Eleveurs laitiers : l’adaptation au changement climatique, c’est maintenant

Alors que certains leaders continuent d'affirmer que le réchauffement climatique est une vue de l'esprit, les agriculteurs, eux, en mesurent les conséquences dans leurs champs et leurs prairies depuis plusieurs années. « Avant, on sortait nos vaches jusqu'en août, puis ça a été mi-juillet. Aujourd'hui, si on tient jusqu'à la fin juin, on est content », déclare Yves Biessy-Bonnet, éleveur laitier à La Flachère (38). Hausses des températures, épisodes de canicule et de sécheresse à répétition, pénurie de fourrage, périodes de fortes pluies : ces symptômes, les éleveurs les connaissent. Et cherchent des clés pour ajuster leurs pratiques, voire anticiper les impacts, tant sur les ressources fourragères que sur les animaux. Les journées d'échange sur le réchauffement climatique, organisées début janvier par Adice en Isère et en Drôme, en ont apporté quelques-unes.
Stress thermiqu
« Le changement climatique est une réalité : à l'horizon 2100, il faut s'attendre à une réduction drastique des précipitations de part et d'autre de la vallée du Rhône, lance en préambule Jean-Christophe Moreau, responsable du programme fourrage à l'Institut de l'élevage. Que fait-on pour imaginer ce qui risque de se passer dans les exploitations laitières ? » Chiffres à l'appui, le spécialiste évoque les changements en cours, tant en termes de température et de pluviométrie que de zootechnie car, rappelle-t-il, « une vache laitière en stress thermique fait moins de lait ». Un propos confirmé par Pierre Gonin, conseiller Adice : « En période de canicule, tout est détraqué : au lieu de se coucher pour ruminer, les vaches se postent devant l'abreuvoir. Il y a une perte de lait mais aussi une baisse de fertilité : quand le stress thermique est trop grand, le taux de réussite de l'insémination artificielle chute. »
Les observations actuelles n'augurent rien de bon. « Depuis 1985, en Nord-Ardèche, zone retenue dans l'étude Climalait1, nous avons gagné deux degrés au printemps, alors que l'été est plutôt stable, décrit l'expert. Pour les précipitations, il est difficile de dégager une tendance : nous constatons un effet yoyo, avec une orientation à la baisse au printemps, alors que les températures ont justement tendance à augmenter, d'où un effet ciseau inquiétant. Nous avons également relevé une très nette hausse de l'évapotranspiration2, liée à la hausse des températures, ce qui correspond à un déficit net d'eau pour la plante. » En résumé, dans le Nord de l'Ardèche, le bilan hydrique, saison par saison, fait ressortir une grande variabilité d'une année sur l'autre mais « il baisse de façon catastrophique au printemps, ce qui est préoccupant pour les stocks fourragers », avertit Jean-Christophe Moreau. Climalait observe la même tendance dans les monts du Lyonnais.
Effet CO2
Cela a des conséquences pour l'alimentation des troupeaux. « D'ici la fin du siècle, on pourrait mettre à l'herbe plus tôt mais il faudra affourager davantage en été ». Quant aux incidences sur les prairies, elles seront plus marquées, surtout en sol profond où « le creux de l'été va encore se creuser », alors qu'en sol superficiel, « le mal est déjà fait ». En revanche, pour le printemps, c'est le jack-pot car le réchauffement s'accompagne d'une hausse de la concentration de CO2 dans l'atmosphère, ce qui stimule la photosynthèse. « Il y aura davantage d'herbe plus tôt au printemps, l'effet CO2 jouant à plein », annonce le technicien de l'Institut de l'élevage. Les simulateurs de culture prévoient également un effet bénéfique sur maïs, luzerne et sorgho notamment, si tant est que le stress hydrique, aggravé par les épisodes de fortes chaleurs, ne les pénalise pas outre mesure.
Dans l'ensemble, les pronostics à moyen ou long terme correspondent peu ou prou aux aléas que les éleveurs connaissent depuis quelques années. Sécuriser son système aujourd'hui, c'est donc lui permettre d'être résilient demain. « Y penser dans les conditions actuelles, c'est déjà s'adapter », conclut Jean-Christophe Moreau.
Marianne Boilève
1 Initié par le Cniel et développé par l'Institut de l'élevage, le projet Climalait cherche à évaluer les impacts du changement climatique dans les élevages laitiers, préparer les éleveurs et leur proposer des leviers d'adaptation en fonction de leur système d'élevage.
2 Evapotranspiration : quantité d'eau qui s'évapore par le sol, les nappes liquides et la transpiration des végétaux.
Alimentation / Entre mesures immédiates de bon sens et solutions à plus long terme, l’adaptation au changement climatique implique de repenser son système.
Allonger et diversifier le pâturage
Parmi les mesures agronomiques, Jean-Christophe Moreau, spécialiste du programme fourrage à l’Idele, préconise d’allonger la durée de pâturage, ce qui nécessitera de démarrer plus tôt, de « s’organiser pour aller chercher l’herbe où elle se présentera ». Il propose aussi de faire pâturer des céréales comme le triticale en début ou en fin d’hiver (avant le stade épi 1 centimètre) et des sorghos fourragers (pas de pâturage avant 40 cm de hauteur à cause de l’acide cyanhydrique), du millet (plusieurs pâturages possibles jusqu’aux premiers froids) ou du moha en fin d’été. En automne, il conseille de faire pâturer des crucifères (colza fourrager, chou, navet, moutarde, rave) mais en passage rapide de façon à permettre la repousse. Il recommande aussi de profiter des reports sur pied pour les animaux à faible besoin : « C’est vrai qu’il y a une perte de qualité* et de biomasse, mais c’est plus économique que le processus récolte-stockage-distribution », précise-t-il.Il faudra également accroître la production estivale pâturable (luzerne en mélanges, chicorée en culture pure ou en prairie multi-espèces) et diversifier les fourrages à stocks (méteils ou sorghos sur les sols à faible réserve utile). L’expert invite les éleveurs à penser également à la betterave (semis en avril pour pâturage d’hiver), très lactogène et présentant des rendements élevés (15 tonnes de matière sèche par hectare). Mais aussi aux arbres tant pour l’alimentation (les feuilles de frêne ou de mûrier ont une valeur alimentaire supérieure à celle de la luzerne...) que pour l’ombre qu’ils procurent, efficace pour « lutter contre le stress thermique ». Sachant qu’un arbre met vingt à trente ans à pousser, rappelle Olivier Giroud, éleveur engagé dans un ambitieux programme d’agroforesterie à Biol (38), « c’est maintenant qu’il faut y penser ».
M. B.
* sauf si la proportion de graminées épiées est faible (espèces ou types non remontants) et/ou si la proportion de trèfle est importante.
Penser globalement les bâtiments
Les évolutions concernent également les bâtiments d’élevage. Durant les journées d’échange, Bertrand Fagoo, de l’Institut de l’élevage, a présenté des solutions pour lutter contre le stress thermique. Il a invité les éleveurs à bien observer leurs animaux pour évaluer le niveau de stress, par exemple en mesurant la fréquence respiratoire à l’aide d’outils simples comme le score de halètement ou d’instruments permettant d’évaluer le ressenti des animaux (utilisation du HLI-Heat load index).
En période de canicule, « une bonne ventilation, associée à de bonnes pratiques, donne de bons résultats », a par ailleurs rappelé Bertrand Fagoo. Les équipes de l’Idele ont passé en revue différents systèmes : les ventilateurs classiques à flux horizontal, les ventilateurs à flux vertical et les gaines soufflantes. Pour les premiers, l’efficience est discutable en raison d’un « effet couloir marqué », se caractérisant par trop de zones non couvertes et un coût énergétique élevé. Les ventilateurs à pales (de type « hélicoptère ») présentent l’avantage d’assécher l’air et l’aire paillée mais, là aussi, leur rayon d’action est en réalité inférieur à celui annoncé par les constructeurs. Quant aux gaines soufflantes, elles sont surtout intéressantes en logette mais leur pose est complexe. En résumé, l’expert de l’Idele recommande plutôt d’améliorer la ventilation naturelle quand c’est possible (ouvertures modulables, trappes ouvrantes en bardage bois ajouré...).
Pour ce qui est de la brumisation, « c’est bien, à condition de n’avoir pas d’humidité dans le bâtiment », prévient Bertrand Fagoo (risque de mammites). Quant au douchage qui permet de rafraîchir directement l’arrière de l’animal à l’abreuvement ou à l’auge, il risque là aussi d’augmenter le taux d’humidité (flaques au sol) et est très gourmand en eau.
Le technicien de l’Idele recommande en revanche certains aménagements, comme l’augmentation du nombre d’abreuvoirs, l’isolation de la toiture ainsi que la limitation des translucides en toiture et sur les rampants sud et ouest, ou encore la réduction des hauteurs de maçonneries en béton. « Il faut réfléchir globalement le bâtiment pour éviter que toutes les vaches ne se bloquent sur un endroit et essayer d’améliorer tout le reste avant de mettre des ventilateurs », conclut Bertrand Fagoo.
M. B.