Dégustation : toute une histoire !

«L'obtention de l'IGP saint-marcellin (1) a demandé un gros travail en amont. Aujourd'hui, il s'agit de faire vivre le produit et de l'aider à grandir ». Didier Ladet, responsable du site de la fromagerie Saint-Colombe (groupe Granarolo) à Saint-Genix-les-Villages (73) est un porteur de mémoire. Ce nom poétique désigne les professionnels de l'appellation qui siègent à la commission dégustation (ou organoleptique) (2). Ses membres se réunissent tous les deux mois dans le cadre de l'ODG (3). Leur mission : accompagner le saint-marcellin, assurer sa pérennité, sa promotion, sa communication mais aussi gérer les événements liés à la vie du produit.
Gardien et arbitre
« Je connais le saint-marcellin depuis 1991, explique Didier Ladet, dont la vie professionnelle est associée à celle du petit fromage. Je l'ai connu avec toutes ses diversités et ses caractéristiques. » Pour lui, une IGP doit définir un produit dans toute sa pluralité. « Par exemple, on sait qu'un saint-marcellin peut être recouvert de moisissures bleues mais que cela est plutôt ressenti négativement par le consommateur. Aussi, les fabricants visent à éviter ces moisissures. Notre rôle, en tant que porteurs de mémoire, est de les accepter pour ne pas qu'elles disparaissent. Car ces moisissures font partie du produit. Et les fromages fermiers sont produits avec ce bleu, en accord avec l'appellation. »
En tant qu'expert, le porteur de mémoire est le gardien d'un patrimoine, il est aussi arbitre. « C'est aussi notre rôle d'élaguer : on ne met pas sous un même nom un produit frais, sec ou affiné. Il faut être un peu réducteur tout en prenant soin de conserver ce qui a été le produit. Notre but est de fédérer le plus de monde possible, que les transformateurs soient fermiers, artisanaux ou plus industriels. »
Un processus très spécifique
L'ODG a mis l'accent sur la professionnalisation de tous les membres de la commission organoleptique qui ont suivi en 2018 des formations à la dégustation. L'objectif est de renforcer son rôle et d'améliorer le retour aux fabricants sur le profil sensoriel de leurs fromages.
Didier Ladet rappelle que le processus de fabrication du saint-marcellin « dit lactique, est très spécifique car assez long. Ce sont toujours les mêmes gestes : on emprésure et on caille le lait le jour même de son arrivée. On le moule le lendemain. Ce processus immuable, défini par le cahier des charges, est peu répandu en fromagerie. Il peut évoluer pour des raisons de mécanisation mais les étapes de fabrication restent les mêmes, quels que soient les transformateurs. »
C'est sans doute pour cela que ce petit fromage « qui ne ressemble pas aux autres » est aussi attachant. « C'est un produit qui existe de longue date, sur lequel nous avons travaillé », reprend Didier Ladet. Les porteurs de mémoire œuvrent à la transmission de ce combat, de cette IGP, de cette histoire. « C'est un fromage qui a une personnalité, insiste Didier Ladet. Il se mange frais, jusqu'à plus de dix jours, mais on peut le laisser s'affiner entre 20 et 30 jours pour qu'il soit plus crémeux ou coulant comme dans la restauration lyonnaise. De plus, on peut le cuisiner. Bien qu'il ne soit pas assez connu pour cela ! » Le fabricant sait mettre l'eau à la bouche lorsqu'il parle du saint-marcellin. De quoi susciter de nouvelles vocations de membres du jury de la commission organoleptique qui recherche plus particulièrement à étoffer le collège des usagers.
Isabelle Doucet
(1) Le 23 novembre 2013 après 20 ans de procédures.
(2) La commission dégustation se compose de trois collèges : porteurs de mémoire du produit, techniciens (opérateurs de la filière) et usagers du produit (restaurateur, commerçant, consommateur) ;
(3) ODG : organisme de défense et de gestion chargé de la rédaction du cahier des charges des signes officiels d'identification de la qualité. Pour l'IGP saint-marcellin, il s'agit du comité pour le saint-marcellin ou Cism.