit à inclure des critères liés à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la future Pac.
Ces acteurs qui se mobilisent  contre le gaspillage alimentaire

«Le secteur des biodéchets a le plus gros potentiel de travail du 21e siècle. En créant notre société, on avait un objectif : réduire le volume des poubelles », explique Séverine Leurent, directrice de Phénix Auvergne-Rhône-Alpes. Créée il y a trois ans et demi, Phénix conseille les autres entreprises dans la gestion de leurs déchets et leurs invendus alimentaires. Avec des clients de renommée nationale tels que Carrefour, Casino ou encore Leclerc, Phénix France, c'est plus de 40 tonnes de produits sauvés en France soit 80 000 équivalents repas pour un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros annuel. Cela fait maintenant un an et demi qu'elle est implantée à Lyon.

De nouvelles filières à créer

À l'échelle nationale, la cible prioritaire de la start-up est la grande distribution. Phénix s'occupe également des magasins de proximité. La société leur propose de réaliser un stickage des dates courtes, de faire des promotions ou encore du reconditionnement. Ceci constitue la première étape de la lutte contre le gaspillage : réduire au préalable au maximum les invendus. La deuxième étape consiste aux dons d'invendus au bénéfice des associations. À titre d'exemple, sur l'agglomération lyonnaise, tous les invendus encore consommables partent en dons pour la banque alimentaire.
Le reste, trop abîmé, est jeté et incinéré car les sites de compostage et de méthanisation sont trop loin de la ville.
Il existe en effet seulement une unité de méthanisation de déchets ménagers, située à Bourg-en-Bresse dans l'Ain. Un acheminement de biodéchets coûterait donc trop cher et aurait peu de sens environnementalement. Phénix cherche donc à monter des filières de transformation ou des partenariats avec des éleveurs des environs (élevage porcin notamment) pour remédier à ces pertes.

Comme Phénix, de nombreuses start-up ont vu le jour depuis la loi de 2016 obligeant la grande distribution à valoriser les déchets alimentaires et à donner ses invendus intacts. Elle a été propice au développement des entreprises et du marché de gestion des déchets alimentaires. Depuis près d'un an, une start-up fait fureur avec son dispositif :
Too Good To Go. « Il s'agit d'une application qui a vu le jour en 2016 et qui permet de faire l'intermédiaire entre les commerçants partenaires et les utilisateurs, afin d'écouler les invendus du jour. Rapidement, avec le succès que l'on a connu à Paris et Lille, nous sommes arrivés à Lyon. Aujourd'hui, nous sommes présents dans 40 villes et travaillons avec 2 200 commerçants », raconte Camille Colbus, directrice des opérations Too Good To Go France.

Réduire les pertes dans la restauration collective

Si cette start-up a choisi de miser sur les particuliers, et Phénix sur les entreprises de distribution alimentaire, d'autres sociétés comme Mille et un repas, se sont plutôt intéressées au gaspillage lié à la restauration hors foyer. Si Mille et un repas n'est pas vraiment une start-up, puisqu'elle a fêté il y a peu ses vingt ans d'existence, c'est en revanche un précurseur de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle accompagne la restauration collective dans l'élaboration de ses menus à base de produits frais de saison.
« Jean-Frédéric Geolier est un président qui a des valeurs humaines et environnementales fortes. En 2007, effaré de voir tant de gaspillage dans ses restaurants, il a décidé de créer la démarche Zéro Gaspil'», se remémore Ronan de Dieuleveult, directeur des relations extérieures, du marketing et de la communication de Mille et un repas. Avec 130 restaurants en gestion intégrée sur toute la France, 60 % des établissements en Auvergne-Rhône-Alpes, l'entreprise emploie 750 personnes. Elle réalise un chiffre d'affaires de 45 millions d'euros. « Sur un plateau moyen de 450 grammes, c'est un tiers du plateau, soit 167 grammes, qui sont jetés », rappelle Ronan Dedieuleveult. Après une étude, l'entreprise s'est rendu compte que « les lignes de self linéaires étaient génératrices de gaspillage car elles ne tiennent pas compte dans les portions de la taille, morphologie, faim, etc. ». Elle a donc décidé de les supprimer et de mettre des pôles de distribution en libre-service et à volonté à la place. Avec cette nouvelle manière de fonctionner et une sensibilisation au gaspillage, les déchets alimentaires ont été réduits de 167 à 20 grammes dans les cantines scolaires. « L'aspect pédagogique auprès des enfants est très fort », souligne le directeur de la communication. Cette réduction du gaspillage a permis aux chefs cuisiniers de faire des économies, qu'ils réinvestissent ensuite dans la qualité des produits en se fournissant local et bio, avec des produits qui sont 20 à 30 % plus chers. « En plus de lutter contre le gaspillage alimentaire, Mille et un repas est un acteur de l'économie circulaire, car il optimise au maximum la production locale », conclut Ronan Dedieuleveult.
La lutte contre le gaspillage alimentaire est également un moteur pour l'innovation. La jeune pousse lyonnaise Fwee rachète les fruits invendus aux producteurs pour les transformer en cuir de fruit, une sorte de bonbon qui se conserve longtemps et est facile à préparer. Le succès est tel pour l'entreprise, lancée en 2015, qu'elle vient d'être récompensée « expert de l'innovation dans l'agriculture » par la Commission européenne. Une volonté d'innover qu'on retrouve aussi chez les plus jeunes, comme celle que représente TakeAway. Créée par des étudiants lyonnais en 2012, l'entreprise a fait son trou et tente de démocratiser au quotidien le doggy-bag pour emporter ses restes de repas du restaurant à la maison. 

Manon Laurens & Hugo Girardot

 

42 000 tonnes de pommes n’arrivent pas sur les étals chaque année faute de pouvoir franchir les étapes d’une sélection drastique.
Parcours / 221 000 tonnes du fruit le plus mangé de France, la pomme, sont gaspillées chaque année de la production à la consommation. Cela représente 15 % du total. De nombreux acteurs se mobilisent pour lui donner une chance d’être consommée.

Une nouvelle vie pour les pommes invendues

Environ 42 000 tonnes de pommes ne sont pas mises en vente chaque année en France, selon l’Ademe, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Ce chiffre colossal s’explique par une sélection drastique du fruit sur les étals. La pomme est au préalable soumise à un calibrage qui prend en compte son poids et son diamètre, puis elle est contrôlée en magasin sur ses défauts esthétiques (tâches, peau fripée, déformations…). Si le fruit arrive à passer tous ces contrôles, cela ne signifie pas que son avenir est assuré. De nombreuses pommes « parfaites », finissent par s’abîmer et être gaspillées, faute de trouver un acheteur, lors de mauvaises estimations de vente de la part des grossistes et supermarchés par exemple. Dans de nombreux départements, c’est la Banque alimentaire qui récupère tous ces surplus de pommes, directement livrés en cagettes sur des palettes. Ils sont triés et stockés en attendant que des associations viennent les chercher. Ces dons de pommes sont réguliers grâce aux partenariats instaurés avec les grandes surfaces, aujourd’hui réglementées. Très récente, la législation de 2016 empêche désormais qu’une pomme encore consommable soit jetée immédiatement, et permet ainsi de lutter contre le gaspillage alimentaire. Cette loi stipule, notamment ,qu’il est interdit pour les grandes et moyennes surfaces de jeter leurs invendus en javellisant les bennes où sont entreposés les produits encore consommables.
De nombreuses marges de progrès
Guillaume Garot, alors ministre délégué à l’Agroalimentaire qui avait porté la loi de 2016, confiait au Figaro un an après la promulgation de la loi « qu’elle avait généralisé les conventions entres les grandes surfaces et les associations ». Certes, mais cette phrase doit être prise avec des pincettes, selon Elsa Thomasson, chargée de la prévention et de la gestion des déchets à l’Ademe Rhône-Alpes : « Les grandes surfaces s’améliorent sensiblement dans la gestion de leurs invendus. Mais les petits et moyens commerces vont quant à eux toujours envoyer leurs invendus à la poubelle, faute de moyens. » Elle ajoute : « Il faut savoir que les grandes surfaces jettent encore 0,8 % de leur chiffre d’affaires à la poubelle. Lorsqu’on leur met la puce à l’oreille sur cette perte financière, on arrive à un partenariat. Mais sinon, il n’y a pas de bons sentiments, l’aspect financier reste le principal moteur des commerces », soutient-elle. Le directeur de la Banque alimentaire du Rhône, Patrick Charvin, le confirme : « Les grandes et moyennes surfaces jouent la plupart du temps le jeu, les invendus sont encore consommables. Mais certains employés, qui n’en ont rien à faire, mélangent des fruits pourris avec le reste, encore consommable. » La pomme, forcément, n’échappe pas à la règle.
Autre regret d’Elsa Thomasson de l’Ademe : « la faible présence des services de l’État dans l’application de la loi de 2016 qui ne favorise pas la lutte contre le gaspillage alimentaire ». Pour récolter les tonnes d’invendues, les associations doivent se porter volontaires mais doivent aussi assumer le coût et la logistique nécessaire pour récolter ces invendus. Les plus petites d’entre elles, qui utilisent les « petites mains » bénévoles, ne peuvent donc récolter autant qu’elles le souhaiteraient. 
Manon Laurens & Hugo Girardot

 

 

“ Il faut arrêter de produire pour jeter ”

Au sein de l’association Récup’ & Gamelles, Antinéa Dugua veut en finir avec le gâchis des aliments. Pour cela, elle sensibilise régulièrement les plus jeunes lors d’ateliers culinaires à Lyon.
«Quand j’ai participé à la création de l’association il y a trois ans, je n’étais pas autant branchée antigaspi. Maintenant, c’est devenu une vraie philosophie de vie. J’ai un lombricompost chez moi, je consomme de saison et je fais attention à de petits détails, qui passaient auparavant totalement inaperçus », explique Antinéa Dugua, une des trois cofondatrices de Récup’ & Gamelles, en amenant une cagette remplie de fruits, qui font grise mine. « Ce n’est pas notre génération qui va changer les choses, parce qu’on n’a pas été éduqué dans cet esprit. Mais il faut reposer tous nos espoirs sur les enfants d’aujourd’hui. Ce sont eux qui vont changer l’avenir… » En moyenne, les consommateurs français gaspillent 3,3 millions de tonnes d’aliments par an, selon l’Ademe. C’est ce contre quoi l’association tente de se battre. Pour inverser la tendance, elle organise des ateliers de sensibilisation avec les enfants.
Ce jour-là, les CM1 de l’école Michelet, située à deux pas de la place Bellecour à Lyon, font leur troisième séance autour de la préparation de jus de fruits à partir de fruits abîmés. La première avait été consacrée à un jeu « antigaspi » créé par l’association. La seconde leur avait permis de réaliser des pâtisseries à l’aide de pain dur. Installés sur un plan de travail, les enfants, vêtus de leur « tablier », un grand tee-shirt bleu canard estampillé « Récup’ & Gamelles », s’activent à la réalisation de leur précieux nectar. Ils se servent dans les cagettes sur la table, pèlent leur trouvaille en prenant bien soin d’enlever les morceaux trop abîmés. Les « beurk » ponctuent l’atelier de tri des fruits, dès qu’un enfant tombe nez à nez avec un duvet de moisissure ou touche un fruit tout ramolli et fripé : « C’est dégoûtant, en plus c’est tout mou ! » Mais Antinéa est toujours là pour les rassurer et leur apprendre à ne pas avoir peur des fruits différents de ce qu’ils ont l’habitude de voir chez eux ou dans les rayons du supermarché. D’ailleurs, les vertus pédagogiques de cette activité fonctionnent très bien puisque de nombreuses questions fusent. Après l’étape du mixeur qui fascine filles et garçons, le jus est filtré puis versé dans des bouteilles en verre. Deux sont déjà remplies de jus de pomme-poire et de jus de raisin. La dernière attend son jus d’agrumes, encore en préparation. Une fois les jus terminés et la vaisselle faite, place à la dégustation ! Certains enfants font encore la grimace à l’idée de boire ce jus, alors qu’ils ont encore en tête l’image des fruits gâtés. Mais une fois leur crainte dépassée, ils se rendent compte que c’est, pour la plupart, à leur goût. « Il est trop bon ! », s’exclame un élève en goûtant le jus de raisin marron verdâtre. « C’est normal, c’est moi qui l’ai fait ! », lui répond du tac au tac un autre élève ravi. « C’est la première année que l’on fait du périscolaire. Auparavant, nous réalisions plutôt des ateliers pour adultes pour leur transmettre des astuces de grands-mères afin de donner une seconde vie à leurs aliments », précise la jeune femme. Mais ce n’est pas le seul créneau de l’association. Elle réalise aussi du conseil auprès des restaurateurs et collecte des invendus dans les boulangeries, épiceries et sur les marchés.
« On transforme les invendus en sauces ou confitures via notre “bocalerie solidaire”. C’est une petite production de 5 000 bocaux à l’année que l’on commercialise chez La Fourmi, une épicerie solidaire. » Antinéa n’essaye pas de faire culpabiliser les gens. « C’est inutile, ça les braque et ça les empêche de progresser. » Nous travaillons avec la ville de Lyon pour transformer les habitudes. « Nous récupérons des fruits et légumes à la fin des marchés, au minimum 15 kilos par jour d’invendus que l’on ramène. Nous pensons qu’il faut arrêter de produire pour jeter.
Le jour où notre association disparaîtra, ce sera une bonne nouvelle. Cela voudra dire que l’on a plus besoin de nous parce que la société s’est responsabilisée. » 
Manon Laurens & Hugo Girardot

 

Union européenne / La future Pac pour lutter contre le gaspillage

A la mi-avril, le commissaire européen Vytenis Andriukaitis a appelé les ministres de l’Agriculture de l’Union européenne à déployer tous les moyens possibles pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Les ministres de l’Agriculture de l’UE, réunis à Luxembourg, ont convenu, lors d’un débat, que des progrès avaient été accomplis dans la réduction du gaspillage alimentaire mais que beaucoup devait encore être réalisé afin d’atteindre les objectifs fixés. Dans le cadre de ses objectifs de développement durable, l’UE doit réduire de moitié les déchets alimentaires au niveau du commerce de détail et des consommateurs d’ici 2030, ainsi que les pertes alimentaires tout au long des chaînes de production et d’approvisionnement alimentaires.
« Le gaspillage alimentaire est immoral. L’une de mes priorités absolues est de me rapprocher le plus possible de cet objectif », a souligné le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis. Il a rappelé qu’en 2017, la Commission a adopté des lignes directrices de l’UE pour faciliter le don de denrées alimentaires et publié un rapport sur les dates de péremption et de consommation qui alimentera les réflexions en cours pour promouvoir une meilleure compréhension et utilisation de cet étiquetage. De plus, une plateforme pour la prévention du gaspillage et des déchets alimentaires a été créée en 2016, qui doit être « la pierre angulaire de ce projet ».
La prochaine réunion de cette plateforme aura lieu en marge de l’événement AgroBalt 2018 à Vilnius, le 24 mai. Un certain nombre de délégations (dont Italie, Belgique, Malte et Grèce) ont estimé que la Pac post-2020 pourrait jouer un rôle plus important en vue de contribuer à la réduction des pertes et gaspillages alimentaires.

Une méthodologie commune

« Nous réfléchissons au niveau de la Commission sur la manière dont une politique agricole commune réformée pourrait contribuer à réduire les pertes et les déchets alimentaires en stimulant des pratiques de production, de transformation et de stockage plus efficaces vers une bioéconomie circulaire », a confirmé le commissaire européen. La Commission européenne a également publié, le 13 avril, des lignes directrices visant à faciliter l’utilisation en tant qu’aliments pour animaux des denrées alimentaires qui ne sont plus destinées à la consommation humaine. Une valorisation qui évite que ces matières soient compostées, transformées en biogaz, éliminées par incinération ou mises en décharge. Le document contient quinze clarifications concrètes et des directives pour les autorités et les parties prenantes.
La législation européenne sur les déchets va renforcer la lutte contre les déchets alimentaires dans l’UE en exigeant des États membres qu’ils les réduisent à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement alimentaire et qu’ils surveillent et fassent rapport sur les niveaux de déchets dans ce domaine, sur la base d’une méthodologie commune sur laquelle la Commission a commencé à travailler pour la présenter d’ici mars 2019.