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Réforme régionale

De nouvelles Régions, plus fortes pour négocier à Bruxelles

Il y a à peine un an, les Régions sont devenues l’autorité de gestion du deuxième pilier de la politique agricole commune. Et demain ? Les nouvelles Régions, plus fortes et moins nombreuses, iront négocier les budgets européens à Bruxelles.
De nouvelles Régions, plus fortes pour négocier à Bruxelles

Les Régions sont devenues des incontournables du développement agricole en France. Depuis le 1er janvier 2014, elles sont devenues les autorités de gestion du deuxième pilier de la politique agricole commune, le Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural). Ce n'est pas rien : il représente 23 % du budget de la Pac 2014 -2020. Les vingt-deux Régions françaises ont la charge de distribuer ce financement européen sur les territoires pour le développement rural et agricole. La régionalisation de la gestion du budget européen est une option ouverte par Bruxelles depuis plusieurs années. Mais l'État ne se détache pas totalement de la gestion du deuxième pilier de la Pac. Il a tout de même envoyé un « cadre national » aux Régions dans lequel il est précisé : « certains éléments méritent d'être cadrés et harmonisés au niveau national. Ce cadrage national s'exprime en premier lieu naturellement dans l'accord de partenariat ».

Les Régions, mieux dotées

Concrètement encore, gérer le Feader, c'est produire un rapport de plus de 500 pages, appelé le programme de développement rural (PDR). Il contient les mesures à mettre en œuvre sur les territoires (modernisation des bâtiments, installation des jeunes, aides à l'agriculture biologique, etc.) et le fléchage du fonds. Autrement dit : il permet à Bruxelles de vérifier que le budget européen est « bien » utilisé dans les États membres. Ce « pavé » fait la navette, en général plusieurs fois et pendant des mois, entre l'autorité de gestion et Bruxelles qui valide ou non. Les Régions héritent ainsi de ce travail assumé par les services déconcentrés de l'État, depuis la création du deuxième pilier de la Pac en 1999. Cette nouvelle fonction s'accompagne aussi d'un budget. Et pas des moindres. Le budget du Feader pour la France a augmenté par rapport à la dernière période passant de 6 à 11,4 milliards d'euros pour six ans. Et il est en hausse « dans toutes les Régions », relève Hélène Aussignac.

Les Régions, moins nombreuses et plus fortes

Outre la gestion du Feader, les Régions seront renforcées dans les années à venir par un des volets de la réforme territoriale. À partir du 1er janvier 2016, elles seront moins nombreuses et plus fortes. Henri Bies-Péré, président de la FRSEA Aquitaine, commente : « Il faut profiter de ce nouveau poids. Tant qu'à donner des compétences aux Régions, autant leur donner le poids suffisant pour peser au niveau européen. À Bruxelles, nous n'étions pas à la bonne taille ». Et de fait, la fusion des Régions cristallise certaines disparités entre Régions : si certaines y gagnent comme Auvergne Rhône-Alpes, les écarts de Feader entre nouvelles Régions détonnent. Hélène Aussignac rappelle que pour la prochaine période (2021-2027), il n'y aura plus que treize PDR qui feront la navette entre les Régions et Bruxelles. Mais le gros du travail reste à faire : harmoniser ces PDR au sein des nouvelles Régions.

Six années de transition

D'ici là, les budgets Feader 2014-2020 sont fixés, les PDR en cours de validation à Bruxelles. Mais « les calendriers européen et français se recoupent. Au 1er janvier 2016, on diminue le nombre de Régions », explique Hélène Aussignac. Les budgets ne vont pas fusionner pour autant, ni les PDR associés. La spécialiste précise qu'il est « inimaginable » de refaire des PDR avec les 13 nouvelles Régions en pleine programmation. « Ce doit être opérationnel pour les agriculteurs », soutient-elle. Bruxelles est d'accord : de 2016 à la fin de la période de programmation, il y aura 22 PDR associés aux anciennes régions françaises, mais 13 régions créées par la loi française. Ces dernières auront tout de même du pain sur la planche. Les PDR peuvent être modifiés chaque année. « Au sein des nouvelles Régions, l'objectif sera d'essayer de les harmoniser tout au long de la période 2014-2020 », précise-t-elle. Le défi est de taille. L'idée est d'avoir un projet harmonisé au sein des nouvelles Régions pour les prochaines négociations avec Bruxelles.
(1) Auteur de  La régionalisation européenne : essai de définition  - 2014 - Èditions Regards croisés, Bruylants

 

 

Interview / Avec la réforme territoriale, l’organisation des pouvoirs au sein des régions va évoluer. Pour Anne-Claire Vial, présidente de la chambre d’agriculture de la Drôme et de l’association Sol et civilisation, il convient de s’y adapter tout en entendant les attentes des nouveaux lieux de pouvoir.

Le pouvoir va davantage être régional

Anne-Claire Vial, présidente de la chambre d’agriculture de la Drôme.

Quels sont les enjeux de la réforme territoriale ?
Anne-Claire Vial (1) : « La réforme territoriale dessine une nouvelle géographie et accompagne finalement une tendance lourde de l’organisation européenne : un mouvement de mondialisation qui met en relation des grandes métropoles, un mouvement de relocalisation qui fait des territoires le nouveau creuset du développement. Nous assistons au recul de l’État du XXe siècle, à la fois très jacobin et acteur essentiel du développement économique. Nous avons désormais un État recentré sur ses missions régaliennes. En bref, il y a un double mouvement, à la fois supranational et infranational, incarné par le couple Métropole/Région qui propose cette nouvelle réforme.
Dans ce contexte, où mondialisation, métropolisation et territorialisation avancent de concert, l’enjeu pour les filières agricoles et la ruralité est d’être pleinement des acteurs de cette nouvelle géographie. Avec la mondialisation, il faut être performant sur les marchés internationaux : agriculture d’exportation, agroalimentaire, tourisme vert et patrimonial. Face à la métropolisation et la territorialisation, il convient d’être un partenaire de la transition durable aujourd’hui recherchée : circuits alimentaires régionaux, fournisseur d’énergie et de chimie verte, acteur de l’économie circulaire, gestionnaire du vivant des zones peu denses, de l’eau, des sols, de la biodiversité, etc. L’enjeu n’est donc pas de défendre une ruralité  contre la ville et une protection de nos frontières, ce serait anachronique ; il s’agit de défendre une inclusion positive dans les territoires régionaux métropolisés tout en recherchant un soutien face à la mondialisation des échanges.»

Quels seront, d’après vous, les rapports entre l’agriculture et les nouveaux centres de pouvoir des grandes régions ?
A-C. V. : « Effectivement, le barycentre du pouvoir va davantage être régional et métropolitain qu’étatique et parisien. Les organisations agricoles vont devoir s’y adapter - ce qu’elles font en partie déjà. Les lieux de pouvoir changent mais l’agriculture ne perdra effectivement de l’influence que si elle reste sourde aux attentes de ses nouveaux lieux. Il ne suffira pas d’être présent dans ces nouveaux lieux de pouvoir pour être écouté. Il faudra trouver les bons outils et de nouvelles méthodes pour y arriver. »

Quelles sont les attentes du monde agricole face à ces mouvements ?
A-C V. : « Il nous faut être reconnus comme des acteurs positifs de la régionalisation, de la territorialisation et pas seulement comme des empêcheurs de tourner en rond. Du chemin reste à faire car nous sommes encore trop souvent sur des logiques de conflit plutôt que de co-construction. Pour avancer, nous devons repenser nos modes de gouvernance et nos modes d’action. Sortons du participatif stérilisant, passons à des logiques collaboratives où les exigences des uns et des autres peuvent être effectivement prises en compte. Il faut sortir des solutions a priori qui font fuir tout le monde et ne permettent aucun changement durable comme « le bio comme solution universelle » ; « le circuit court comme seul circuit alimentaire respectable » ; « les mesures agri-environnementales imposées qui font fi des contextes ». Il faut faire confiance à nos intel
ligences collectives. Nous devons travailler sur des processus pragmatiques avec des exigences de
résultats plus que des contraintes de moyens. Sur le volet mondialisation, l’Europe doit nous donner des cadres pour favoriser une concurrence saine et garantir un maximum de risques. »

Propos recueillis par Marie-Cécile Seigle-Buyat

(1) Anne-Claire Vial sera grand témoin lors de l’assemblée générale de Saf Agr’Idées le 11 juin à Paris sur le thème « Réforme territoriale : quels enjeux pour les filières agricoles et la ruralité ? »