Des actions pour préserver les terres agricoles

Les résultats du dernier recensement agricole avaient marqué les esprits. Entre les années 2000 et 2010, la Drôme avait perdu 12 % de sa surface agricole utile, soit 26 500 hectares. Un chiffre très élevé en comparaison des moyennes régionale (- 6 %) et nationale (- 3 %). Stopper cette « hémorragie foncière » était alors devenue une priorité, qui reste d'actualité. Le 25 novembre à Bourg-lès-Valence, lors de sa session d'automne, la chambre d'agriculture a rouvert le débat autour du thème « foncier agricole : un bien commun à préserver ». « Le foncier reste le nerf de la guerre », a déclaré sa présidente, Anne-Claire Vial. Et « nous avons besoin d'un travail permanent pour le préserver », a déclaré le vice-président en charge de cette thématique, Pierre Combat. Il a invité les élus consulaires à partager le constat, identifier les enjeux et valider des orientations et actions.
Plus de 500 ha perdus en 2015
S'agissant du constat, « la Drôme demeure dans le peloton de tête des acquisitions de foncier bâti par des non-agriculteurs », a indiqué Marc Gaillet, ingénieur étude à la Safer Rhône-Alpes. Ainsi, plus de 500 hectares (ha) ont été soustraits à l'agriculture drômoise l'an dernier : 272 par transformation physique (constructions, routes, zones d'activités...) et 232 acquis par des particuliers pour un usage d'agrément. A noter, 140 ha ont pu cependant être récupérés pour l'agriculture.
Dans ses orientations, la chambre d'agriculture propose d'économiser le foncier en agissant sur l'urbanisme et l'aménagement (densification urbaine, anticipation des besoins futurs sans les sur-dimensionner, rationalisation de l'implantation des zones d'activités). Elle promeut aussi la mise en valeur des terres incultes, la mise en exploitation temporaire des zones d'activités dans l'attente de leur urbanisation effective ainsi que la remise en état agricole des carrières après exploitation. Sur le plan qualitatif, est souhaitée une meilleure identification des surfaces à fort potentiel agricole. Ceci, en tenant compte de la qualité des terres, des équipements en irrigation, des zones AOC (notamment viticoles), des zones protégées pour la production de semences, des zones remembrées. « Il est inacceptable que de belles parcelles agricoles soient urbanisées, a déclaré Pierre Combat. De même que de voir des bouches d'irrigation servir à arroser des pelouses de lotissements. »
Identifier le foncier agricole
En matière d'urbanisme, « la chambre d'agriculture est présente et assidue dans les procédures administratives », a indiqué son conseiller, Philippe Lacoste. L'analyse des dossiers s'appuie notamment sur les éléments d'une charte départementale signée en 2006 pour préserver les espaces agricoles. De plus, des diagnostics dans le cadre des PLU(1), Scot(2) et autres projets de territoires améliorent la prise en compte du volet agricole. Chargé de ce type d'étude, Jean-Michel Costechareyre a expliqué la manière de procéder. Aux données du RGA et de la Pac, s'ajoutent des enquêtes auprès des exploitants. Le tout est ensuite traduit en cartes afin de visualiser les exploitations et leur possible devenir (agrandissement, transmission, cessation...), les systèmes d'exploitation, les types de sols, les mesures contractualisées... « Si le travail est correctement fait en amont, cela facilite le rendu des avis, a fait remarquer Pierre Combat. Et la chambre d'agriculture, avec son expertise, est la structure la plus compétente pour faire ces diagnostics. » Un appel est donc fait aux cabinets d'urbanisme pour qu'ils sous-traitent à la compagnie consulaire le volet agricole de leurs études.
Des aménagements moins impactants
Afin de protéger les terres agricoles, la chambre d'agriculture souhaite également contractualiser avec les carriers pour la localisation de leurs sites et leur remise en état agricole. Ce travail pourra d'ailleurs s'appuyer sur le schéma régional « matériaux et carrières » dont l'objectif consiste, notamment, à privilégier l'exploitation sur des zones non agricoles ou de faible valeur agronomique. « Dans le cas des carrières, il n'existe aucune obligation d'interpeller la chambre d'agriculture, a précisé Pierre Combat. Mais si les carriers nous sollicitent en amont, cela évitera les problèmes ensuite. »
Par ailleurs, la chambre d'agriculture souhaite accompagner les maîtres d'ouvrage dans leurs projets d'aménagements, en proposant des solutions économes en foncier agricole. Des études ont ainsi évalué l'intérêt des zones de sur-inondation (accompagnées de protocoles d'indemnisation) en comparaison de bassins de rétention. « Sur plusieurs secteurs, nous avons poussé au choix de parcelles de sur-inondation car c'est la solution qui impacte le moins le foncier agricole », a souligné Pierre Combat.
Enfin, s'appuyant sur la loi pour l'avenir de l'agriculture (Laaf), la chambre d'agriculture souhaite procéder à l'inventaire départemental des friches agricoles pour ensuite mobiliser la procédure de mise en valeur des terres incultes. « Ce recensement ne pourra se faire qu'avec des aides de l'État », a prévenu Pierre Combat. A noter, un travail sur le devenir des bâtiments agricoles désaffectés sera engagé début 2017.
Christophe Ledoux
(1) PLU : plan local d'urbanisme.
(2) Scot : schéma de cohérence territoriale.
Témoignages / Après la présentation des constats, orientations et actions, la chambre d'agriculture a convié des représentants d'organismes à expliquer leurs actions pour préserver le foncier agricole.
« Un enjeu d'intérêt général »
Rappelant que la surface agricole utile avait diminué de 18 % entre 1970 et 2010 dans la Drôme (alors que la population n'avait progressé que de 10 % pendant cette période), Philippe Allimant, directeur de la DDT*, est revenu le travail réalisé en commission d'aménagement foncier. « Dans la Drôme, les PLU et les Scot font l'objet d'un travail en amont, lequel aboutit parfois à l'émission d'avis défavorables », a-t-il indiqué. Par ailleurs, il a mis en avant le principe de sobriété (en eau, foncier) qui prévaut actuellement et évoqué le principe de compensation prévu dans certaines lois ainsi que le dispositif de zone agricole protégée (Zap). « Le travail en amont avec un bon diagnostic agricole permet de mieux mobiliser le foncier », a-t-il dit.Davantage de moyens pour préempterMarc Fauriel, président du comité départemental de la Safer Rhône-Alpes, a rappelé les missions de cet organisme (installation, aménagement foncier, développement local et environnement). « La Safer est un outil de gestion du foncier. Son action a permis de préserver en France le prix des terres agricoles, a-t-il fait remarquer. Et si dans la Drôme on assiste à une forte consommation de foncier, celle-ci a baissé grâce au travail conduit par tous. » Michel Heimann, directeur régional, a parlé d' « un enjeu d'intérêt général » et souhaité davantage de lisibilité et de complémentarité entre les diverses actions entreprises. Il a aussi mis en avant la loi Laaf qui « offre plus de moyens pour préempter ».Réduire de 184 à 92 ha par an la consommation de foncier
Fabrice Larue a, lui, expliqué la construction du Scot Rovaltain, dont il est le vice-président. Ce document de planification concerne 103 communes de Drôme et Ardèche, 150 000 habitants, 67 000 ha et 2 400 exploitations agricoles. D'ici 2040, ce territoire accueillera 57 000 nouveaux habitants (et 45 000 logements de plus). Quelque 2 300 ha de terres seront ainsi consommés. Pour tenir ce cap, les élus ont décidé de réduire de 184 à 92 ha par an la consommation de foncier. Cela passera notamment par la maîtrise de l'extension urbaine (fronts urbains fixés) et la reconcentration de l'habitat en ville.Une zone urbanisable réduite de 1 135 ha
A cheval sur cinq départements (Drôme, Ardèche, Rhône, Loire et Isère), le Scot des Rives du Rhône concerne 127 communes et 250 000 habitants. « Plus de 4 200 ha de terres ont été artificialisés entre 1990 et 2015 », a indiqué son président, Thibaut Lamotte. Pour préserver le foncier, des orientations d'urbanisme ont été prises par les élus, comme le nombre de logements par hectare (de 20 à 40 selon les zones). Par ailleurs, la mise en compatibilité du PLU avec le Scot a réduit la zone urbanisable de 1 135 ha.Un foncier agricole qui se raréfie
« Le foncier agricole va devenir de plus en plus rare, a estimé le président de l'association des maires de la Drôme, Michel Grégoire. Il faut continuer à sensibiliser les maires, y compris ceux des zones rurales, à la préservation des terres et donc de l'économie agricole. » Pointant les taux de vacances des logements dans les centres villes de Valence et Romans (respectivement 16 et 11 %), le préfet de la Drôme, Eric Spitz, a assuré que la préservation du foncier agricole est la priorité des services de l'État.* DDT : direction départementale des territoires.