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CORONAVIRUS

Comment le confinement chambarde les filières

Les mesures de lutte contre le coronavirus chamboulent complètement les secteurs agricoles et agroalimentaires. Les filières liées à la restauration hors domicile pourraient voir leur niveau d'activité chuter de 50 %. Une perte de débouchés qui peut profiter à la grande distribution ou au commerce de proximité. Mais sous quelles conditions ? Et pendant combien de temps ?
Comment le confinement chambarde les filières

Nombreuses sont les filières dernièrement à avoir dernièrement misé sur le débouché de la restauration hors domicile (RHD), en forte croissance, souvent au profit des importations comme en volaille de chair. Aujourd'hui, le coup d'arrêt est net même si certains segments comme la restauration hospitalière, pénitentiaire ou pour les maisons de retraite continuent inéluctablement de fonctionner. Les restaurants proposant la vente à emporter et répondant à des consignes sanitaires strictes sont également autorisés à continuer leur activité. Mais cette dernière ne compense pas les salles vides et connaît, elle aussi, des difficultés. Aussi, pour l'ensemble de la RHD, collective et commerciale, l'activité pourrait diminuer de moitié. « Entre - 20 et - 30 % en mars et de - 35 à - 50 % en avril si le confinement se poursuit », estime François Blouin, président fondateur du cabinet d'études Food service vision, spécialiste de la consommation hors domicile.

Un report vers la grande distribution compliqué

À côté, la demande en grandes surfaces explose. Nombre de producteurs et transformateurs tentent donc de transférer leurs marchandises vers les grandes surfaces. Mais entre la grande distribution et la RHD, les produits et les conditionnements ne sont pas les mêmes, ce qui engendre bon nombre de difficultés et de temps. « Nous faisons des réunions de crise avec les interprofessions laitières et fruits et légumes notamment pour voir si les produits peuvent aller à destination de la grande distribution », explique Marie-Cécile Rollin de Restau'co. « Mais les réseaux de distribution sont complètement séparés. Les codes ne sont par exemple pas toujours les mêmes », se désole-t-elle.
En amont, ce sont l'ensemble des maillons de la chaîne alimentaire qui sont touchés. Tout particulièrement celles proposant des produits périssables, s'altérant rapidement ou devant être rapidement transformés. Sont d'autant plus touchées les entreprises tournées vers l'international car il n'y a pas que les restaurants français qui sont fermés. De nombreux pays ont pris des mesures de confinement.

Fruits et légumes frais sinistrés

Pour les fruits et légumes frais, la situation est particulièrement délicate. Les grossistes distributeurs de fruits et légumes spécialisés en RHD « étaient à 50 % de leur activité normale lundi 16 mars et à 20 % de leur activité mardi 17 », assure le président de l'interprofession des fruits et légumes frais (Interfel) Laurent Grandin. Il estime que 80 % du personnel des grossistes distributeurs sera au chômage technique pendant au moins un mois, jusqu'à réouverture des enseignes de la restauration collective et commerciale. Pour les produits « les moins fragiles » qui n'ont actuellement plus de débouchés, Interfel essaie de les écouler sur les circuits de vente au détail de la grande distribution et sur les marchés de gros. « Il y aura forcément une partie de destruction sur un certain nombre de produits avec des dates limites de consommation très courtes, sur des produits très fragiles », ajoute Laurent Grandin. Au-delà, les effets du confinement sur la consommation en GMS inquiètent. « Si la consommation suit et que les gens, une fois confinés, ne mangent pas que des conserves, on n'aura pas de crise majeure en fruits et légumes. Mais si les gens restent confinés, ne mangent que les produits qu'ils ont achetés, et restent surtout sur des produits secs et des conserves, on aura forcément une dégradation du marché et des destructions de produits massives à prévoir. » Un scénario que l'interprofession n'ose pas imaginer, confie Laurent Grandin. « C'est aussi pour ça qu'on se bat pour que les marchés restent ouverts, de façon à ce que l'offre soit suffisante et incitative. »

Trop de lait, pas assez de tours de séchage

Dans la filière laitière, la chute de la RHD est l'une des priorités de gestion de crise. La baisse de consommation de produits laitiers en RHD avoisine les 60 %, rapporte l'interprofession laitière, le Cniel, dans un communiqué du 17 mars. Si pour le moment la demande de la grande distribution prend le relais, la RHD représente 10 % des fabrications françaises de produits laitiers à destination du marché français. Et avec l'arrivée du printemps et du pic de collecte, la situation risque de se tendre. À cette période, les outils de transformation sont habituellement saturés, et notamment les tours de séchage utilisées pour transformer le lait en surplus. « Habituellement, s'il y a des lignes où il n'y a pas de débouchés, on fait de la poudre », explique Pascal Lebrun, président de la branche Lait d'Agrial, alertant par ailleurs : « nous avons des inquiétudes pour passer les volumes alors que les outils de séchage sont déjà au taquet ». Un constat partagé par Damien Lacombe, président de la Coopération agricole laitière.
« Le printemps va être compliqué », prédit-t-il appelant les éleveurs « à lisser la courbe de collecte ». Autre difficulté pour la filière laitière : le marché de la RHD étant fermé, la valorisation de la viande de réforme devient plus compliquée.

Le steak haché à la peine

Justement, pour les filières viande, la fermeture des restaurants a brutalement privé les industriels de « 85 à 90 % de leurs débouchés en RHD », constate Thierry Meyer, responsable porc chez Bigard et Culture Viande. Un ordre de grandeur confirmé par la Fedev (fédération des métiers de la viande). L'impact reste difficile à préciser au niveau national. La viande bovine pourrait toutefois être plus affectée que les autres, car « le steak haché est un produit surreprésenté en restauration rapide », estime Thierry Meyer. L'effondrement constaté est loin d'être amorti par le maintien de quelques segments de la RHD (hôpitaux, prisons, vente à emporter et livraison à domicile). Une perte de débouchés en RHD qui semble avoir profité à la grande distribution et aux commerces traditionnels (boucheries-charcuteries), où les ventes ont « littéralement explosé », assure Thierry Meyer. Assez pour compenser ? « Globalement oui, répond le responsable de Bigard. Il y a un bon transfert, même s'il ne se fait pas forcément dans les mêmes entreprises. » « Il y a bien un report, mais il n'est pas total, nuance Hervé des Déserts, directeur de la Fedev. Certaines entreprises sont spécialisées dans les ventes à la restauration. Elles ne sont pas majoritaires, mais celles-là sont au chômage technique. » Globalement, « la consommation de viande ne baisse pas », souffle Hervé des Déserts. Mais pour combien de temps ? Après la frénésie de stockage qui s'est emparée des Français dans les premiers jours de l'épidémie, viendra probablement le « syndrome du congélateur plein », prévient Paul Rouche, directeur délégué de Culture Viande. 

 

 

Porc / Un commerce désorganisé, la France tente de résister
A l’issue de sa cotation du jeudi 9 mars, le Marché du porc breton (MPB) accuse une baisse de 1,1 centime d’euro le kilo, pour atteindre 1,552 euro le kilo (base 56 TMP). Sur la semaine, le recul atteint 1,7 centime (- 0,6 centime lundi 16 mars). « Beaucoup d’incertitude plane sur le marché porcin. Le commerce est totalement désorganisé », constate le marché de référence, observant des « positions à l’achat très divergentes selon les abattoirs et leurs propres débouchés ». « Le commerce européen subit de plein fouet cette épidémie du coronavirus avec des réductions d’activité et des annulations de commandes », note encore le MPB. L’Allemagne est particulièrement touchée avec « une nouvelle baisse de 7 centimes de la référence allemande », après des chutes allant « jusqu’à 9 centimes pour certains abattoirs » la semaine dernière. Un effondrement qui « va probablement entraîner d’autres cours du Nord de l’Europe et d’ailleurs », prévient le marché de Plérin. Moins dépendant de l’export que ses concurrents européens, le marché français est habituellement moins réactif à la hausse comme à la baisse. En Chine, moteur de la demande mondiale, « le commerce reprend petit à petit », indique toutefois le MPB. L’activité y repart dans les ports, le pic épidémique étant passé dans ce pays.

 

VIANDE D’AGNEAU / La FNO (ovins) interpelle le gouvernement et les distributeurs
A la veille de Pâques, les éleveurs ovins sont inquiets. Dans un communiqué le 20 mars, la FNO (éleveurs ovins, FNSEA) demande une « plus grande solidarité nationale », interpellant le gouvernement et les distributeurs. Pâques est « une période cruciale de la consommation de viande d’agneaux français », rappelle la FNO. Une démarche relayée le 23 mars par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, qui appellent à mettre en avant les produits agricoles français. De multiples contacts ont été pris ce week-end et des engagements ont été obtenus de la part des principales enseignes. Pour l’agneau, « Intermarché et Auchan ont donné leur accord de principe », précise Michèle Boudoin, présidente de la FNO. Le syndicat demande aussi au gouvernement d’« assouplir les règles de stockage de la viande d’agneau français », tout en saisissant « les opportunités d’exports possibles vers le pourtour méditerranéen ».


FRAISE ET ASPERGE / En état de « crise conjoncturelle »
Le Réseau des nouvelles des marchés (RNM-FranceAgriMer) a déclaré, le 23 mars, l’asperge, la fraise gariguette et la fraise ronde en situation de crise conjoncturelle. Cette décision intervient dans le cadre de l’application des accords de modération des marges de distribution des fruits et légumes. Lorsque l’indicateur de marché d’un produit révèle une situation de prix expédition anormalement bas pendant deux ou cinq jours ouvrés consécutifs (selon le produit), ce produit est considéré en situation de crise conjoncturelle. La sortie de crise intervient après trois jours ouvrés consécutifs durant lesquels l’indicateur de marché n’indique plus de prix anormalement bas. Pour FranceAgriMer, le prix de première mise en marché pour l’asperge est inférieur de 40 % par rapport à la référence hebdomadaire (moyenne olympique). Pour la fraise gariguette, il est inférieur de 27 %. Et pour la fraise ronde de 40 %. Pour soutenir la production nationale, au moins quatre enseignes de grande distribution se sont engagées, le 23 mars, à privilégier l’origine France sur les fruits et légumes.


Plantes d’ORNEMENT / Une filière stoppée au top départ de la saison
L’épidémie de Coronavirus arrive au plus mauvais moment pour les productions de plantes et fleurs d’ornement car, après plusieurs semaines de mauvais temps, le week-end du 14 et15 mars sonnait comme le « top départ de la saison », qui s’étale traditionnellement jusqu’à la fête des mères, le 7 juin cette année. La campagne de printemps représente en moyenne « 50 % du chiffre d’affaires » de l’année, rapporte Julien Legrix, directeur de la FNPHP, la Fédération nationale des horticulteurs et pépiniéristes (FNSEA), voire « jusqu’à 75 % » pour certaines orientations techniques. En production de fleurs, des destructions ont débuté pour lancer de nouveaux cycles de production et se préparer à la reprise du commerce. Selon la FNPHP, la priorité de ces filières très pourvoyeuses de main-d’œuvre (5 à 6 ETP en moyenne par entreprise) reste « de continuer à produire » et de préserver notamment les plantes de cycle long, face à d’éventuels manques de personnels.