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Génétique

Des innovations bousculent la sélection génétique

La génétique a fait de formidables progrès depuis 15 ans grâce au séquençage de l’ADN et de la génomique, fruit de la recherche et de la puissance informatique. Cela a considérablement amélioré et accéléré la sélection génétique animale. Mais une nouvelle révolution est en marche avec l’édition génétique rendue possible grâce au ciseau d’ADN,
Crispr/Cas9.

Des innovations bousculent la sélection génétique
Emmanuelle Charpentier, microbiologiste et généticienne française, a utilisé pour la première fois en 2012 Crispr/Cas 9 pour modifier un ADN en coupant un gène et en le remplaçant.

La sélection génétique animale a connu de multiples coups d’accélérateur sur les quinze dernières années grâce à différentes techniques qui ont pris de l’ampleur. C’est par exemple le cas du séquençage de l’ADN inventé en 1977. Trente ans plus tard, le génome de la vache est entièrement décrypté en 2009. Puis, la génomique, apparue dans les années 1990, a permis de changer d’échelle en passant de l’étude d’un gène à celui du génome dans son ensemble. Et, c’est en 2009 également que les premiers index génomiques de taureaux de race holstein, montbéliarde et normande sont mis à la disposition des éleveurs. De même, jusqu’à la fin des années 2000, l’insertion d’un gène dans un organisme se faisait au hasard dans son génome.De nombreux essais étaient nécessaires pour parvenir à obtenir l’organisme génétiquement modifié (OGM) souhaité, rendant le processus très coûteux et complexifiant les expérimentations. La situation a changé avec la découverte d’enzymes capables de cibler précisément certaines zones de l’ADN. Elles ont grandement facilité les manipulations génétiques, permettant de modifier, supprimer ou insérer un gène beaucoup plus aisément que par le passé.Crispr/Cas 9, un ciseau à ADN Un nouveau palier a été franchi en 2012, avec la mise au point du système Crispr/Cas9, découvert chez les bactéries et utilisé pour la première fois de manière ciblée par l’Américaine Jennifer Doudna et par Emmanuelle Charpentier, microbiologiste et généticienne française. Crispr/Cas 9 s’apparente à un ciseau à ADN, utilisé naturellement par les bactéries. En effet, quand une bactérie est infectée par un virus, elle utilise un enzyme d’un genre particulier (Cas), capable de couper l’ADN de l’envahisseur et d’empêcher ainsi sa reproduction.L’enzyme coupeuse est associée à une molécule d’ARN, qui se lie à l’ADN du virus envahisseur et la guide  très précisément vers la séquence génétique à « hacher ».

Un outil d’édition du génome

Ce système constitue un outil puissant de modification des génomes. Cette nouvelle technique présente en effet d’indéniables atouts par rapport aux précédentes. Simple à mettre en oeuvre, elle permet de cibler potentiellement n’importe quel gène, dans le génome de n’importe quel être vivant : humain, animal ou végétal. Elle peut être utilisée pour supprimer ou modifier à façon une ou plusieurs séquences d’ADN simultanément, un peu comme un traitement de texte permet l’édition d’un mot. Enfin, plus rapide que les autres techniques, elle est comparativement beaucoup moins coûteuse. Toutes ces raisons ont conduit à l’explosion des travaux ayant recours aux systèmes Crispr.

Une nouvelle révolution pour la sélection génétique

Les perspectives ouvertes par Crispr en agriculture sont vertigineuses. Ce ciseau à ADN constitue une nette amélioration par rapport aux méthodes classiques basées sur la mutagenèse. Elle est capable d’éliminer ou de modifier toutes les copies d’un gène. En 2014, des chercheurs travaillant sur le blé ont ainsi réussi à cibler et muter trois loci (emplacement physique précis sur un chromosome) impliqués dans la résistance au champignon responsable du blanc des céréales. Résultat : l’obtention d’une variété résistante à la maladie. Une approche similaire a permis d’éliminer, chez le riz, le récepteur utilisé par le ravageur Xanthomonas orizae, diminuant sa virulence. Il est aussi possible de rendre les plantes résistantes à un ou plusieurs herbicides. Mais pas seulement… Des travaux portant sur la tomate ont ainsi montré qu’en influant sur le métabolisme de la floraison, les rendements peuvent être fortement accrus. Sur la sélection génétique animale, là aussi les perspectives sont énormes. En novembre 2015, une société américaine Genus a ainsi annoncé avoir mis au point des porcs résistants au virus SRRP. Ces animaux pourraient être commercialisés d’ici cinq ans.

Comment éviter les dérives ?

Début 2016, Recombinetics, une startup américaine a annoncé avoir développé des bovins laitiers sans cornes grâce à l’apport d’un brin de gène provenant de bovin de race angus naturellement sans corne. La société travaille actuellement sur les bovins de boucherie brésiliens avec des muscles plus grands, tandis que d’autres entreprises développent des poulets qui ne produisent que des femelles, des bovins qui ne produisent que des mâles, etc. On le voit, les applications sont multiples pour le meilleur et pour le pire. Toutes ces expériences en sont encore au stade de la recherche, mais les applications concrètes devraient arriver dans les trois à cinq prochaines années. Reste à savoir comment contrôler cette technologie et quel va être la réponse deslégislateurs quant à l’utilisation et la régulation de Crispr/Cas 9 dans l’édition du génome des êtres vivants.  

Camille Peyrache, avec Agra