Comment les médias parlent d’agriculture
etc.

En général, l'agriculture est un sujet que les journalistes ont du mal à vendre à leurs rédacteurs en chef en dehors des crises, même si un regain d'intérêt émerge depuis quelques années. En plus, les journalistes des médias généralistes nationaux sont très souvent des citadins, très peu au fait des réalités agricoles et rurales, ce qui est un peu moins vrai dans la presse régionale plus proche des territoires. À l'exception notable de certains journaux régionaux, les médias généralistes tendent à se mettre dans la peau du consommateur ou de l'urbain pour aborder les sujets agricoles.
En radio par exemple, « la règle, c'est de faire de l'audience », raconte Pascal Berthelot, ancien journaliste à Europe 1 parti fin 2014. « Il faut que l'info soit spectaculaire, quelque chose de fort : le scandale de la viande de cheval, une manifestation violente... Une info sexy trouve illico sa place à l'antenne, explique-t-il. Mais concernant l'agriculture..., pas simple d'en dénicher. » Dans la station publique France Inter, un journaliste travaille sur l'agriculture à temps partagé. « On ne parle plus beaucoup d'agriculture à l'antenne », observe Philippe Lefebvre. « Ou alors quand ça va mal », ajoute-t-il, évoquant la crise de la vache folle. Pour lui, la raison première est que « la rédaction de France Inter comprend beaucoup de citadins ».
À la télévision : « des bonnes gueules, de belles histoires »
En télévision, pour faire une place aux agriculteurs, il faut aujourd'hui évoquer l'exceptionnel, trouver « de bonnes gueules » ou de « belles histoires ». L'objectif est simple, faire de l'audience et intéresser le téléspectateur. À l'exception d'Arte et France 5, les magazines télévisés (Complément d'enquête, Enquête d'action, Zone interdite...) sont à la recherche de « belles histoires » et de « personnages », explique Christophe Brulé, rédacteur en chef de l'agence TSVP, qui fournit des contenus pour ces émissions. Dans un magazine télé, pas de sujet qui ne soit pas incarné. « La télé a tendance à simplifier et à amplifier les phénomènes », explique David Bercher, rédacteur en chef adjoint de Ligne de Front, une autre agence.
Malgré tout, le regard que portent les magazines télé sur l'agriculture a beaucoup changé ces dernières années, à en croire ces deux interlocuteurs. « Il y a encore dix ans, c'était un monde à part et poussiéreux, estime Christophe Brulé. Aujourd'hui, c'est vu comme un monde utile et noble, qui nous rapproche de la nature ». Mais ce regain d'image ne profite pas à tous les agriculteurs, estime-t-il. « Ce sont les petits paysans et les bio, qui réconcilient l'agriculture avec le public ». Quid des autres agriculteurs, petits ou grands ? « On les voit comme une grande masse qui fournit l'agro-industrie, constate-t-il. Eux, je crois que le grand public « s'en fout ». Les magazines viennent les voir quand « ça craque , quand il y a des crises. » Par ailleurs, « les journalistes qui nous proposent des sujets agricoles sont pratiquement toujours des journalistes dans la veine environnementale », constate Christophe Brulé, ce qui joue sur les choix des angles des reportages. À France 2, « l'agriculture est le plus souvent traitée sous son aspect santé et alimentation », témoigne-t-on à sa rédaction. « C'est une approche un peu réductrice de l'agriculture » concède-t-on.
Presse écrite : un traitement « de crise »
Les sujets agricoles ne sont pas toujours simples à faire passer dans la presse écrite nationale. Mais « l'agriculture est tout le temps traitée en cas de crise », témoigne Éric de La Chesnais, journaliste en charge de l'agriculture au Figaro. Outre les sujets agricoles « extraordinaires », le citadin et le consommateur sont un argument clé pour que l'agriculture apparaisse dans les colonnes de la presse nationale. Sur le site Le Monde.fr, une rubrique « Agriculture et alimentation » a fait son apparition, il y a moins de dix ans. En outre, l'agriculture tend à être traitée par des journalistes dédiés à ce sujet.
Dans la presse régionale, l'agriculture a plus de place. Elle occupe le territoire, génère des événements locaux, fait sentir son poids dans l'économie locale. Aussi, elle est plus souvent et mieux traitée. Chez Ouest-France par exemple, François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef du journal, affiche clairement la position du quotidien régional : « Ouest-France est un média généraliste mais l'agriculture est quelque chose d'incontournable. Aussi, depuis la fin des années 1940, il existe un service agricole à Ouest-France. » Il n'y a pas vraiment de sujet privilégié, mais environnement et économie sont des angles d'attaque prioritaires.
C.P.
d'après Agrapresse
Régulièrement attaquée par voie médiatique, la profession agricole s’organise à travers la plateforme #agridemain. Elle cherche à diffuser un message positif et surfer sur le capital sympathie.
Faire face aux médias
Emission « Cash investigation » sur les pesticides, lien entre consommation de viande et cancer, vidéo de maltraitance animale dans un abattoir… En l’espace de quelques semaines, la profession a dû affronter plusieurs coups de projecteur médiatiques désastreux pour l’image, qui ne sont ni les premiers, ni les derniers. Elle n’avait pas attendu ces derniers événements pour réagir. « Après 18 mois de réflexion et de travail, nous avons lancé la plateforme #agridemain, explique Luc Smessaert. Il y a un trop gros écart entre la réalité de l’agriculture et l’image qu’en a le grand public. On veut raconter la vraie histoire. »Des « agri open tours » pour les journalistes
Cette démarche capitalisera sur l’existant et reposera sur la nomination d’ambassadeurs « des agriculteurs et ceux qui travaillent pour eux » afin de porter la bonne parole et surtout la parole juste. « On voit trop de gens qui parlent de sujets qu’ils ne connaissent pas ou mal », soupire le coordinateur de la plateforme. Les choses ne s’arrangent pas avec l’essor des réseaux sociaux. Et de regretter qu’« il y ait de moins en moins de journalistes spécialisés en agriculture dans la presse généraliste. »
D’où l’idée, de la même manière que les offices de tourisme avec leur voyage de presse, d’organiser « des agri open tour, pour que les journalistes s’intéressent à autre chose qu’à la crise ou à des événements sensationnels. On constate que nos métiers attirent de plus en plus les jeunes. Ce n’est pas le moment de faire peur. Il ne faut pas être sur la défensive, ouvrons nos portes ! »
Mais communiquer sur des sujets qui se prêtent aisément à la critique, à l’amalgame n’est pas facile. « Il faut repartir sur des choses simples : je soigne ma plante quand elle est malade », plaide Luc Smessaert. Et si aujourd’hui les responsables professionnels sont formés à l’exercice médiatique, le vice-président de la FNSEA suggère de donner quand il le faut la parole aux spécialistes « comme aux médecins sur le sujet des allergies au gluten par exemple ». Au-delà des réponses ponctuelles à une crise, c’est donc une communication profonde et régulière que la profession veut mettre en place,
« comme une lame de fond. Nous devons réussir ce qu’ont fait les artisans qui capitalisent aujourd’hui sur leur formule “L’artisanat, première entreprise de France” lancée il y a 17 ans ! »
La filière viande sur le qui-vive
Plus souvent attaquée qu’à son tour, la filière viande est désormais bien « rodée » pour faire face aux crises médiatiques. « L’idée, c’est de ne pas entretenir la polémique », commente Étienne Fillot, président d’Interbev Rhône-Alpes. L’interprofession développe au long cours une communication positive sur la filière. En cas de crise majeure, comme la fermeture d’un abattoir ou le rapport de l’OMS sur viande et cancer, une seule personne est mandatée - en l’occurrence le président national - pour répondre à la presse avec un « message clair, net et inattaquable ». Interbev a mis en place par ailleurs une veille stratégique des médias et des réseaux sociaux, notamment vis-à-vis des leaders d’opinions (vegan, etc.) pour anticiper les crises. C’est à ce titre qu’elle a communiqué sur le bilan carbone de l’élevage en amont de la Cop 21, démarche d’ailleurs récompensée par l’ONU.
D. B.