Coût de la prédation : 66 M€ dépensés en 2020
Émilie Bonnivard, députée de la Savoie, vient de présenter les résultats d’une mission d’information sur le coût en dépense publique de la prédation, à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Des chiffres impressionnants qui viennent remettre en cause l’efficacité de cette politique publique.

La Commission des finances de l’Assemblée nationale a confié en 2020 à la députée de la Savoie, Émilie Bonnivard, une mission d’information sur le coût en dépense publique de la prédation. Au travers de très nombreuses auditions, la députée a amené des éléments de réponses précis et objectifs pour fournir une estimation en coûts complets de la politique d’encadrement des effets de la prédation sur le pastoralisme et de son évolution depuis dix ans. Il s’agissait d’évaluer l’efficacité de cette politique publique : parvient-elle à réduire drastiquement le nombre d’attaques et de victimes de la prédation, voire à les ramener à zéro dans un contexte de stricte protection des grands prédateurs qui exclut leur régulation ? La volonté d’Émilie Bonnivard a été plus largement de questionner dans ce contexte l’avenir du pastoralisme et la pertinence d’une révision du cadre de protection stricte de ces espèces.
Savez-vous compter les loups ?
En 2009, la France comptait 194 loups sur son territoire et en 2015, un nombre de 293 loups était officiellement estimé par l’ONCFS (devenue depuis OFB, pour Office français de la biodiversité). En 2021, cette estimation atteignait 624 loups, avec une marge d’erreur comprise entre 414 et 834 individus. Selon les chasseurs et la profession agricole, leur nombre est bien plus élevé que les chiffres annoncés par l’OFB. Une évaluation alternative est en cours de construction, sous l’autorité du préfet coordonnateur. Le nombre de zones de présence permanente annoncé en mars 2022 par le réseau Loup-Lynx est de 145, soit vingt de plus que l’année précédente. Ce qui confirme une augmentation exponentielle du nombre de loups et du nombre de zones de présence en seulement cinq ans. Ils ont aujourd’hui colonisé plus de quarante départements.
Le loup n’est plus une espèce menacée
La dynamique démographique de l’espèce en France montre que la politique européenne de protection stricte de l’espèce a fonctionné. Le loup n’est plus considéré comme une espèce menacée, même si la députée n’est pas parvenue à disposer d’éléments objectifs au niveau européen « qui permettraient de connaître le nombre d’individus et l’espace géographique nécessaire au bon état de conservation de l’espèce ». Ce refus de chiffrer le nombre de loups en Europe constitue une vraie difficulté en matière de définition et d’adaptation d’une politique publique européenne, avec des impacts particulièrement lourds pour le monde agricole. Concernant la population d’ours, ayant fait l’objet de réintroductions ayant permis ensuite une croissance naturelle, elle comptait 15 individus en 2006, 32 en 2015, puis 64 en 2020, témoignant du doublement de la population ursine en cinq ans. Cette population est très concentrée dans un territoire restreint en Ariège.
Une croissance des attaques
La présence accrue des grands prédateurs a pour conséquence directe la multiplication et la croissance continue ces quinze dernières années du nombre d’attaques d’animaux d’élevage, des ovins en premier lieu. Le nombre de constats d’attaques a explosé entre 2010 et 2020, passant de 984 à 3 730 attaques constatées, soit trois à quatre fois plus en dix ans. Le nombre de victimes parmi les bêtes d’élevage a été multiplié par trois : alors qu’en 2010, 3 791 victimes du loup étaient recensées, leur nombre a atteint 11 849 en 2020. Malgré le déploiement des mesures de protection, dont les bergers et les chiens de protection, les niveaux d’attaques et de pertes restent extrêmement élevés pour les éleveurs qui les subissent. Si le nombre de victimes de l’ours reste inférieur au nombre de victimes du loup, leur croissance est particulièrement forte depuis plusieurs années. En 2020, 930 animaux ont été indemnisés à la suite d’une attaque d’ours, contre 247 en 2015, soit une hausse de 277 %.
Le pastoralisme menacé
Les conséquences de cette pression accrue de la prédation sont d’une évidence désarmante : le pastoralisme français est menacé par la prédation comme il ne l’a jamais été. Il s’agit pourtant d’un secteur pourvoyeur d’emplois, gardien de pratiques ancestrales et d’opportunités économiques pour les territoires de montagne souvent enclavés. Plus encore, le pastoralisme est porteur d’aménités positives pour les espaces naturels dans lesquels il est exercé, comme le reconnaît le code rural, selon lequel le pastoralisme contribue à l’entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité. La détresse des éleveurs, leurs difficultés, le stress permanent qu’ils vivent dès la sortie de leurs animaux ne seraient tolérés pour aucune autre profession. Les risques psychosociaux sont particulièrement élevés comme en attestent les mesures mises en place par la MSA sur ces territoires, et impactent les perspectives de renouvellement des générations dans la filière.
Une politique inefficace
Si l’on peut conclure à une relative inefficience de cette politique publique au simple regard du rapport entre l’évolution de la dépense publique qui lui est consacrée (lire ci-contre) et ses résultats en matière de réduction du nombre d’attaques, il est certain que la situation serait bien pire sans ces moyens déployés. Émilie Bonnivard a souhaité saluer les efforts de toutes les parties prenantes dans ce dossier sensible, « les éleveurs, les représentants de la profession agricole, les associations comme France nature environnement, les membres de la brigade grands prédateurs, les lieutenants de louveterie, les chasseurs, les fonctionnaires et aussi, tout particulièrement, les personnels des services déconcentrés de l’État qui se retrouvent souvent sur le terrain et qui font de leur mieux dans un cadre légal, à mon sens désormais totalement dépassé, pour accompagner des éleveurs à bout ». La députée a le sentiment d’une fuite en avant de la dépense, des moyens humains engagés, des attaques, des victimes, « sans que l’on ne parvienne à réellement résorber le tout. Il est donc urgent d’interroger la Commission européenne sur le caractère désormais adapté et sur l’avenir de ce cadre légal fortement contraignant de maintien d’une protection stricte de ces espèces, dont la croissance est exponentielle pour le loup notamment, et dont les conflits sont nécessairement amenés à se renforcer sur les espaces pastoraux, à moins d’accepter une croissance toujours plus forte de la dépense publique, une multiplication des tirs dérogatoires, ou une modification et un affaiblissement fondamental du pastoralisme dans sa forme ancestrale (plusieurs mois d’estives et de pâturage, hors de l’étable). De manière générale, cette politique publique souffre d’un déficit important d’évaluation aux niveaux national et européen ». Lors de la présentation de ce rapport, en Commission des finances le 23 février dernier, Émilie Bonnivard a demandé aux députés présents de s’interroger sur la place de l’homme et de ses activités dans la nature.
Une nature sans humain ?
« Une nature fermée à une présence humaine respectueuse et mesurée serait un renoncement majeur et non-souhaitable. L’équilibre entre la protection des espèces protégées et le maintien des activités pastorales et, plus largement, des activités humaines, impose de dépasser une vision manichéenne de la relation entre l’homme et la nature, surtout pour des activités ancrées depuis des millénaires dans leur écosystème naturel. Il convient de mener à ce sujet une politique publique cohérente, efficace et transparente, mais fondée sur un principe de responsabilité et respectueuse de toutes les parties prenantes dans la nature, contributrices chacune à des niveaux différents à la préservation de la biodiversité », conclut le rapport de la députée.
Claudine Lavorel
Explosion de la dépense publique et des attaques
Dans sa mission d’information, la députée Émilie Bonnivard a recensé le coût de cette politique qui tente de concilier deux priorités que tout oppose : d’une part, préserver le pastoralisme et d’autre part garantir la protection des grands prédateurs. Le coût des mesures de protection, prises en charge en partie par l’État et l’Union européenne, est passé d’environ 6,20 millions d’euros (M€) en 2010 à 18,76 M€ en 2015, puis à 29,76 M€ en 2020, un coût pratiquement multiplié par cinq en dix ans. Les dépenses d’indemnisation ont également augmenté, passant d’un peu plus d’1 M€ en 2010 à 2,88 M€ en 2015, puis à 4,54 M€ environ en 2020, soit une multiplication par plus de quatre en dix ans. Cette politique entraîne bien d’autres dépenses pour la puissance publique, qui ont fortement augmenté ces dernières années, dont des dépenses de personnel estimées à 11,45 M€ en 2020 et qui comprennent la création de postes de préfets coordonnateurs, les personnels dédiés en Central et dans les services déconcentrés, les personnels recrutés à l’ASP ou encore ceux de l’OFB et de la brigade grands prédateurs. D’autres dépenses ont augmenté comme le défraiement des louvetiers pour leurs interventions et des mesures complémentaires spécifiques au massif des Pyrénées.
Plus de 66 M€ en 2020
Au total, le coût pour la puissance publique de cette politique publique représente a minima 56,02 M€ en 2020. A minima, car cette évaluation est la plus exhaustive qu’il a été possible de réaliser. Elle exclut des dépenses réalisées par les communes, les départements et les régions. À cette dépense publique il convient d’ajouter des dépenses prises en charge par des acteurs privés, dont les éleveurs et les chasseurs par exemple. L’effort national global s’élèverait ainsi a minima à 66 M€, dont presque 8 M€ de reste à charge supporté par les éleveurs, ce qui est considérable pour des dépenses totalement non-productives. En définitive, depuis 2004, la dépense globale de protection des troupeaux au titre de la prédation par le loup s’élève à plus de 200 M€. Logiquement, la hausse constante du coût de cette politique publique et des moyens afférents depuis dix ans devrait se traduire, selon son objectif, par une décroissance du nombre d’attaques et de victimes, et par une baisse du nombre d’animaux indemnisés. Or, il n’en est rien. Le nombre de victimes a poursuivi sa croissance. Au cours des dernières années, la courbe des dépenses liées aux mesures de protection et la courbe du nombre de victimes de la prédation n’ont fait qu’évoluer de manière parallèle. Cette dynamique s’observe également pour l’ours.
Vingt-six propositions pour sortir de l’impasse
Émilie Bonnivard a formulé vingt-six recommandations pour réformer la politique de protection du pastoralisme et pour réévaluer à une échelle pertinente la protection des grands prédateurs. En particulier, la nécessité d’établir un seuil de viabilité des espèces à l’échelle européenne et une réévaluation du classement du statut des espèces strictement protégées dans la directive « Habitats » en fonction de la réalité de leur état de viabilité biologique au niveau européen. Parmi les autres recommandations, citons : la révision des modalités d’estimation de la population lupine, le financement des mesures de protection par le budget du ministère de la Transition écologique, l’assouplissement du plafond de quotas de prélèvement de prédateurs afin de défendre de manière systématique et réactive les troupeaux tout au long de l’année, un meilleur équipement des chasseurs participant aux protocoles de tirs, ou encore un renforcement de l’information du Parlement et des citoyens quant aux dépenses découlant de la protection des grands prédateurs.
C. L.