Accès au contenu
Gastronomie

Des producteurs au plus près des étoiles !

Des agriculteurs ont choisi de vendre directement leurs productions à des restaurants étoilés friands de produits locaux. Premier critère de sélection des chefs : le goût. Les qualités requises pour les livreurs sont la réactivité, la régularité dans la qualité, une faculté d’adaptation. Les rencontres se nouent entre passionnés.
Des producteurs au plus près des étoiles !

«Nous pourrions avoir davantage de producteurs de la région qui livrent notre cuisine. Je reste attentive aux propositions ; il ne faut pas hésiter à venir nous voir et présenter des produits... », affirme Anne-Sophie Pic. À Valence dans la Drôme, la chef dont le restaurant gastronomique est gratifié de trois macarons au guide Michelin, se nourrit de rencontres et apprécie les interlocuteurs passionnés. Cette autodidacte se montre perfectionniste et exigeante, obsédée par la sécurité alimentaire, tout en restant à l'écoute et attentive. À l'entendre, il est très simple d'entrer en contact avec le chef de cuisine, Hugo Bourny, son assistante ou elle-même. Actuellement, les produits locaux représentent la moitié de la marchandise fraîche traitée par les deux restaurants valentinois.
« Voilà 5 ans, mon associée, Catherine Savignac, a envoyé un courriel à la Maison Pic. Deux mois plus tard, nous avons rencontré le chef à Valence. La semaine suivante, j'ai apporté un demi-agneau pré-découpé comme je les commercialise en vente directe aux particuliers, raconte l'éleveur transhumant, Nicolas Peccoz. Ils ont goûté et réalisé des essais. Quelques mois plus tard, nous avons trouvé les modalités d'un accord. Depuis deux ans, la demande du restaurant a changé ; nous livrons en avril 8 à 10 agneaux par semaine destinés au menu de Pâques. J'adapte mon engraissement car nos autres livraisons - 250 agneaux - se déroulent de mi-octobre à mi-février avant les agnelages du 15 mars. »
Installé à Gigors-et-Lozeron, il passe l'été avec son troupeau dans la Vanoise. Il commente cette rencontre : « Nous sommes passionnés par notre métier et cela permet de se comprendre. Nous n'avons pas été pris de haut, il n'y a pas de crainte à avoir. Une fois que l'on sait ce qu'ils veulent, on s'adapte, même si techniquement parlant c'est un peu compliqué. Chez Pic, je livre des carcasses coupées en deux sur la largeur ; toutefois la qualité de la viande et son persillage sont homogènes et identiques à ceux de nos autres livraisons ». Nicolas Peccoz a relevé avec plaisir le challenge technique qui lui était demandé. Cela représente un peu plus de travail mais une bonne image à faire valoir auprès des autres clients.

Pour les producteurs, livrer un grand restaurant, c’est valorisant et une référence pour l’exploitation.
Le goût et la rareté
Pour la Maison Pic, le cahier des charges se résume à un principe, le goût. Ensuite, on exige de la régularité sur la qualité, une possibilité de livraison chaque semaine, une quantité suffisante pour garantir la production d'un plat durant un à deux mois et un prix raisonnable. Enfin, la chef privilégie l'agriculture biologique ou à tout le moins « raisonnée ».
Autre fournisseur de cette maison, le Clos Fougères à Châteauneuf-sur-Isère qui produit seulement une partie de ses fruits et légumes en bio : « pour les fruits à noyaux c'est presque impossible ». La famille Roch qui s'est tournée vers la vente directe a assis sa notoriété sur des fruits hors standard : pêches plates et sanguines, nectarines sanguines, abricots à chair blanche, nashis... cueillis à la main. « Nous avons repris un rythme de deux livraisons hebdomadaires avec le restaurant Pic avec des variétés anciennes et des feuilles. Ils appellent l'avant-veille, il faut être réactif et nous livrons de petites quantités ». Le Clos Fougères sert d'autres restaurants et considère que ce sont des « références » pour l'exploitation.
Un autre producteur drômois de végétaux, qui travaille depuis 20 ans avec des cuisiniers, dépeint la tonalité de cette relation commerciale particulière. « Il faut avant tout beaucoup de réactivité, elle est notre force face aux chefs qui se montrent capricieux sous la pression des clients. Il faut être bon pour satisfaire les exigences, savoir s'adapter et prévoir afin de ne pas être en rupture. Nous faisons du sur-mesure, mais cela nous le valorisons. Une difficulté, en cuisine on connaît de moins en moins le monde agricole et la saisonnalité des légumes et des fleurs ». Cette critique ne peut s'adresser à Jacques Bertrand, chef de cuisine aux Cèdres à Granges-les-Beaumont (2 macarons), pour qui la saison prime. « C'est le goût le plus important lorsque nous choisissons un produit, puis la régularité de sa qualité. Ici les tomates arrivent mûres et encore chaudes en direct du champ, elles ne passent pas une nuit au frigo. Je demande un produit, jamais un prix. Je dis par exemple, je veux de belles cerises et je fais confiance ». Cette maison est fidèle, en relation avec deux producteurs depuis 28 ans, elle achète des légumes « au village », mais le chef reste toujours à l'affût de nouveaux produits. Une curiosité sur laquelle a misé Anne Wechsler, installée à Charpey sur 1 000 m² depuis 2 ans. Elle cultive à la main des légumes asiatiques et originaux pour se différencier en s'inspirant de la réussite de Asafumi Yamashita, maraîcher japonais dans les Yvelines*. Anne-Sophie Pic a été sa première cliente, « lui donnant sa chance ». « Je propose mes produits quand ils sont bons et prêts à être consommés, par courriel ou téléphone. Il faut faire comprendre que cela ne dure que 3 à 4 semaines. Je livre quelques heures après la cueillette et je fais mon prix ». 

Louisette Gouverne
* Asafumi Yamashita cultive une cinquantaine de variétés de légumes sur 3 000 m² pour 6 chefs.

 

 

 

LA MERE BRAZIER / La Mère Brazier, le restaurant historique de la Presqu’île de Lyon, doublement étoilé depuis que Mathieu Viannay en a pris les rênes en 2008, fait largement appel aux producteurs régionaux.

Mathieu Viannay : la toque et la fourche

Mathieu Viannay, chef du réputé restaurant de Lyon la Mère Brazier.
«Mis à part les poissons qui viennent de Bretagne ou de Méditerranée – car nous faisons peu de poissons de rivière - je choisis mes produits essentiellement dans la région », annonce d’emblée Mathieu Viannay, chef de la Mère Brazier sur les premières pentes de la Croix-Rousse, fidèle à l’esprit des fondateurs. Mais ne cherchez pas le restaurateur « deux étoiles » arpenter les marchés. Les fournisseurs, qui ont été soigneusement sélectionnés au fil des années, livrent directement à l’établissement.
Son propre pain
avec de la farine d’ici
Les fruits et légumes proviennent en grande partie des jardins de Vartan à Décines, exploitation bio de l’Est Lyonnais ; un autre fournisseur se trouve à Chasselay, notamment pour les courgettes, « car évidemment je ne travaille qu’avec des légumes de saison. Ne venez pas chez moi manger des tomates en hiver, sourit le chef. Même nos champignons viennent de Loire et de Haute-Loire. Et pour la truffe, nous avons nos propres ramasseurs en Drôme. »
Mathieu Viannay a également décidé de fabriquer son propre pain. Il s’est tourné vers les Robins des Champs, céréaliers de la plaine de Lyon qui ont organisé une filière en « circuit court » pour leurs céréales qu’ils transforment en farine à destination des boulangeries ou restaurants locaux. « De cette manière, on fait du bien à tout le monde : aux agriculteurs et à l’économie locale », renchérit le propriétaire de la Mère Brazier.
Du wagyu made in France
Côté viande, l’esprit est identique. Les volailles viennent de Bresse, terre d’origine de la mère Brazier. Et pour le bœuf, Mathieu Viannay est allé plus loin dans la démarche, Il a décidé de se faire propriétaire d’un élevage de bœuf wagyu. Le bœuf japonais qui regroupe en réalité plusieurs races, dont le fameux bœuf de Kobé, est très tendance sur les grandes tables « Mais 98 % de cette viande est importée », regrette le chef. Il a donc choisi d’en acquérir une trentaine de bêtes et de les laisser en pension chez un éleveur de charolais aux confins de la Saône-et-Loire et du Jura. Une solution qui génère de l’activité et de l’activité rentable. « L’éleveur se charge de l’engraissement et quand il emmène les bêtes à l’abattoir, je lui verse une rémunération satisfaisante et justifiée. »
Une carte des vins très
à « l’Est »
Son goût pour les traditions culinaires locales l’a même incité à revisiter et moderniser certaines recettes comme le poulet aux écrevisses « qui n’est rien d’autre qu’une spécialité iséroise », rappelle-t-il. Pour les vins, Mathieu Viannay propose une carte très élargie avec plus de 1 200 références de cuvées issues de toute la France et de l’étranger. Mais la préférence régionale est réelle. « Les vins des Côtes-du-Rhône, du Beaujolais et de la Bourgogne représentent 70 % de mes références. » Une passion sincère pour les terroirs locaux qu’il tente de transmettre à ses clients : « Nous leur expliquons notre démarche, nous leur tenons un vrai discours ». Le meilleur hommage possible qui puisse être rendu à Eugénie Brazier, la fermière Bressane fondatrice de l’établissement en 1921 et première femme à avoir obtenu la troisième étoile. 
D. B.