Des taurillons vendus moins chers qu'il y a quarante ans

Après le Sud-Drôme au printemps puis le Royans-Vercors et le Diois cet été, la FDSEA de la Drôme a convié le préfet de la Drôme, Eric Spitz, à découvrir l'agriculture du Nord-Drôme. Cette partie du département, où l'activité agricole occupe 55 % de la superficie, compte quelque 2 000 exploitations professionnelles. Le 29 novembre, dans une atmosphère hivernale, un premier rendez-vous avait été donné à Saint-Barthélémy-de-Vals, à l'EARL Cros. Etaient réunis autour de Didier Beynet, président de la FDSEA, des responsables d'organisations agricoles, des élus locaux et territoriaux ainsi que des représentants de la DDPP(1) et de la DDT(2). Sous son hangar, Jean-Michel Cros a présenté son exploitation. Celle-ci regroupe trois ateliers - volailles fermières (chapons et pintades), arboriculture (abricotiers bergeron) et bovins allaitants (65 à 70 vaches charolaises) - et compte 110 hectares (ha) de pâturages et terres dont 15 sont irrigables. Lui et son père sont associés.
« On mange de l'argent »
Installé depuis dix ans sur la ferme familiale, Jean-Michel Cros a très vite fait part du manque de rentabilité de son élevage de bovins. « Il y a 40 ans, les taurillons se vendaient au maquignon 27 francs le kilo. Aujourd'hui, c'est l'équivalent de 23 francs, a-t-il fait remarquer, désabusé. On mange de l'argent. » Une situation d'autant plus difficile à vivre que cet atelier occupe 80 % de son temps et nécessite une forte astreinte. « J'espérais atteindre un rythme de croisière au bout de mes dix ans d'activité, a confié l'exploitant. Mais ce n'est toujours pas le cas. Je produis de la nourriture sans aucune reconnaissance en matière de rémunération. Et les contraintes administratives et réglementaires ne cessent de s'alourdir. Il faut vraiment s'accrocher pour ne pas baisser les bras. Je ne continuerai pas dix ans de plus comme cela. »
Ce que demande en priorité Jean-Michel Cros, ce sont des prix rémunérateurs, compte tenu du travail fourni (80 heures par semaine). Diversifiée dans ses productions, l'EARL n'a pu bénéficier des aides du plan de soutien à l'élevage. « C'est un problème récurrent », a regretté Jean-Pierre Royannez, premier vice-président de la chambre d'agriculture. « Faute de soutiens, le recours à des prêts de trésorerie hypothèque la suite de l'entreprise, a ajouté Jean-Michel Cotte (élu Crédit Agricole Sud Rhône Alpes). Il faudrait que l'État invente un système d'aide au redémarrage de l'activité. »
« Le moindre couac peut tout faire basculer »
Jean-Michel Cros envisage de réduire son atelier de bovins allaitants et d'augmenter la part de viande vendue en direct (30 % aujourd'hui). Il souhaite aussi développer l'arboriculture (2,5 ha actuellement). Cette année, 60 % de sa récolte d'abricots a été détruite par le gel et la grêle. « Les volailles fermières font la marge de l'exploitation », a-t-il précisé. Toutes sont vendues en direct. Dans la Drôme, une centaine d'exploitations possèdent un atelier de ce type en complément de l'activité principale, a expliqué Paul Despesse, vice-président de la chambre d'agriculture. Cette dernière accompagne d'ailleurs le développement de cette filière (lire en page 4 L'Agriculture Drômoise du 1er décembre). Guy Péran (élu MSA et FDSEA) a parlé de l'association des volailles fines du Dauphiné, créée en 1992 en pleine crise bovine. Elle regroupe aujourd'hui quinze adhérents, principalement du Nord-Drôme. Avec le directeur de la DDPP, Bertrand Toulouse, un point a été fait sur la mise en œuvre des mesures de biosécurité pour lutter contre les salmonelles et l'influenza aviaire. « L'objectif est de protéger les élevages avicoles, a-t-il souligné, en particulier ceux de plein air, qui sont les plus exposés. ». Pour Paul Despesse, l'enjeu est de s'adapter sans remettre en cause la viabilité des exploitations.
Lors de cette rencontre, d'autres préoccupations ont été abordées, notamment les difficultés à recruter des apprentis, la révision des zones défavorisées simples et celle des zones vulnérables. Avant de quitter Jean-Michel Cros, le préfet a déclaré : « Votre exploitation est emblématique des difficultés actuelles ». De son côté, Jean-Pierre Royannez a exhorté l'État à « faire redémarrer l'agriculture. Il faut de la rémunération, la possibilité d'embaucher afin de diminuer l'astreinte des éleveurs et moins de pressions réglementaires. Car le moindre couac peut tout faire basculer et conduire petit à petit à l'isolement. »
Christophe Ledoux
(1) DDPP : direction départementale de la protection des populations.
(2) DDT : direction départementale des territoires.