En vente directe, les revenus augmentent au détriment du temps libre

Les exploitations viticoles de la région sont souvent tournées vers la vente directe qui leur procure un débouché important et une bonne valorisation du vin. Grâce au travail de suivi réalisé dans le cadre d'Inosys* viticulture, les techniciens des chambres d'agriculture suivent l'évolution des catégories d'exploitations en vente directe au nombre de six, appelées également cas type. « Chaque année, nous suivons l'évolution de 4 à 6 exploitations réelles du vignoble utilisées pour chacune de ces catégories », indiquent les trois techniciens de chambre, auteurs d'un rapport. Après plusieurs années de suivi, de 2011 à 2014, deux vignobles ont fait l'objet d'une étude spécifique résumant les principales évolutions : le beaujolais et les côtes-du-rhône méridionales. « Les structures d'exploitation évoluent progressivement : si les surfaces n'ont pas changé, l'évolution porte davantage sur la diversification dans les cuvées et les contenants, soulignent les auteurs de l'étude issus des chambres d'agriculture du Rhône et de la Drôme. Cependant la charge de travail reste très importante et freine l'envie des jeunes à s'installer. Les côtes-du-rhône s'en sortent mieux grâce à la taille de leur exploitation et leurs faibles densités de plantation malgré un prix moyen comptable de bouteille équivalent sur les deux cas types. »
Des chiffres d'affaires en progression entre 2011 et 2014
Les exploitants et leurs familles vendeurs en direct disposent de peu de temps libre. Sur les dernières années, peu de changements sont intervenus dans l'organisation du travail et il n'apparaît pas de différences entre les deux vignobles dans ce domaine. Beaucoup de week-ends sont consacrés à la vente de vin, notamment sur les foires et salons. « La vente directe demande de plus en plus de temps et d'énergie », constate les auteurs. Le volume en vente directe de ces exploitations se situe autour de 40 000 bouteilles. La principale différence entre les vignobles vient du volume vendu en bag in box (bib). 60 hl sont vendus sous cette forme en beaujolais, alors que l'exploitation type de côtes-du-rhône en vend presque 10 fois plus. À noter, les ventes de bib progressent en côtes-du-rhône au détriment de la bouteille. Dans les deux vignobles, les auteurs constatent une hausse du chiffre d'affaires en trois ans, entre 2011 et 2014, grâce à la revalorisation des prix de vente tant en direct qu'au négoce. Pour les côtes-du-rhône, le chiffre d'affaires de la catégorie d'exploitation a augmenté de 39 000 € (+ 12,5 %) et de 6 000,00 € (+ 3,7 %) en beaujolais depuis trois ans. En beaujolais, le négoce représente tout de même 40 % des volumes contre 25 % en côtes-du-rhône. Cette faible proportion des ventes en négoce est très variable en fonction du rendement. En beaujolais, la vente au négoce constitue une part importante du revenu contrairement aux côtes-du-rhône où cette part n'est qu'un complément, ce qui peut expliquer la différence de progression entre le chiffre d'affaires de chaque catégorie. Du point de vue du revenu annuel par UTH, il progresse dans les deux vignobles, « mais au détriment d'un outil de production difficile à transmettre, » soulignent les auteurs. « Les charges et le temps de travail pèsent beaucoup et imposent une meilleure valorisation des bouteilles.
Il devient par ailleurs nécessaire d'investir et d'embaucher. » Si, en côtes-du-rhône, le revenu disponible du cas type s'élève à 21 000 €/UTH en 2014, il s'établit à 16 000,00 €/UTH en beaujolais la même année. Sur les trois années, de 2011 à 2014, le revenu disponible a augmenté de 3 000 € pour les deux catégories.
* Le dispositif Inosys a pour vocation d'établir des références en décrivant des systèmes d'exploitation fréquents. L'exploitation est approchée comme un système fonctionnel et cohérent dont toutes les parties sont liées. Le suivi annuel de plusieurs exploitations réelles et proches les unes des autres permet de construire un cas type, c'est-à-dire une modélisation de la réalité gommant les particularités individuelles.
S’adapter au marché en diversifiant
Entre les deux vignobles du beaujolais et des côtes-du-rhône, les principales différences se trouvent dans les densités de plantation et la mécanisation.
Si la densité de plantation est de 10 000 ceps/ha dans le beaujolais, elle se situe entre 3 500 et 4 000 ceps/ha en côtes-du-rhône, pour un rendement de 50 hl/ha dans le premier cas et de 42 hl/ha plus au sud. Par conséquent, le nombre d’UTH/ha est plus important en beaujolais qu’en côtes-du-rhône : 0,23 contre 0,14 UTH/ha. Dans ces cas types « vente directe », le travail consacré à la vigne est important et des efforts doivent être réalisés pour s’adapter au marché et élargir la gamme. L’effort de diversification (couleurs et appellations) se fait dans le beaujolais au niveau du parcellaire par des nouvelles plantations ou de nouvelles parcelles. Dans les côtes-du-rhône, il se fait par le développement de nouvelles vinifications, principalement des cuvées rosées. Une autre différence est visible sur le matériel : vieillissant et renouvelé par la force des choses en beaujolais alors que le renouvellement est plus anticipé dans l’autre vignoble. Concernant les côtes-du-rhône, une baisse de la productivité du vignoble (rendements faibles) est constatée. Ce problème de rendement est pris en compte par les viticulteurs qui replantent, estiment les auteurs de la synthèse des données d’Inosys viticulture.
Témoignage / Le domaine familial de Trescombiers, vignoble des côtes-du-rhône méridionales, s’est mis à la vente directe il y a neuf ans. Fabiola Mahé, propriétaire et cogérante, a connu des années difficiles, avant d’arriver à vivre de son exploitation viticole.
Le choix de la vente directe
Aussi nommé « les trois Combes » en Provençal, ce domaine de 42 hectares, qui produit des vins des trois couleurs, en côtes-du-rhône et en vin de pays, est situé au pied du village médiéval de Cornillon dans le Gard. Dans la belle-famille depuis près d’une centaine d’années, l’exploitation a vu Fabiola prendre sa tête en 2001. Faute de revenus suffisants, son mari n’a pas pu s’installer tout de suite avec elle sur le domaine. Il a dû travailler pendant des années dans une entreprise qui commercialisait des produits phytosanitaires.Un objectif : avoir de la visibilité
Pendant longtemps, le vin, conditionné en bouteilles ou en bag in box, a été commercialisé grâce au négoce. Puis en 2008, face à la chute des prix des côtes-du-rhône, la vigneronne a décidé de convertir l’exploitation viticole en bio et de vendre ses produits sur des marchés locaux. C’est grâce à la communication faite sur ces derniers qu’une vente directe au caveau a pu se mettre en place. Les locaux et les touristes venaient déguster les différents vins sur l’étal, ce qui leur donnait envie par la suite de visiter le domaine et sa cave. « Heureusement qu’il y avait le salaire de mon mari pour vivre parce que c’était très compliqué d’arriver à se dégager un revenu. Il a fallu du temps pour se faire connaître et fidéliser les clients. En plus des marchés, ce qui a énormément aidé, ça a été la signalétique. Depuis qu’on a remplacé les panneaux qui annoncent le domaine, ça marche beaucoup mieux », explique Fabiola Mahé.
Une charge de travail importante
Sur les 42 ha de vigne, 20 ont été acquis récemment en vue de l’installation de leur fils dans l’EARL. Avec les 22 ha initiaux, environs 1 000 hectolitres sont produits. Une partie part aux négociants (300 hl) et le reste est vendu en vente directe, tous les jours au caveau, sur des marchés en soirée (deux par semaine) ou encore sur des salons (cinq dans l’année). Fabiola s’occupe de la partie commerciale, son mari et son fils des vignes.
Le dimanche est rarement un jour de repos : « On travaille sept jours sur sept. Sauf les deux premiers mois de l’hiver où je prends mes dimanches puisqu’il y a moins de clients. On prend trois ou quatre jours de vacances par an. » Un vignoble en bio demande un gros travail du sol, mais en contrepartie le vin est mieux valorisé.
La communication, clé d’une bonne valorisation
« Lors des périodes creuses, on en profite pour partir faire des salons dans le Nord, là où résident nos touristes estivaux. Les ventes au domaine reprennent de Pâques jusqu’à la mi-octobre. Le gros du chiffre se fait en été », raconte la vigneronne. Dans cette région, ce sont les touristes qui font marcher le commerce. Et en particulier les étrangers (Belges, Allemands, Hollandais..), selon la viticultrice. « Ils sont beaucoup plus sensibles au bio et il y a énormément de campings dans le coin. Les gens aiment bien avoir leur bag in box dans le frigo pour les vacances. » Mais dans la vente directe, il n’y a pas que l’aspect économique qui compte. « Ça me permet de voir du monde et de partager notre savoir-faire. Aujourd’hui on arrive à vivre de notre production grâce à la vente directe. Mais si on n’aimait pas communiquer, ce ne serait même pas la peine d’envisager de faire de la vente directe. Parce que ça ne marcherait pas. »
Manon Laurens