En fruits, « les producteurs sont à l'os »
Alors que la colère agricole ne retombe pas, le point sur les négociations en cours dans la filière arboricole avec Régis Aubenas, responsable de la section fruits de la FDSEA Drôme.

Le coût du travail demeure une préoccupation forte des arboriculteurs. Où en est-on de la pérennisation du TO-DE, dispositif de réduction de charges sur les travailleurs occasionnels ?
Régis Aubenas : « La pérennisation du TO-DE fait partie des revendications portées de longue date par la FNSEA et JA. Lors des manifestations agricoles de l'hiver dernier, cela a été particulièrement mis en avant. Début octobre, lors des discussions parlementaires sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, nous avons obtenu gain de cause avec la pérennisation du dispositif et la hausse du plafond de 1,20 à 1,25 Smic pour bénéficier de l’exonération maximale de cotisations sociales des employeurs. Quelques jours plus tard, une disposition du Gouvernement est venue considérablement amoindrir l'effet du TO-DE. Cela a immédiatement conduit la FNSEA et JA à réagir fortement. Fin octobre, le Gouvernement a présenté un nouvel amendement excluant le TO-DE des effets de la baisse de deux points du plafond des cotisations sociales des employeurs. Le travail syndical, sans relâche, a ainsi permis d'éviter une mesure de restriction qui aurait couté 39,5 millions d’euros aux employeurs agricoles. Cependant, aujourd'hui, l'incertitude est politique. »
Une autre préoccupation des arboriculteurs concerne les interdictions de matières actives pour protéger les vergers.
R. A. : « Dans ce dossier, nous sommes confrontés à la fois à des décisions européennes d'interdiction et à des positions encore plus restrictives de la France. Mais aussi à des fabricants de produits phytosanitaires qui ne renouvellent pas certaines autorisations de mise sur le marché, considérant le manque de rentabilité et les contraintes administratives. Ainsi, certaines “molécules pivot” présentes dans des produits comme le Captane et le Movento disparaissent alors que nous n'avons aucune alternative ! Ce qui s'est passé cette année en noisettes - avec des producteurs qui ont perdu 40 % de leur récolte - pourrait arriver sur d'autres fruits en 2025. Les manifestations du 28 novembre qui ont ciblé l'Inrae(1) et l'Anses(2) sont le signe d'une profonde exaspération et détresse des producteurs. »
Vous espérez des avancées rapidement ?
R. A. : « Avec la FNSEA et JA, nous travaillons sur plusieurs fronts. Le premier concerne la pression réglementaire avec une action très ciblée et coordonnée avec plusieurs pays européens, en lien avec nos AOP(3). Je reste cependant très inquiet sur la volonté politique car les organisations environnementalistes ont beaucoup de pouvoir sur les élus européens et l'opinion publique. Le deuxième front cible les fabricants de produits phytosanitaires afin qu'ils renouvellent leurs demandes de mise sur le marché de matières actives dont nous avons besoin faute de solution de substitution. »
La rémunération des producteurs fait aussi partie des revendications syndicales. Pensez-vous pouvoir infléchir les prochaines négociations commerciales ?
R. A. : « L'inflation a clairement pénalisé les produits de montée en gamme, segment sur lequel s'est placée une bonne partie de la production française de fruits. Cette année, plus de 70 % des volumes de fruits commercialisés en grande distribution ont fait l'objet de promotion ! Les producteurs sont à l'os. Les discussions sont d'ores et déjà en cours avec les distributeurs. Pour 2025, nous leur demandons de véritablement privilégier l'origine France, dès le début de la saison. À défaut, nous organiserons des opérations “name and shame(4)” pour dénoncer publiquement un double discours laissant croire aux consommateurs que la grande distribution achète français alors que ce n'est pas le cas. »
Ne craignez-vous pas que les économies demandées par le Gouvernement aient un impact sur les aides apportées à la filière ?
R. A. : « Des coupes budgétaires sont à craindre. Nous sommes pleinement mobilisés pour que la puissance publique ne rogne pas les soutiens prévus dans le plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes. Il en est de même pour les aides du plan régional fruits et des cofinancements du Département de la Drôme. Il en va de la compétitivité de l'origine France. »
Dans toutes ces difficultés, l'annulation du « décret plastique » apparaît comme une bonne nouvelle.
R. A. : « En effet, l'annulation par le Conseil d'État, et pour la deuxième fois le 8 novembre, du décret encadrant la vente de certains fruits et légumes dans des emballages en plastique est un rayon de soleil. Ce décret avait été pris en application de la loi Agec, qui interdit depuis 2022 la vente au détail de fruits et légumes frais dans des emballages en plastique, sauf lorsqu'ils sont conditionnés en lots de plus de 1,5 kg. Le travail syndical et celui des AOP3 a été déterminant. Ce décret constitue une véritable faute politique du précédent Gouvernement. Car les consommateurs qui achètent habituellement leurs fruits en barquette ne se sont pas reportés sur du vrac. Cela a donc engorgé le marché et nous avons évalué la perte à 10 centimes d'euro par kilo. Nous souhaitons un retour des barquettes plastiques car aucun autre dispositif (carton…) ne donne satisfaction pour l'heure. »
Propos recueillis par Christophe Ledoux
(1) Inrae : Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
(2) Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
(3) AOP : association d'organisation de producteurs.
(4) Name and shame : littéralement « nommer et faire honte », pratique qui consiste à exposer au grand public, via les médias, les comportements d'un individu, groupe ou entreprise.
Mardi 10 décembre à Valence : les Rendez-vous de l'arbo
Les prochains « RDV de l'arbo » auront lieu mardi 10 décembre au Palais des congrès de Valence. Au programme : conférences, table ronde sur le thème « qualité, technicité, relever tous les défis ! » Olivier Dauvers, expert de la consommation, évoquera l'évolution de la grande consommation et l'adaptation face aux mutations. « Un des objectifs de ces RDV est également d'explorer les cultures de diversification (grenade, pistache…) avec cette question : sont-elles des relais de croissance ?, annonce Régis Aubenas, président de Fruits Plus, l'association organisatrice. Nous apporterons des chiffres et parlerons de relais de croissance qui sont sous nos yeux, comme la cerise. » La performance opérationnelle des vergers sera aussi abordée.
Programme complet et inscription sur fruitsplus.fr.
C.L.