Combler les retards de production en grandes cultures bio

Le bio a la cote. En 2017, au niveau national, près de 20 % des surfaces de cultures fruitières et de plantes aromatiques et médicinales sont bio.
En revanche, seulement 3,4 % des surfaces de grandes cultures le sont. C'est à cette dernière qu'était consacrée la journée Tech&Bio organisée par les chambres d'agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes dans l'exploitation Les Jardins d'Arche à Bouvesse-Quirieu (Isère). Réunissant plus de 150 personnes, cette journée s'est divisée en plusieurs ateliers pour faire se rencontrer les acteurs de chaque filière. L'EARL Les jardins d'Arche cultive des légumes de plein champ, des légumes secs et des céréales. Avec quelques contraintes. « On a un sol superficiel, avec un enrochement. Mais on est sur des terres irrigables », indique Martial Perraudin, gérant de l'exploitation. Adhérent de la cuma de la plaine de
Faverges, il a su s'équiper. « Pour le maïs, l'épandage, les déchets verts, nous avons un matériel spécifique. Nous sommes six exploitations en bio dans la cuma et nos techniques inspirent les adhérents. Ça leur permet de changer certaines de leurs pratiques. »
Un marché en expansion
Les grandes cultures bio ne représentent que 3,4 % des surfaces nationales mais elles affichent une croissance de 18 % en 2017, atteignant les 384 000 tonnes dans l'Hexagone.
« La région Auvergne-Rhône-Alpes est en troisième place dans le développement du bio en grandes cultures avec 33 000 hectares dont un tiers est encore en conversion », relate Lætitia Leray, de Coop de France. Outre les légumes et les céréales, certaines filières, moins connues, sont en demande comme les légumes secs, les plantes aromatiques ou encore l'orge pour la malterie. Des entreprises comme la coopérative Dauphinoise se sont déjà engagées pour développer le bio. « On a mesuré le déficit en termes de production et on souhaite répondre à cette demande-là. La production animale bio se développe plus vite que les céréales bio alors on essaie de revaloriser la deuxième année de conversion par exemple », explique Jean-Yves Colomb, président de la coopérative, également adhérent de la Cuma. « Tous les circuits de commercialisation sont représentés et tous les voyants sont au vert pour l'avenir », confirme Lætitia Leray.
Anticiper la commercialisation
Même si le marché est en croissance, la commercialisation doit se réfléchir en amont. « On a commencé par faire des distributions de paniers de légumes et on est ensuite passé aux chaînes de magasins spécialisés. Mais il faut penser à s'équiper en ayant une chambre froide pour les légumes par exemple », prévient Martial Perraudin. Il faut aussi penser en termes de volumes en fonction du débouché visé. « Il faut offrir une prestation de livraison régulière en assurant certains volumes ou approcher une plateforme », confirme l'exploitant. « L'agriculture est une économie et doit être soutenue comme une économie », explique Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture de l'Isère. Outre les légumes et leur commercialisation, la production de semences bio peut être une voie possible. C'est aussi ce qu'a fait Martial Perraudin, en contrat avec la coopérative Dauphinoise.
Virginie Montmartin
Rotation / Pour se diversifier et intégrer la culture de légumes dans une rotation de grandes cultures, il convient de raisonner avec pragmatisme.
Trois légumes, pas plus
Les légumes plein champ sont une des solutions de diversification mises en place à l’EARL Les jardins d’Arche à Bouvesse-Quirieu (Isère). Sur les 51 hectares de SAU, 4,5 ha sont consacrés aux légumes. Les parcelles dédiées à la culture des légumes, conçues dans une logique de mécanisation, s’étendent sur un à deux hectares. La première recommandation délivrée par Mikael Boilloz, conseiller à la chambre d’agriculture de la Drôme, est « de vendre avant de produire ». Il ajoute : « Il ne faut pas jouer sur un seul client mais diversifier pour sécuriser et avoir une complémentarité entre les différents types de circuits, de produits. » L’EARL travaille ainsi avec des magasins spécialisés et des plateformes bio. Les prérequis, pour qui se lance dans la production de légumes plein champs, sont : une exigence de qualité (qui dépend du choix de variété et de la conduite de la culture) ; le mode de conditionnement et d’approvisionnement ; la mutualisation pour vendre (moyens de transport etc.) « Tout cela est à mettre en perspective avec la faisabilité technique de la culture », prévient le conseiller. Il est très pragmatique : « Le légume qui fait le plus d’argent est celui qui pousse le mieux. Le premier facteur est la production à l’hectare. »Courge, pommes de terre, carottes
Les assolements de 2 à 10 hectares ne recevront pas plus de trois légumes. Dans la rotation avec les grandes cultures, les délais de retour sont de 5 à 6 ans, sauf pour la courgette qui peut revenir tous les trois ans (assolement courgette, soja, blé par exemple). L’EARL des Jardins d’Arche cultive trois types de courges (potimarron, butternut et potimarron vert) sur un précédent soja ou légumineuse cette année. Les deux autres légumes cultivés sont la pomme de terre et quelques carottes.
Avant semis, les agriculteurs ont effectué un déchaumage. La parcelle de courges a également reçu un labour, souvent nécessaire en légumes bio pour maîtriser l’herbe. « Nous avons aussi passé deux coups de vibroculteur à une semaine d’intervalle », indique l’exploitante, Olivia Fournier. Cette conduite est valable pour quasiment l’ensemble des cultures. Les courges ont été semées au semoir monosem 7 rangs au mois d’avril en semis direct et à 60 d’intervalle. « C’est une première expérience. Avant, nous étions à 80 et c’était plus facile pour le binage », constate Olivia Fournier.
La fertilisation consiste en l’apport d’environ 170 unités d’azote et des fientes de volaille, bovins et ovins, ainsi que des bouchons d’engrais organique. Les courges ont aussi reçu des oligoéléments en apport foliaire.
Les interventions post-semis sont un passage de herse étrille avant la levée pour détruire les herbes en surface. La levée s’effectue en 15 jours. Il y a ensuite un binage entre les lignes dès que la culture a levé uniformément. Une piocheuse « maison » intervient à cheval sur les rangs. Elle permet aussi un griffage afin de rabattre les pousses vers le plant.
Pallox ajourés
La récolte est précédée d’un gros désherbage manuel, pour lequel il faut compter entre 75 et 100 heures de travail par hectare, notamment sur les butternuts qui poussent plus lentement. Le temps consacré à la récolte des légumes est estimé entre 200 et 250 heures par hectare. Un tracteur est équipé d’un tapis de récolte et les légumes sont stockés en pallox ajourés puis dans un bâtiment en bardage qui favorise la ventilation. Les légumes y restent de la récolte aux premières gelées. Ils sont ensuite stockés dans un autre bâtiment équipé de chambres ventilées, d’un chauffage si besoin et d’extracteurs d’humidité.
La production de courges s’établit entre 15 et 20 tonnes, vendue entre 1 et 2 euros le kilo.
Isabelle Doucet
La lentille, nouvelle égérie bio
La coopérative Dauphinoise s’est lancée dans un essai de légumes secs pour la première année sur une parcelle des Jardins d’Arche. Plusieurs variétés de lentilles ainsi que du pois chiche, du chia et du haricot rouge ont été plantées. « La demande de lentilles et de pois chiches bio produits localement est forte mais la production a du mal à suivre », explique Jean-François Perret, responsable grandes cultures bio au sein de la coopérative. Avec 40 000 hectares de lentilles cultivées en France et un marché en pleine croissance, la culture de lentilles restait à tester dans la région. Elle présente d’ailleurs plusieurs avantages. « C’est une culture de printemps. Elle se sème tôt et se récolte précocement, vers mi-juillet. Elle est résistante, se cultive sans irrigation et avec peu d’intrants », détaille-t-il. Pour la culture, il faut travailler en faux semis, opter pour le désherbage mécanique en bio et gérer les rotations pour limiter les adventices.
Prévenir la bruche
L’inconvénient principal de la lentille reste les ravageurs comme la bruche. Cette petite mouche pond dans les gousses, mute dans les grains et les dégâts ne sont visibles qu’au moment de la collecte. « L’année prochaine, nous lancerons un programme pour développer une variété résistante aux maladies et à ce ravageur », annonce Bernard Daudet, référent technique de l’association nationale interprofessionnelle des légumes secs (Anils). Le risque de verse est également présent et les cultures associées sont déconseillées car le tri du grain devient alors très complexe. « A la coopérative, on a un trieur optique mais pour un agriculteur en vente directe bio, c’est plus compliqué », confirme Jean-François Perret. Le rendement est aussi assez faible, autour de 10 quintaux. Pour le bon moment de récolte, c’est aussi un compromis. « Les gousses du bas vont s’égrainer et celles du haut ne sont pas matures. Il faut récolter quand il y a moins de 16 % d’humidité ou sinon il faut trouver un moyen de séchage », détaille Bernard Daudet. La culture du pois chiche a de nombreux points communs avec celle de la lentille, mais il faut se méfier des températures : il est sensible au gel. Quant aux haricots rouges, le sujet est plus complexe. Alors que la lentille et le pois chiche peuvent se récolter à la moissonneuse-batteuse, les haricots, plus lourds, touchent le sol et demandent une arracheuse. « Il faut encore trouver une économie d’échelle pour financer un tel appareil », confirme Jean-François Perret.
V. M.