Covid-19 : les vignerons ne sont pas tous logés à la même enseigne

Depuis le 17 mars, plus aucun bar ni restaurant ne sert de vin en France. La sanction a été immédiate pour de nombreux vignerons qui ont, pour certains, vu 80 % de leurs ventes disparaître du jour au lendemain. « Ce sont surtout les petites caves indépendantes qui manquent aujourd'hui de débouchés avec l'arrêt de la restauration hors domicile, l'interdiction de certains marchés et l'impossibilité de faire de la vente directe », explique Sandrine Roussin, vice-présidente de la chambre d'agriculture de la Drôme. Encore préservés, les vignerons travaillant avec des enseignes de la grande distribution devraient également être impactés. « Nous étions en pleine bataille avant la crise et il faut rester vigilants à ce que les prix restent rémunérateurs dans les grandes enseignes. À ce jour, il n'y a pas de révision générale des prix mais on constate par exemple que les dernières cotations pour les côtes-du-rhône ont perdu 25 €/hl », alerte-t-elle. À l'export, qui représente environ un quart des ventes de la production française, la situation n'est guère plus favorable. « Nous étions déjà en difficulté à cause des troubles géopolitiques comme les révoltes à Hong Kong, des taxes de Donald Trump sur les vins français et l'officialisation du Brexit. Mais avec cette crise du coronavirus, c'est l'ensemble du marché de l'export qui se retrouve aujourd'hui à l'arrêt. Toute la filière va être impactée, les vignerons comme les négociants et les grossistes qui verront, à terme, leur activité ralentir », déplore Patricia Picard, déléguée générale du Comité vin d'Auvergne-Rhône-Alpes.
Distillation de crise
Avec l'arrivée prochaine des vendanges, ces difficultés d'écoulement pourraient rapidement engendrer des problèmes de stockage du vin. Plusieurs types de vins comme les rosés, habituellement consommés aux beaux jours, ne pourront pas non plus être stockés et vendus plus tard dans l'année. Constatant l'accumulation de vins invendus, l'Association générale de la production viticole (AGPV) a réclamé, le 14 avril, la mise en place de mesures fortes permettant d'envoyer à la distillation quelque trois millions d'hectolitres avant les
vendanges. L'AGPV évoque un prix de 80 € /hl pour les vins IG, ce qui permettrait de ne pas mettre à mal le travail engagé ces dernières années sur le marché. La Commission européenne tardant à réagir, le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, tente aujourd'hui de faire pression pour appuyer les demandes de la filière afin de permettre une distillation de crise et un stockage des vins excédentaires. Pour la France, l'enveloppe de distillation s'élève à plus de 240 millions d'euros, une somme que le ministre souhaiterait voir prise en charge intégralement par l'Union européenne.
Maintenir le lien avec le consommateur
La mise en place des mesures de confinement a fait émerger de nouvelles habitudes d'achat chez le consommateur. Aux bonnes bouteilles achetées directement dans les caveaux des vignerons se sont substitués, ces dernières semaines, les bag-in-box (ou cubis) que l'on retrouve directement en grandes surfaces. Soucieux de ne pas perdre le lien avec le consommateur pendant cette période, de nombreux producteurs de vins indépendants se sont donc lancés dans le drive. « À défaut de pouvoir accueillir du public dans les caveaux, de plus en plus de vignerons proposent aujourd'hui à leurs clients de commander par mail leur vin et de venir le récupérer directement sur place. Même si pour le moment cela relève plus du dépannage, on constate que cela fonctionne plutôt bien. Pour faciliter les commandes, de nombreux vignerons se sont d'ailleurs associés à des producteurs de fruits et de légumes, ce qui permet de valoriser les produits du terroir », explique Patricia Picard. Transformer cette période difficile en moteur pour redémarrer, ils sont aujourd'hui nombreux à y croire. « Au Comité vin, nous travaillons à la valorisation de ce côté proximité qui plaît au consommateur. Avec d'autres régions, nous réfléchissons à des évènements qui permettraient de faire perdurer après le confinement cette belle alliance entre producteurs locaux », se satisfait Patricia Picard.
Pierre Garcia