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EXPÉRIMENTATION

Des essais de serre bioclimatique

En maraîchage sous serres, comment gagner quelques degrés en hiver et améliorer la précocité des cultures sans
chauffage ? Retour sur une expérimentation menée à la ferme de l’Abbé Rozier à Ecully (Rhône).
Des essais de serre bioclimatique

Des essais de serre bioclimatique sont conduits par le CFPH (centre de formation et de promotion horticole) de Lyon-Ecully qui dispose d'un atelier maraîchage dans sa ferme de l'Abbé Rozier. « Notre volonté est de pouvoir proposer des modalités transférables dans n'importe quelle autre exploitation. Mais nous ne sommes pas une station d'expérimentation, avec toute la rigueur de leur protocole », souligne Jean-Pierre Cellier, formateur au CFPH. « Il s'agit de premiers essais, sans doute à renouveler. Il faut donc relativiser les résultats selon les conditions de production ».
Cette expérimentation bénéficie d'un double financement : 70 % du CGET (commissariat général à l'égalité des territoires, ex-Datar) pour le développement des territoires ruraux et 30 % de l'Ademe (agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) dans le cadre d'un appel à projet énergie. Elle s'appuie sur la concertation avec différents partenaires : la Serail, le Ratho, la chambre d'agriculture du Rhône, le BTM (Bureau technique des maraîchers du Rhône), Agrithermic et l'association Aiden (chantier d'insertion). Ces essais consistent à comparer quatre modalités de serres. Le premier tunnel est équipé d'une simple paroi, de deux aérations latérales manuelles, de pignons en film simple et demi-lunes fixes en filets coupe-vent. Deux autres tunnels ont une double paroi gonflable sur le toit et les murs, deux aérations latérales gonflables manuelles avec filet brise-vent et bavettes en film à bulles, des pignons et demi-lunes basculantes manuelles. Côté nord, la serre bioclimatique simple dispose d'un mur accumulateur composé de 160 fûts métalliques peints en noir, installés sur deux hauteurs et remplis de 200 litres d'eau chacun (soit 32 m3 d'eau pour la serre). Quant au quatrième tunnel, il sera monté sous forme de chapelle bi-tunnel pour être fonctionnel à l'automne 2018.

Pour les plantes à fort besoin en chaleur, on observe un meilleur développement sous serre bioclimatique.

Gagner en précocité

Durant l'hiver 2016-2017, les pesées successives des salades ont montré un meilleur développement sous serre bioclimatique avec un poids largement doublé par rapport à la culture sous serre simple paroi. Sur le plan qualitatif, la pousse est plus rapide et les salades un peu plus tendres. En cours de récolte, le brémia est apparu sous serre bioclimatique, ce qui a occasionné un peu de pertes. La différence de développement, donc de précocité peut être estimée à environ trois semaines, en faveur de la serre bioclimatique. Au printemps 2017, les volumes de tomates récoltées étaient plus élevés sous serre bioclimatique. Les déchets étaient faibles, du fait de beaux calibres jusqu'à mi-août. Les seconds choix ont pu être valorisés en vente directe. Il y a eu peu d'attaques de ravageurs, hormis le puceron essentiellement sur feuilles. Néanmoins, 25 kg de tomates ont été perdus à cause d'attaques de souris qui s'étaient installées pendant l'hiver sous les fûts. Sous serre bioclimatique, la production de tomates a été un peu plus précoce (soit une semaine à dix jours d'avance) et rapidement élevée dès les premières semaines. Des attaques fortes de cladosporiose, observées sur les deux serres double paroi, ont généré une réduction du calibre. Sous les serres double paroi, les pics de chaleur au printemps sont liés au manque d'aération favorisant une forte humidité et ces attaques cryptogamiques. La solution retenue consistera à installer un extracteur d'air pour gérer l'hygrométrie excessive. Des attaques fortes de pucerons, constatées dans les deux serres double paroi, pourraient être dues à un excédent d'azote libéré
(sol chaud) et(ou) à un déséquilibre sol chaud/air frais.

Bien maîtriser l'aération

Un premier bilan de cet essai fait ressortir les contraintes de la serre bioclimatique. Il faut compter au minimum 50 % de coût supplémentaire à l'achat rapporté au m². Le travail de montage est un peu plus long, mais cela reste accessible en autoconstruction. Le bâchage s'avère délicat en double paroi (risque de déchirure ou trous dans le plastique). Il est nécessaire de bien maîtriser l'aération en période de mi-saison, d'où l'utilité d'un extracteur. La perte de surface liée à l'emplacement des bidons n'est pas négligeable. Concernant les avantages de la serre bioclimatique, on retiendra un gain de précocité, moins d'usage de films thermiques et un petit effet d'ombrage en été avec la double paroi. Pour les plantes à fort besoin en chaleur, on observe un meilleur développement. Au cours du printemps 2018, le CFPH reconduit l'essai sur tomates, courgettes, haricots et melons afin de consolider les résultats, en améliorant la gestion de l'humidité et les pics de températures. 
C. B.

 

Énergie /  La société Agrithermic basée à Technolac au Bourget-du-Lac (Savoie) développe le logiciel Hortinergy depuis quatre ans. Il permet de mesurer l’efficacité énergétique des serres agricoles en simulant leur consommation.
Ici, une serre bioclimatique construite en polycarbonate dans le Queyras (Hautes-Alpes) à 1100 mètres d’altitude. La température mesurée cet hiver à l’intérieur s’élève à 5° alors qu’à l’extérieur il faisait -15°.

Hortinergy, un logiciel qui simule la consommation des serres

Cette jeune entreprise innovante récolte aujourd’hui le fruit de ses efforts. Lauréate de l’appel à projet Ademe Initiative PME 2016, Agrithermic aide depuis 2012 horticulteurs et maraîchers à mieux chauffer leurs serres, en leur proposant, entre autres, des solutions bioclimatiques. « Au début, il y avait de grandes réticences, aujourd’hui, de plus en plus de professionnels s’intéressent à ce marché de niche. Nous avons même des demandes pour des serres hybrides. La réflexion autour de la réduction d’énergie est en marche », affirme Alexandre Maillet.
Choisir la serre la plus adaptée
Ce salarié travaille plus particulièrement sur la conception d’un logiciel appelé Hortinergy. S’il n’est pas à même de proposer des solutions bioclimatiques, il aide néanmoins à calculer la consommation agricole d’une serre à partir d’un formulaire en ligne. « Vous rentrez les coordonnées GPS de votre future serre, vous choisissez le type de recouvrement et son épaisseur, des panneaux en polycarbonate ou en verre, par exemple. Ce logiciel simule la consommation énergétique journalière, mensuelle ou annuelle sur la base de calculs et d’algorithmes en fonction des demandes », explique le chargé de projet. Prix pour dix scénarios proposés : 450 euros. L’équipe d’Agrithermic, composée de quatre employés, a d’abord testé le logiciel pendant un an au sein de la station d’expérimentation du Ratho. Ses fonctionnalités intègrent les équipements modernes (biomasse, open buffer, déshumidificateur), ainsi que l’impact du couvert végétal (évapotranspiration) sur le chauffage. Il permet de calculer les besoins énergétiques des serres fermées tout comme des serres semi-fermées, en fonction de la température, de l’ensoleillement ou encore de la température du lieu. « Au bout du compte, l’objectif est que le choix se tourne vers la serre la plus adaptée au projet ».
Un marché en développement
Arrivé à sa phase de finalisation, Hortinergy est aujourd’hui en pré-commercialisation chez une vingtaine de clients. « Il est vendu essentiellement en Allemagne et au Pays-Bas. En Hollande, par exemple, le contexte énergétique est tendu ». En effet, l’exploitation du champ gazier de Groningen entraînant de fréquents séismes, le pays a décidé de diminuer sa production de gaz naturel d’ici 2021, ce qui pourrait engendrer une hausse du prix du combustible. « Horticulteurs et maraîchers cherchent donc des solutions », reprend-il. Bientôt, des modules supplémentaires du logiciel permettront à la future clientèle de mesurer également les émissions de CO2 de leur serre. « Américains, Chinois et Canadiens ont déjà manifesté leur intérêt pour Hortinergy, ajoute Alexandre Maillet, nous avons des demandes de la part des centres techniques et d’expérimentation. L’université de Berlin l’utilise déjà ! » Plusieurs équipementiers s’intéressent aussi au logiciel pour le développement de leur service de recherche et développement (R&D). « Ceux qui souhaitent travailler spécifiquement sur des serres bioclimatiques ne pourront pas se limiter à ce logiciel, tient à préciser Alexandre Maillet. Ces serres font appel à des systèmes très spécifiques en lien avec le vivant. Elles demandent un haut niveau de précision. Hortinergy n’est pas conçu pour. » Ce logiciel reste néanmoins complémentaire au travail du bureau d’études d’Agrithermic, société pionnière de la serre bioclimatique en France. 
Alison Pelotier