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Alimentation

Des insectes dans nos assiettes

Source de protéines et d’énergie, les insectes sont au menu quotidien de plus de deux milliards d’humains dans le monde. Difficile à imaginer vu d’Occident mais l’idée même de manger des insectes fait son chemin, encouragée par la FAO et certains chefs cuisiniers.
Des insectes dans nos assiettes

Introduire certains insectes dans l'alimentation humaine occidentale, est-ce une utopie complètement farfelue ? Dans un ouvrage publié aux éditions Quae sous le titre Des insectes au menu ?, Vincent Albouy, entomologiste, et Jean-Michel Chardigny, spécialiste en nutrition, explorent le sujet. Il faut d'abord savoir qu'aujourd'hui, plus de deux milliards de personnes mangent des insectes régulièrement en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Et contrairement à l'idée reçue, ce n'est pas qu'une nourriture de survie issue de la cueillette, mais parfois un plat de luxe réservé aux grandes occasions comme les fourmis à miel du Mexique. Ces hyménoptères stockent le miellat récolté par les ouvrières dans leur abdomen jusqu'à avoir une poche distendue de quelques grammes. Chaque fourmilière compte 500 à 600 fourmis à miel très prisées par les Mexicains qui détachent l'abdomen pour le croquer : une « véritable douceur sucrée ». Les criquets sont également un mets de choix en Extrême-Orient, en Afrique de l'Est ou en Australie frits ou pilés, et mélangés à d'autres ingrédients. Les amateurs décrivent des goûts de crevette ou de noisette en fonction des espèces et des modes de préparation. Sur les millions d'espèces d'insectes, un peu plus de 2 000 sont comestibles. Cela va des sauterelles et criquets, en passant par les larves de guêpes, d'abeilles, de fourmis, de scarabées, les vers de certains papillons, les grillons ou encore les blattes adultes. D'après le travail de recherche des auteurs, les insectes ne présentent ni plus ni moins de risques sanitaires que les autres aliments pour les humains. Sur le plan nutritionnel, l'intégralité des insectes n'a pas fait l'objet de recherche, mais les éléments déjà existants montrent que les quantités de nutriments varient énormément en fonction des espèces d'insectes.

Les insectes sont riches en protéines et en énergie

Sur le plan de l'énergie, les résultats soulignent la forte concentration de calories chez la plupart des insectes. Pour mémoire, la valeur énergétique de 100 g de porc est donnée à 186 kcal. La plupart des insectes sont largement au-dessus avec 247 kcal pour 100 g de vers de farine, 409 kcal pour la chenille du mopane au dernier stade, 479 kcal pour le ver palmiste et 500 kcal pour le couvain d'abeille. Sur le plan des protéines, là où la viande apporte environ 20 g pour 100 g, le ver palmiste affiche 10 g de protéines contre 15 g chez le couvain d'abeille, 19 à 20 g pour le ver de farine ou le grillon et 35 g pour la chenille du mopane. Ces deux caractéristiques rendent les insectes très attrayants pour les populations de certains pays du Sud qui manquent à la fois d'aliments énergétiques et protéinés. En Occident, la forte teneur calorifique des insectes pourrait être un frein alors même que l'on a plutôt tendance à en avaler déjà trop. Cependant, ces résultats montrent que ,d'un point de vue nutritionnel, les insectes sont intéressants dans un menu diversifié car ils apportent de l'énergie, des protéines et également certaines vitamines.

Faible consommation de ressources

Au-delà du phénomène de mode, les insectes présentent certains intérêts pour l'alimentation humaine et même animale. Leur élevage demande peu de ressources en eau, en nourriture et en surface. Il faut par exemple 20 m² pour produire un kilo de ver de farine contre 150 à 200 m² pour un kilo de viande de bœuf, d'après les auteurs citant des travaux de deux chercheurs néerlandais. Aussi, la FAO voit dans les insectes une nourriture riche en protéines et facile à procurer aux populations des zones tropicales, notamment, où leur élevage est facilité par les températures élevées. En Europe ou au États-Unis, les auteurs évoquent deux secteurs où les insectes et leurs dérivés (farine d'insectes) pourraient rapidement trouver une place : l'alimentation de certains animaux d'élevage (porcs, volailles, poissons) et l'industrie agroalimentaire pour se substituer aux protéines végétales ou animales de certaines préparations. Cela dépendra surtout de la capacité des entreprises du secteur à mettre au point des systèmes d'élevage suffisamment efficaces pour proposer des farines compétitives face aux produits déjà existants.

Une réticence à manger des insectes

Malgré ces avantages, nombre d'entre nous ressentons une grande réticence, voire un dégoût à imaginer manger des insectes. Combien de programmes à la télévision forcent les candidats à la mine défaite à manger des vers ou des criquets crus ? Pourtant, nous mangeons bien des mollusques crus comme les huîtres ou cuisinés comme les escargots, du fromage aux artisons (acariens), en Corse et Sardaigne, les plus téméraires ont goûté le cazu marzu ou le « fromage pourri » habité par les asticots de la mouche du fromage. Seules les personnes allergiques aux crustacés, acariens et araignées doivent éviter les insectes car la chitine (allergène) est commune à ces espèces.
Après avoir passé en revue l'ensemble des arguments rationnels sur l'intérêt de l'entomophagie (fait de manger des insectes), les auteurs s'intéressent au frein culturel, seule réelle cause de la désaffection des insectes en Occident. En France, la consommation d'insectes est très marginale. Par exemple, notre pays a importé seulement 5 tonnes de chenilles de mopane en 2014. Certaines populations immigrées, notamment du Congo, ont gardé une partie des habitudes alimentaires de leur pays d'origine et l'on peut trouver des insectes à manger dans des magasins de produits exotiques. On trouve également quelques restaurants qui proposent des plats à base d'insectes. David Faure, du restaurant l'Aphrodite à Nice, propose ainsi un menu intitulé « Alternative food » où l'on peut par exemple déguster « un foie gras poêlé et croustillant de grillons au sarrasin ». Des bars branchés offrent aussi des snacks à base de criquets ou de vers de farine. Des chocolatiers se sont enfin essayés à enrober des grillons et autres larves. Mais il est très compliqué aujourd'hui d'acheter des insectes pour les cuisiner à la maison.
Quelques entreprises existent pourtant comme Entoma, qui propose une gamme d'apéritifs à base de vers de farine et de criquets à différentes saveurs, ou Entomovia, installée à Saint-Martin-le-Chapel dans l'Ain. Ces entreprises visent les jeunes consommateurs adeptes de nouveautés pour des apéros ou des repas originaux. 

C. P.

 

 

Alimentation animale / Les insectes, riches en protéines et en énergie, pourraient trouver un débouché naturel dans la nutrition animale des porcs, des volailles et des poissons.

Des usines à insectes en Afrique du Sud

Les porcs, volailles ou poissons consomment à l’état naturel des insectes à tous les stades. Dans ce domaine, l’Afrique du Sud dispose de deux usines de production de la société AgriProtein, celle-ci produit 22 tonnes de larves par jour, transformées en sept tonnes de farine de mouche et trois tonnes d’huile de mouche. Les asticots de trois types de mouches (mouches domestiques, hermétie brillante et une mouche de la famille des Calliphoridés) se nourrissent de 100 tonnes de fumier, de déchets de nourriture et d’abattoir. La croissance des asticots est particulièrement élevée. En effet, leur masse est multipliée par 380 durant les trois jours que dure l’élevage. Aussi, un 1 g d’œuf donne au bout de trois jours 380 g d’asticots. Puis, 20 jours après leur cycle, les asticots sont ensuite séchés, moulus et conditionnés en sac de 50 kg. Les clients, des éleveurs de poulets sud-africains consomment ces protéines produites localement et moins chères que les farines de viande ou de poisson. L’huile d’insectes entre ensuite dans la composition d’aliments pour l’aquaculture. Pour assurer cette production, chaque jour, l’usine produit un peu moins de 3 kg d’œufs de mouches dans des pièces maintenues à des niveaux de température et d’humidité optimales pour l’accouplement. C’est ainsi que l’alimentation animale pourrait être la première touchée par l’arrivée des insectes. 
C. P.
Le ver de farine ou molitor est un des insectes les plus faciles à introduire dans l’alimentation humaine.