Chiens de protection : une diversité d'expériences et de pratiques

L'acquisition de compétences dans la gestion des chiens de protection des troupeaux « s'est faite de manière empirique », a rappelé Fabien Candy, technicien de l'Adem* de la Drôme, lors de la présentation d'une étude conduite par les services pastoraux alpins. Un travail qu'il a coordonné avec Laurent Garde et Sabine Débit, directeur adjoint et ingénieure pastorale du Cerpam**. « La plupart des éleveurs ont appris seuls, sur le tas », en tâtonnant, faisant des essais, corrigeant des erreurs. Aujourd'hui, ils sont « toujours dans l'apprentissage permanent... mais avec des résultats ». Au fil du temps, les observations de terrain, l'information, les échanges avec d'autres éleveurs du massif alpin, d'ailleurs en France ou de l'étranger font évoluer les pratiques, progresser les savoir-faire. Néanmoins, les connaissances sur les chiens de protection ne sont pas encore stabilisées, bien que certaines font de plus en plus consensus.
Pas de modèle unique
Les façons de procéder divergent et même les éleveurs les plus expérimentés continuent à se poser des questions. La majorité d'entre eux expriment des besoins de formation, d'accompagnement et de suivi des chiens. La formation doit donc être consolidée mais en prenant en compte la diversité des façons de faire qui donnent satisfaction, ainsi que les pratiques innovantes. « Il faut dépasser l'idée d'un modèle unique », a dit Laurent Garde.
Introduction des chiots
Pour l'introduction des chiots, les éleveurs enquêtés partagent trois principes : choisir des jeunes issus de parents de bonnes lignées et au travail ; de préférence nés à l'automne ; les laisser avec leur mère, aux brebis, jusqu'au sevrage. Isoler le chiot après sevrage est le mode d'introduction majoritairement retenu par ces éleveurs. D'autres le laissent cependant avec un adulte (sa mère ou une marraine). Et d'autres encore élèvent les chiots à deux, estimant que cela leur donne confiance. Agridea, association suisse de chiens de protection des troupeaux, a opté pour ce dernier mode d'introduction, « après avoir fait le tour de la question en Europe », a dit François Meyer, éthologue en son sein. Elle considère que les chiots ainsi élevés « peuvent développer des capacités sociales qui leur permettront, à l'âge adulte, de réagir instinctivement et correctement aux différentes situations auxquelles ils seront confrontés ».
Attachement au troupeau et socialisation
Quant à l'attachement du jeune chien au troupeau, certains éleveurs le considèrent inné, d'autres qu'il est plus lié à l'apprentissage qu'à la génétique. « Pour qu'un chien de protection puisse jouer son rôle d'arme de dissuasion massive, il doit avoir un bagage génétique adéquat, une bonne formation et de bonnes conditions de travail », a noté François Meyer. Côté sociabilisation des chiens aux humains, la doctrine a changé en vingt ans. Il était conseillé de sociabiliser le moins possible le chiot au début. Mais les problèmes engendrés par des chiens trop « sauvages » ont fait évoluer les pratiques. François Meyer a évoqué la triple socialisation du chien : avec les moutons, l'humain et sa capacité à vivre dans la meute.
Les chiens au travail
La troupe de chiens dépend de l'intensité de la menace, de la vulnérabilité du terrain (configuration), de l'étalement du troupeau à défendre et de la division éventuelle de celui-ci en lots, a indiqué Laurent Garde. Toutefois, les éleveurs enquêtés confrontés à des meutes de loups considèrent nécessaire d'aligner autant de combattants qu'en face. « Seule une meute de chiens peut faire face à une meute de loups », assurent-ils. Ils parlent de hiérarchie, dominance et répartition des rôles. Et tous affirment que l'éleveur est « le chef de meute ». Dans celle-ci, il y a les chiens qui restent au troupeau, ceux qui alertent, ceux qui regroupent mais aussi les patrouilleurs et, parfois, les poursuiveurs. Une action de dissuasion sur une distance de 400 à 600 mètres fait consensus chez ces éleveurs. Une distance qui suscite l'incompréhension de promeneurs, dont certains ont d'ailleurs des comportements inappropriés, agressifs envers les chiens de protection. Aussi, redoutant les accidents, les éleveurs exercent une vigilance permanente et passent du temps à informer les visiteurs. Mais, face aux conflits de multiusage, « ils se sentent seuls, pris dans un étau ». Certains estiment possible d'avoir des chiens gentils avec les humains et efficaces contre les loups. Par contre, d'autres - plus nombreux et confrontés à une prédation intense - en arrivent à limiter leur troupe de chiens et à choisir des races moins « puissantes » lorsque l'endroit est très fréquenté par le public. Cela, au détriment d'une protection renforcée...
Annie Laurie
* Adem : association départementale d'économie montagnarde.
** Cerpam : centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée.
Chiens de protection /Une étude pour consolider les connaissances


L'étude repose sur une enquête auprès de 17 éleveurs (16 d'ovins et un de caprins) du massif, dont trois Drômois (Diois, Vercors et Gervanne). Ont ainsi été recueillis leurs expériences, pratiques et points de vue. Tous sont confrontés à des meutes de loups et la plupart ont entre 10 et 30 ans d'expérience avec les chiens de protection. Ils en ont entre deux et 32, principalement de race Montagne des Pyrénées mais aussi bergers des Abruzzes, d'Anatolie, du Caucase et autres. Dans cette étude, qui a reçu le soutien financier du CGET**, Agridea (association suisse de chiens de protection des troupeaux) a aussi apporté son regard.

De cette étude ont été tirés un document complet rassemblant les propos des 17 éleveurs enquêtés et un livret***. « Le livret n'est pas un guide technique, un mode d'emploi du chien de protection, préviennent les coordinateurs de l'étude (Fabien Candy, Laurent Garde et Sabine Débit). Et le document complet a comme seule ambition de porter à la connaissance des savoirs en construction, encore imparfaits qui se peaufinent sans cesse sous la pression de la réalité. »A.L.* Le Cerpam, l'Adem de la Drôme, la FAI (fédération des alpages de l'Isère), les SEA (sociétés d'économie alpestre) de Savoie et de Haute-Savoie.
** CGET : commissariat général à l'égalité des territoires.
*** Téléchargeables sur le site internet de l'Adem de la Drôme.
Des chiffres parlants

- 11 120 victimes des loups recensées par la Dreal* en 2018 (sans compter les animaux disparus).
- 72 meutes de loups en France, concentrées dans le massif alpin et la basse Provence. S'ajoutent trois meutes frontalières avec l'Italie.* Dreal : direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.