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Abricot

Contre la sharka, les variétés entrent en résistance

Un programme européen a permis entre 2008 et 2012 d’identifier des marqueurs de résistance à la sharka. Cette avancée a permis l’élaboration de variétés dites résistantes : la gamme Aramis® de CEP Innovation. Mais les recherches se poursuivent pour rendre durable cette résistance sur abricot et la transférer sur prunier et pêcher.
Contre la sharka, les variétés entrent en résistance

La sharka est une maladie virale dont l'impact économique est relativement important du fait d'une dégradation qualitative et quantitative de la production (voir encadré). Sur le terrain, la maladie est disséminée sur de longues distances par le déplacement du matériel végétal. « Des points d'entrée ont été observés au Canada, aux Etats-Unis et au Chili » mais bien évidemment aussi sur de plus courts trajets au niveau de la parcelle. « Il faut bien avoir en tête cette responsabilité du déplacement du matériel végétal quand on veut solutionner cette maladie », précisait dernièrement à l'occasion de la cinquième édition du réseau RED Paca le chercheur avignonnais Jean-Marc Audergon, de l'Inra Paca.
Au niveau européen, la recherche s'est emparée du problème en lançant notamment entre 2008 et 2012 le projet SharCo. « Nous avons voulu étudier les populations virales, en pleine évolution, par rapport à nos vergers souvent monoclonaux. Car quand on parle de résistance, il faut incorporer la variété de l'agent pathogène dans la gestion de cette lutte », poursuivait le chercheur.

Une carte génétique de la maladie

Dans le cadre de ce projet, les scientifiques ont trouvé des variétés qui ne multipliaient pas le virus ou avec des taux de multiplication très faibles. « Ces sources de résistances ne sont pas disponibles au sein de l'espèce pêcher, également touchée par la maladie. Mais sur abricotier, nous avons des variétés qui ne multiplient pas le virus dans les limbes et d'autres qui le multiplient mais n'extériorisent pas les symptômes. » Une avancée réelle puisque les variétés aujourd'hui présentes en France sont sensibles à la maladie.
La piste aujourd'hui travaillée est d'utiliser la génétique pour introduire ces résistances. « La maladie entraîne une gestion sous quarantaine, c'est-à-dire que nous ne sommes pas autorisés à faire des expérimentations au champ. Mais nous pouvons le faire en situation contrôlée de laboratoire. Cette contrainte de place fait que nous travaillons sur des plants miniaturisés qui vont simuler un type de comportement. Nous faisons ensuite des tests sur des plantes en pot avant d'être en mesure de réaliser des essais sur de plus grandes populations. »
Les chercheurs ont donc caractérisé des porte-greffes très sensibles au virus du PPV (plum plox virus) sur lesquels ont été greffé des variétés à tester. Puis, ils ont cherché les symptômes sur la pousse avant de classer les résultats variétaux en trois catégories grâce à des tests sérologiques et moléculaires : sensible (lorsque le virus est détecté dans le greffon et des symptômes observés), tolérante (si les particules virales sont observées mais sans apparition de symptômes sur la plante) et résistante (pas de virus détecté sur le cultivar et pas de symptômes). « Nous avons trouvé des résistances en Asie centrale. Ces résistances ont été croisées avec des variétés commerciales à la fois sensibles et résistantes pour voir si cela entraînait à la fois une multiplication du virus et l'apparition de symptômes. Ceci nous a permis d'établir une carte génétique de la maladie sur laquelle nous avons été en mesure d'identifier une région du génome particulière impliquée dans la résistance de la maladie. Nous avons ensuite voulu densifier les marqueurs spécifiques à cette partie du génome. »

En développement sur prunier et pêcher

En conditions contrôlées, les chercheurs ont ainsi pu identifier trois marqueurs relatifs à cette partie du génome. Les résultats montrent que les variétés tolérantes partagent ces marqueurs. « Quand on croise ce que l'on observe, on constate que certaines variétés ayant ces marqueurs moléculaires associé au PPV montrent, malgré tout, des signes de maladies. Ce qui prouve que nous avons piégé une partie des facteurs de résistances, mais pas tous. Donc on cherche actuellement de nouveaux marqueurs. Mais c'est une première avancée qui nous permet déjà d'éliminer le matériel sensible dont nous disposons actuellement. »
Pour que cette résistance soit durable, il faut donc que les variétés disposent de ces marqueurs connus (PPVres pour plum plox virus résistant) ainsi que d'autres marqueurs restant à identifier. « Deux conditions nécessaires ensemble pour pérenniser la durabilité de la résistance », complétait Jean-Marc Audergon. Mais en l'état actuel des choses, ces marqueurs PPVres sont intégrés dans les programmes variétaux et ont d'ores et déjà permis de lancer une gamme de variétés résistantes à la sharka, la gamme Aramis® lancée par CEP Innovation et qui a reçu un Sival d'or en 2015.
Depuis, les chercheurs ont commencé à faire des croisements entre abricotiers et pruniers japonais porteurs de ces marqueurs « afin d'introduire la résistance dans le prunier, puis, à partir du prunier, d'introgresser* ces facteurs de résistance dans le pêcher », concluait Jean-Marc Audergon.

 

Céline Zambujo

* Dans le domaine de la génétique (des plantes notamment), le mot introgression (ou « introgressive hybridization » pour les anglophones) désigne le transfert (naturel ou dans certaines circonstances plus ou moins contrôlées) de gènes d'une espèce vers le pool génétique d'une autre espèce, génétiquement assez proche pour qu'il puisse y avoir interfécondation. (source : Wikipédia).

 

 

Sharka : des milliards d’euros de pertes

Au niveau mondial ces trente dernières années, près de 3,5 milliards d’euros auraient été perdus par la filière abricot au niveau mondial, sans parler des 10 milliards d’euros supplémentaires pour gérer la maladie en verger. « En Grèce, les arboriculteurs du Péloponnèse ont engagé un vaste plan d’arrachage car il ne parvenaient plus à juguler la maladie. Bilan : la production est passée de 120 000 à 30 000 tonnes en quelques années. Aujourd’hui, le verger est en reconstruction », relatait Jean-Marc Audergon, de l’Inra Paca, le 15 novembre dernier à l’occasion de la cinquième édition du réseau RED Paca. En France, depuis vingt ans, l’État et les professionnels ont engagé cinq millions d’euros pour lutter contre cette maladie de quarantaine.