" Des labos de transfo, pas des salles blanches "

Le retour d'expérience promis par l'administration a un goût amer. Le 24 juin, une cinquantaine de producteurs laitiers et de responsables professionnels ont assisté à la réunion organisée à Valence par les préfectures de la Drôme et de l'Isère pour « tirer les enseignements » de la crise sanitaire qui a frappé la filière saint-marcellin fin avril. « Le point positif, c'est qu'on a eu les informations sur toutes les analyses réalisées sur les filtres à lait et les fromages : rien n'a été trouvé », résume Frédéric Blanchard, qui préside l'Association nationale des producteurs laitiers fermiers (ANPLF) et sa déclinaison départementale en Isère. Et, surtout, « il n'y a pas eu de morts », contrairement à ce qu' avaient laissé entendre des inspecteurs de la DDPP à certains producteurs.
Cela posé, le problème soulevé par la crise reste entier. « Pour ma part, j'ai une impression de " pas fini ", regrette Bruno Neyroud, producteur de lait à Varacieux et président du Comité pour le saint-marcellin. Il y a déjà eu pas mal de crises de ce style. L'administration n'en tire jamais les conséquences : elle est incapable de proposer une solution de redémarrage. » Les professionnels n'ont en effet pas obtenu de réponse à deux questions essentielles : que faire pour redonner confiance aux consommateurs et comment relancer la production de fromages au lait cru à la Fromagerie alpine ? Car l'entreprise drômoise a non seulement dû payer des frais de rappel et perdu des clients - et donc une part importante de son chiffre d'affaires -, mais elle est, plus de deux mois après la crise, toujours obligée de thermiser son lait. Ce qui a des conséquences importantes en termes de valorisation pour les producteurs.
Lors des échanges, la Direction départementale de la protection des populations de la Drôme a suggéré aux professionnels de mettre en place un système de gestion sanitaire préventif de type Pass Lait cru. Elaboré par l'interprofession laitière savoyarde, ce dispositif d'autocontrôle permet de renforcer le niveau d'exigence sur la maîtrise sanitaire des fromages, en prenant notamment en compte l'ensemble des germes pathogènes à l'origine de toxi-infections alimentaires collectives (Stec (1), listeria, salmonelle et staphylocoques aureus). Sur le fond, les producteurs ne sont pas contre mais font remarquer que le système est lourd et coûteux à mettre en œuvre, donc peu adapté à une filière saint-marcellin qui ne joue pas tout à fait dans la même cour économique que l'interprofession savoyarde. « Nous savons qu'il faut mettre en place des mesures d'hygiène pour gérer les Stec. Mais nous ne pouvons transformer nos laboratoires de fabrication en salles blanches, pointe Frédéric Blanchard. Pour moi, gérer ça, c'est mission impossible. Nous ne pourrons jamais garantir le zéro risque, il faut l'admettre. En revanche, nous pouvons diminuer les risques au maximum. »
Pour ce faire, le président de l'ANPLF propose de s'appuyer sur un outil existant : le guide de bonnes pratiques d'hygiène communautaire (GBPH). Elaboré en 2016, ce guide est le fruit d'un important travail réalisé par Facenetwork, le réseau européen des producteurs fermiers et artisanaux de fromages et de produits laitiers. « La règlementation européenne responsabilise les producteurs en leur demandant non seulement d'appliquer les principes de sécurité alimentaire dans leurs entreprises mais aussi de les formaliser et de prouver qu'ils les mettent en œuvre », rappelle Frédéric Blanchard. D'où la rédaction de ce guide spécifiquement dédié aux producteurs de fromages fermiers. « Il y a des mesures qui concernent la partie production du lait, précise le spécialiste du lait cru. Ce sont des dispositions faciles à mettre en place. On pourrait s'appuyer sur les GDS ou le contrôle laitier pour former les producteurs. » Une solution vraisemblablement plus adaptée à la filière saint-marcellin que le Pass lait cru.
Marianne Boilève
(1) La dénomination Stec (Shiga-toxin-producing escherichia coli) regroupe toutes les souches de E. coli possédant les gènes codant une toxine particulière, appelée shiga-like toxine ou vérotoxine. Impliqués dans de nombreuses épidémies alimentaires, dont la récente crise du saint-marcellin, ces Stec se signalent par un syndrome hémolytique et urémique (SHU) chez les enfants (diarrhée sanglante).