Des ressources génétiques à préserver

Depuis environ 10 000 ans, les Hommes ont appris à domestiquer les plantes sauvages et à les adapter à leurs besoins. Les végétaux les plus résistants, les plus productifs et nutritifs ont été sélectionnés. De manière empirique, l'amélioration des plantes se développe ainsi pendant des siècles. La découverte de la sexualité des végétaux, vers 1700, puis de la génétique, à la fin du XIXe siècle, pose les nouvelles bases de la sélection végétale. Les progrès scientifiques accélèrent la création de nouvelles variétés. En laitue, il en existe actuellement 1 600, en maïs 972 et près de 500 en tomate... Mais certaines techniques de sélection font débat dans la société. Quand les uns les considèrent comme un progrès pour l'environnement, la biodiversité, l'économie... les autres n'y voient que du danger. Certains prônent la réhabilitation de variétés anciennes. Est-ce un effet de mode ou une demande durable ? Cette question a fait l'objet d'une table ronde, le 12 mai à Bourg-lès-Valence (Drôme), à l'occasion d'une journée sur la biodiversité végétale organisée par le Gnis (1).
À l'origine, les communautés rurales
« Effet sociétal sûrement, effet de mode sûrement pas, a considéré Cyriaque Crosnier Mangeat, cofondateur et cogérant de la société Agrosemens. C'est un mouvement lent de la société depuis quinze ans. Avec les variétés anciennes, les consommateurs recherchent des racines, une identité et un lien aux terroirs. » Richard Brand, coordinateur des études des variétés au Geves(2) de Cavaillon, a rappelé qu'au XXe siècle, l'industrie semencière naissante a puisé dans les ressources génétiques des communautés rurales. Les sélections fermières ont ainsi été multipliées. « Avec la domestication des plantes, on perd de la biodiversité, a affirmé Denis Lor, directeur de la sélection potagère d'HM Clause. Mais il est toujours possible de chercher des gènes dans les espaces naturels et sauvages. Les Andes foisonnent de tomates sauvages qui recèlent des gènes de résistance à des maladies. » Il a rappelé l'importance de protéger la biodiversité naturelle à l'échelle mondiale, potentiel aujourd'hui menacé, entre autres par la déforestation.
Le besoin de ressources génétiques
La conservation des ressources génétiques a largement été mise en avant lors de cette table ronde. En France, jusqu'en 1980, l'Inra (3) et les établissements semenciers en avaient la charge. Puis a été créé le Bureau des ressources génétiques (BRG). Ces dernières, ainsi préservées, sont regroupées en collections. Le Geves assure une coordination en lien avec les instituts et les entreprises de multiplication de semences. « Un peintre sans peinture ne fera pas de beaux tableaux, a fait remarquer Denis Lor. Un semencier a, lui, besoin de ressources génétiques. » Pour pouvoir les utiliser, il a défendu le système de certificat d'obtention végétale (COV), imaginé avant tout par les pays européens lors de la convention de l'Union pour la protection des obtentions végétales (Upov) signée en 1961 et modifiée plusieurs fois depuis. Contrairement au brevet, défendu notamment par les États-Unis, le COV permet de rétribuer le travail de l'obtenteur et de laisser la ressource libre d'accès aux autres personnes (obtenteurs, agriculteurs, citoyens...) à des fins de recherche. N'importe qui peut utiliser librement et gratuitement une nouvelle variété pour en créer une autre, sans qu'il soit nécessaire d'avoir l'accord du propriétaire, ce qui assure la continuité de l'amélioration génétique de chaque espèce végétale, a-t-il été rappelé. À ce jour, soixante-dix États ont déjà adhéré à la convention de l'Upov.
« On a du mouron à se faire »
Aujourd'hui, de nouvelles priorités apparaissent dans la sélection végétale. « Le changement climatique affecte les espèces pérennes (cerisiers, abricotiers, vignes...), a indiqué Richard Brand. Par exemple, l'abricot bergeron a besoin de froid pour une bonne productivité. » C'est pour cela que sont développés, avec l'Inra, des programmes de recherche sur la sélection et l'adaptation au changement climatique. « La souplesse de réaction sur certains critères fait le succès d'une variété », a souligné Denis Lor. Évoquant des ravageurs comme drosophila suzukii ou xylella fastidiosa, il estime que les problèmes sanitaires seront de plus en plus aigus avec la baisse des matières actives utilisables, le réchauffement climatique et la croissance des échanges mondiaux. « On a du mouron à se faire, a-t-il dit. Les ressources génétiques sont la clé de ces enjeux. »
Christophe Ledoux
(1) Gnis : Groupement national interprofessionnel des semences.
(2) Geves : Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences.
(3) Inra : Institut national de la recherche agronomique.
FORMATION : Une nouvelle licence professionnelle au ValentinÀ compter de la rentrée 2016, le lycée agricole Le Valentin accueillera les premiers étudiants de la licence professionnelle « parcours du management de la production de semences et commercialisation ». D’un niveau bac + 3, elle a pour objectif de former des spécialistes capables d’évoluer dans les différents métiers de la production de semences. Cette formation en alternance (14 semaines de cours et 38 en entreprises), portée par l’IUT Grenoble Alpes, a été construite en lien avec les entreprises et organismes de la filière semencière. Pour en savoir plus ou candidater : www.iut-valence.fr
ARBORICULTURE / La belle fille de Salins est l'une des 15 variétés de pommes à cueillir dans les Vergers de Sellières, dès la mi-octobre. Une variété locale remise au goût du jour et prétexte à de fructueuses collaborations entre Bertrand Gaulliard, pépiniériste horticulteur à Tourmont et Denis Pisella, producteur de fruits à Sellières (Jura).
La belle fille de salins, une pomme 100 % Jura
« L'association des Croqueurs de pommes a fait un travail remarquable. Sans eux, certaines variétés anciennes ou locales, comme la belle fille de Salins, seraient tombées dans les oubliettes. J'en greffe une quarantaine par an. Une petite pomme à chair presque rose, légèrement striée, de bonne conservation. Elle fleurit tard. Cela la rend moins sensible aux gelées tardives », explique Bertrand Gaulliard, pépiniériste à Tourmont, près de Poligny. Il a démarré la production de la variété belle fille de Salins en 2013 à la demande de Denis Pisella, producteur à Sellières. Les 400 petits pommiers belle fille de Salins destinés aux Vergers de Sellières ont été produits selon la méthode de greffe en fente sur des porte-greffes de reinette grise, ce qui a permis de gagner une année avant la mise en production. La qualité du porte-greffe est importante car elle conditionne la vigueur de l'arbre par la suite. « La greffe en fente n'est pas la technique que j'utilise habituellement. Je pratique plutôt la greffe d'été en écusson sur mes propres porte-greffes, en tenant compte du calendrier lunaire. »
Cueillette au verger
Denis et Monique Pisella entament leur 21ème récolte et ils ont toujours la pêche ! Leur exploitation, l'EARL Vergers de Sellières, emploie 3 ETP par an et propose la cueillette et la vente directe de fruits au magasin de la ferme, essentiellement des pommes produites sur 9 ha (une trentaine de variétés), mais aussi des cerises, des poires, des prunes et des fraises. Les producteurs ont également un dépôt dans les magasins de La Grange à Lons-le-Saunier et A Fleur de Terre à Remoray-Boujeons. Le verger est conduit en lutte raisonnée avec peu de traitements. « Une variété comme la belle fille de Salins est proposée uniquement en cueillette. En une demi-journée, nos deux rangées d'arbres sont toutes ramassées. Nous avons de la demande, c'est une pomme qui reste dans la mémoire des gens. » D'autres variétés sont sans doute plus intéressantes, mais la belle fille de Salins est un vrai produit d'appel.
La concurrence des jardiniers amateurs
« L'activité de pépiniériste est difficile. Nous sommes sur des cycles longs. Qui peut dire ce que sera la demande d'arbres fruitiers dans dix ans ? Après la crise de 2008, nous avons vu des familles réinvestir leur jardin, nous avons vendu davantage d'arbres fruitiers et de plants de légumes. La campagne publicitaire “Mangez cinq fruits et légumes par jour” a également eu un impact positif. Mais nous sentons un fléchissement des ventes depuis deux ans. L'entretien du potager et deux étés pluvieux ont dû décourager ces nouveaux jardiniers qui cherchaient à faire quelques économies. »
Bertrand Gaulliard évoque un problème de plus en plus répandu : la concurrence des jardiniers amateurs qui vendent leurs plants en quantité. « C'est peut-être encore à cause de la crise ou d'une mode passagère, mais cela représente un préjudice pour les professionnels. Les horticulteurs pépiniéristes sont contrôlés tous les ans et nous disposons d'un passeport phytosanitaire. Si certaines maladies apparaissent, nous sommes tenus de détruire les plants. Nous avons même une traçabilité obligatoire sur certaines plantes, jusque chez le client. Les ventes non encadrées peuvent propager des maladies et des parasites indésirables. La nature nous rappelle qu'il faut être vigilant et les alertes sont nombreuses en ce moment : maladie du buis et du frêne en forêt, esca et flavescence dorée en vigne, cynips du châtaignier, maladie du chêne en Italie... »
I. P.
VITICULTURE / Alors qu’une dizaine de cépages règnent en « maître » sur la production vinicole française, la profession comme la recherche s’intéressent à l’intérêt de revaloriser quelques cépages oubliés. Explications d’Héloïse Mahé, chercheuse à l’Institut national d’études supérieures agronomiques de Montpellier.
Un regain d’intérêt pour les cépages anciens
«Aujourd’hui en France, dix cépages représentent 70 % des surfaces plantées en vignes : ce qui est dû à des politiques de filière, des changements dans la stratégie produit, l’évolution des modes de consommation et l’arrivée des cépages dits améliorateurs », plante la jeune étudiante, Héloïse Mahé en guise de décor. « Cependant, en résistance à ce phénomène d’uniformisation, il y a un enthousiasme croissant des professionnels et des amateurs pour les cépages abandonnés voici des dizaines d’années et qui pourraient aujourd’hui retrouver leurs lettres de noblesse dans un contexte économique et climatique changeant. »
Des moteurs…
Les motivations des viticulteurs ayant choisi de valoriser des cépages autochtones sont variées. « Un vigneron peut choisir de se tourner vers les cépages rares pour diversifier son offre et créer un marché de niche, c’est un choix qui est souvent fait pour redynamiser une exploitation », explique la chercheuse. « C’est aussi, parfois, pour répondre à l’évolution des consommateurs qui souhaitent des vins moins charpentés et moins riches en alcool, plus fruités. Bien plus souvent, on rencontre la volonté de valoriser un territoire en préservant et en mettant en valeur son patrimoine et ses ressources. » Les initiatives de replanter des cépages anciens sont également souvent motivées par la nécessité de s’adapter aux changements climatiques. « Un encépagement plus diversifié permet de contrer quelques accidents climatiques », ajoute Héloïse Mahé. « Des cépages abandonnés pour leur manque de production de sucre pourraient aujourd’hui retrouver tout leur intérêt. »
… et des freins
Néanmoins, les freins sont aussi nombreux. La législation, tout d’abord, mais comme le rappelle Héloïse Mahé, « le Comité technique permanent de la sélection favorise beaucoup l’agrandissement du catalogue officiel. Et, du côté des appellations, l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) encourage la réflexion autour des cahiers des charges, notamment dans le contexte du changement climatique. Même si en AOC les démarches peuvent être longues, finalement, en IGP, il est très souvent possible de valoriser un grand nombre de cépages ». Ensuite, la disponibilité du matériel végétal reste un des freins essentiels pour la valorisation des cépages rares. « Il faut donc se mobiliser, ça marche avec le bouche-à-oreille et les greffons sont prélevés chez les viticulteurs, plus rarement en collections dans les conservatoires », explique Héloïse Mahé. « Ensuite, le petit nombre de plants à multiplier entraîne un surcoût qui n’est pas négligeable. Mais les pépiniéristes sont de plus en plus attentifs au terrain et proposent des prestations adaptées. » Le manque de connaissances présente aussi un risque pour le viticulteur qui ne sait pas comment évolue le cépage tout au long de la culture et à la vendange. « Il est très important de rendre accessibles toutes les études qui sont menées et de favoriser le dialogue entre les professionnels ou bien le recours aux conseillers des chambres d’agriculture », insiste Héloïse Mahé.
Dans le cadre de son étude portant sur le pourtour méditerranéen, sous la direction de son tuteur Hervé Hanin, la chercheuse a identifié 13 cépages porteurs d’avenir*. « Au-delà d’un simple marché de niche, un cépage rare pourrait porter l’originalité d’un vignoble. Toutes les régions, plus ou moins rapidement, prennent conscience de la valeur de leur patrimoine ampélographique et l’implication des structures professionnelles est indispensable pour soutenir la dynamique des vignerons.»
M. K.
* aramon noir, bourboulenc blanc, carignan blanc, chatus noir, counoise noir, genovese, morastel noir, piquepoul, rivairenc noir, sciaccarello noir, terret, tibouren noir et tourbat.