De nombreux chemins mènent à l'agroécologie

«L'idée de ce recueil est de montrer que l'agroécologie est possible pour tous, qui que l'on soit sur l'exploitation, seul ou associé, agriculteur ou salarié, explique Antoine Carret, ingénieur conseil chez Trame à Lyon. À travers trente témoignages d'agriculteurs partout en France réunis dans un recueil intitulé " En chemin vers l'agroécologie ", le lecteur découvre ce qui a été déterminant dans chaque situation pour faire évoluer les pratiques : difficultés économiques, visite d'une autre exploitation, mauvaises expériences, formation, rencontre, valeurs, etc. Le déclencheur est différent d'un agriculteur à l'autre. » Les motifs de changement sont d'ailleurs illustrés dans le schéma ci-contre. « Au-delà des techniques employées,
le changement de pratiques revêt une part d'humain très importante, poursuit Antoine Carret. Le travail en collectif est une aide précieuse pour faire face à ses doutes et ses craintes. Les émotions sont également très importantes dans les phases de changement. » Par exemple, la « peur » de ne pas réussir à faire tenir les équilibres économiques de l'exploitation en faisant évoluer ses pratiques peut bloquer une envie de s'orienter vers le sans labour ou vers une pratique médicale qui réduit radicalement le recours aux antibiotiques. Dans ce recueil, les agriculteurs évoquent également leurs craintes et leurs difficultés, leurs regrets et leurs aspirations, la façon dont ils referaient les choses si c'était à refaire, leurs motifs de satisfaction, etc. Une lecture inspirante dont nous avons sélectionné quelques témoignages. L'exploitation est aujourd'hui dans un système agroécologique qui permet de limiter le travail de la terre et d'améliorer la vie du sol.
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Élevage en bovin viande / “ Face à des coûts de production élevés, je me suis intéressé au sans-labour”
Pierre Pertuizet, 57 ans, est éleveur dans l’Ain, au sein du Gaec du Gros Buis sur 200 ha avec un atelier de génisses de repousse en pension (croisées, viande). Installé depuis 1981 avec son père, il a créé un Gaec avec son frère en 1983. Face à des coûts de production trop élevés suite à la reprise de terres nouvelles et des coûts de fumure importants, l’éleveur cherche des solutions. « Mon arrivée dans le Ceta (centre d’études des techniques agricoles) Bressan, en 1997, a répondu à mes attentes d’appuis technico-économiques. Mais, déjà en 1985, nous étions intéressés aux techniques sans labour. C’est là que j’ai pris conscience de l’importance de la matière organique pour les sols. Avant mon entrée au Ceta, j’avais conduit un essai de non-labour sur du colza pour essayer de gagner du temps et d’économiser du gasoil. La vie du sol n’était pas encore au centre des préoccupations mais plutôt l’économie de carburant qui guidait ce choix. Fort de premiers résultats favorables, j’ai développé la pratique du non-labour sur les semis d’herbe. Puis les céréales ont suivi. » Pierre Pertuizet indique que les raisons de ce changement étaient au départ strictement économiques. « Au fil du temps, la découverte d’impacts positifs sur la qualité des sols a changé l’angle d’approche. Cependant, au départ, un inconvénient est apparu : le désherbage, plus difficile, a accru le salissement des parcelles. Aujourd’hui, les risques... on en parle en groupe.
On voudrait passer en semis direct. Je ne pense pas prendre de risque à passer en agroécologie. Il n’y a plus d’impact sur le rendement, ni sur le salissement. On gagne beaucoup de temps, on a une meilleure structure du sol, moins de compactage. L’introduction des couverts dans la rotation a apporté beaucoup de bénéfices : structure du sol, vie du sol (vers de terre, bactéries...), de la matière organique qui reste en surface, moins de salissement, moins de travail du sol à la reprise... Le Ceta est le soutien de notre transition vers l’agroécologie. »
Élevage laitier / “ Je souhaite développer des pratiques d’exploitation respectueuses de la nature ”
Xavier Perreard, 53 ans, élève 80 vaches laitières et 50 génisses au sein d’un Gaec avec son frère Damien en Haute-Savoie, à proximité de la Suisse sur une surface de 144 ha. « Avec mon frère, nous avons repris l’exploitation derrière nos parents en 1987. C’était une exploitation en système intensif. Les productions sont classiques du Bas Genevois : du lait livré à la coopérative Les Fermiers Savoyards pour du fromage IGP tomme de Savoie, emmental et raclette de Savoie et des céréales sur la partie frontalière avec la Suisse. Au sein du Ceta du Bas Genevois, dont nous faisions partie, d’autres pratiques agricoles sont arrivées telles que le semis direct, les TCS, les prairies sans engrais. Nous en mesurons les bienfaits par l’impact agronomique sur les sols. Vers 2010, les mesures des apiculteurs de Haute-Savoie favorisent l’implantation de couverts et l’introduction de plantes mellifères en interculture sur le Gaec. » Xavier Perreard résume ses motivations à faire évoluer ses pratiques via l’image du sport qu’il pratique à haut niveau. « J’aime me lancer des challenges personnels et professionnels ! Je fais partie des fondateurs du Geda des agriculteurs du Genevois créé en 2002. Nous menons des actions d’expérimentation et de développement, tant agricoles comme des expérimentations « apiculture » ou « couverts végétaux », que territoriales à travers des procédures comme le contrat de rivière Arve et Rhône. Mon implication dans ce collectif m’a fortement stimulé pour conduire des changements sur mon exploitation. » Depuis 2015, le Gaec La Sauvegarde et douze autres exploitations, représentant au total 21 agriculteurs, sont engagées dans un GIEE intitulé Conserver une agriculture productive et respectueuse de l’environnement en territoire de forte pression foncière. L’apport du collectif est capital pour lancer l’exploitation dans la compétition. « Mon frère et moi cherchons un nouveau challenge pour l’exploitation : l’implantation vers 2020 d’une unité de méthanisation qui pourrait permettre à notre autre frère de revenir sur l’exploitation, poursuit Xavier Perreard. 95 % du digestat serait de nature endogène (lisier de fumier de vaches et de chevaux, Cive...) et l’azote serait restitué aux cultures. Par ailleurs, en 2020, l’exploitation aura opéré sa conversion à l’agriculture biologique. »
Viticulture / “ J’ai arrêté le glyphosate car j’étais mal à l’aise pour parler de mes pratiques ”
Sur le domaine du Val des Rois à Valréas dans le Vaucluse, Emmanuel Bouchard s’est installé à 42 ans en 1997 après avoir exercé en tant que pharmacien pendant plusieurs décennies. Il travaille 10 ha en côtes-du-rhône villages valréas dont la moitié est commercialisée en vente directe et le reste à l’export. « Mon père était ingénieur agronome et il a été précurseur de l’enherbement naturel, qu’il a mis en place dans les années 1980. Cette pratique est très adaptée à la structure de nos sols argileux en coteaux, soumis au ravinement et pauvres en matière organique. Il laissait un enherbement naturel sur un interrang sur deux pour lutter contre l’érosion et ne pas faire trop concurrence à la vigne. Il désherbait le rang chimiquement. » Après avoir repris l’exploitation en 1997, Emmanuel Bouchard fait évolué les pratiques de par sa sensibilité de pharmacien. « Cela me dérangeait d’utiliser un produit synthétique, d’autant plus que je suis pharmacien, même en petites quantités, explique le viticulteur. J’ai supprimé l’utilisation de l’aminotriazole qui présentait des problèmes de rémanence. Je me suis beaucoup documenté, j’ai lu des livres. On parlait de plus en plus de l’impact négatif du glyphosate et je n’étais pas à l’aise pour communiquer avec mes clients sur mes pratiques…
En 2005, j’ai décidé d’arrêter le glyphosate. En 2009, j’ai entamé ma conversion en agriculture bio et 2013 a été le premier millésime labellisé bio. Aujourd’hui, je laisse un enherbement naturel sur un interrang sur deux (en alternant d’une année sur l’autre) et je travaille mécaniquement le sol sur le rang au pied des ceps. J’ai acheté une jument comtoise en 2017 pour gérer le décavaillonnage avec le cheval et découvrir une nouvelle activité : le travail avec l’animal. Aujourd’hui, nous prenons plaisir à faire visiter notre vignoble . Et le fait d’être en bio attire plus de monde sur l’exploitation, d’où le développement de repas et de dégustation. »