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Financement

Exploitants agricoles cherchent capitaux

Les exploitations agricoles répondent de plus en plus à une logique entrepreneuriale et la recherche de capitaux pour se développer ou s’installer devient cruciale. Seulement, l’agriculture peine à rentabiliser ses investissements. De surcroît, la rentabilité du capital est en baisse sur ces dernières années.
Exploitants agricoles cherchent capitaux

«On observe une banalisation de l'activité agricole. Aujourd'hui, elle est soumise aux mêmes contraintes que les autres secteurs, alors qu'avant il s'agissait d'un secteur très particulier », analyse Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'Université Paris XIII. Lors d'un colloque « Agriculture et capital », organisé à l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), il est revenu sur l'évolution de l'économie capitalistique depuis les années quatre-vingt. « Les salariés sont devenus un acteur parmi d'autres dans l'entreprise. Cette dernière raisonne aujourd'hui par rapport au retour sur investissement des actionnaires, dans une logique purement actionnariale », explique-t-il. Et l'agriculture n'y échappe pas, surtout dans un contexte où les financements pour reprendre ou développer une exploitation dépassent régulièrement les 100 000 euros (voir tableau ci-dessous). Où trouver ce financement ? Si les coopératives font déjà appel à des capitaux extérieurs, alors pourquoi les agriculteurs ne pourraient-ils en faire de même ?
Faible rémunération
du capital
« L'agriculture est un secteur à part car l'investissement y est peu rentable comparé à l'industrie », indique Didier Caraès, économiste à l'APCA. « Le placement agricole est un placement de très long terme », confirme Dominique Plihon. Didier Caraès précise également qu'en agriculture « la rémunération du capital est instable depuis dix ans ». Il présente les résultats d'une étude effectuée sur des données entre 1995 à 2013 concernant plus de 7 000 exploitations. « Sur cette période, le capital moyen (besoin en fonds de roulement et immobilisation) des exploitations étudiées est de 353 000 euros », annonce-t-il. Et, selon lui, sur cette période, la rémunération du capital passe au-dessous de 1 % en tenant compte de la rémunération de l'exploitant (1,5 Smic) et du foncier1. Finalement, il observe, chiffres à l'appui, « une forte croissance du capital des exploitations dont la rémunération devient très incertaine ». Pour Gérald Evin, président du fonds d'investissement Labeliance Invest, les actionnaires attendent une rémunération de 25 à 30 % dans le secteur bancaire, de 8 à 12 % dans l'industrie lourde et de 5 à 6 % dans l'agriculture. De son côté, Dominique Plihon observe qu'en France « la pierre, le foncier, le bas de laine ont laissé la place aux placements financiers. » Cela n'étonne pas Gérald Evin. Au contraire, d'après lui, « il y a une appétence pour des actifs concrets. L'obligation d'État rémunère à tout juste 1 % », d'où l'intérêt que porte la population sur les placements financiers, même agricoles.


L'attrait des marchés financiers


Malgré l'attrait de ces placements, Dominique Plihon estime que, pour l'agriculture, « l'intermédiation bancaire doit rester la source de financement prioritaire. La relation de proximité n'existe plus avec un groupe d'investissement », tout comme l'autonomie de l'exploitant et de sa structure. Un point de vue que partage Guy Vasseur, président de l'APCA ou encore Bertrand Corbeau, directeur général de la Fédération nationale du Crédit agricole : « Je ne crois pas que les marchés financiers donneront des taux meilleurs que ceux délivrés par l'intermédiation bancaire. Je ne vois pas l'intérêt de financer l'agriculture par des marchés financiers. [...] Aux États-Unis, l'économie est financée à 20 % par les banques et à 80 % par les marchés financiers. En Europe, c'est exactement l'inverse. C'est un atout pour l'agriculture. Je pense que l'on résistera à cette financiarisation excessive ». Guy Vasseur estime que « les banques restent le premier financeur des exploitations agricoles, et c'est tant mieux ». Il reconnaît pourtant que d'autres solutions doivent émerger. Mais la vigilance s'impose. Il considère que « pour qu'un agriculteur soit autonome et qu'il investisse, il faut qu'il possède au moins une partie de ses capitaux ». C'est dans cet esprit qu'il espère la mise en place de leviers fiscaux pour faciliter le financement des exploitations. Gérald Evin défend de son côté l'intérêt de son fonds d'investissement : « Nous sommes complémentaires des prêts bancaires. Avec notre apport, ce n'est plus un problème de lever de la dette ». Il cite des exemples de financement pour des exploitations : de 50 000 euros minimum à 400 000 euros pour l'installation d'un jeune avec son père accompagné d'un agrandissement de l'exploitation de 70 à 220 vaches, en lien avec sa coopérative.


Diversifier ses sources de financement


Florian Breton, fondateur de Miimosa, plateforme de crowdfunding dédiée aux projets agricoles, avance une échelle de financement par projet de 1 000 à 26 000 euros, avec une moyenne de 6 500 euros. En comparaison, la dotation aux jeunes agriculteurs s'élève en moyenne à 15 000 euros, rappelle Jérémy Decerle, vice-président de Jeunes agriculteurs. Tous ces financements confondus permettent de lever de la dette auprès des banques. Une dette qui ne diminue pas, selon Bertrand Corbeau : « On n'a jamais fait autant de financement dans l'agriculture qu'en ce moment. On n'a jamais autant prêté et cela à des taux aussi bas ». « Les difficultés rencontrées par l'agriculture, et notamment l'élevage, ne sont pas liées à l'endettement des exploitations mais à des niveaux de prix trop bas et à des charges trop élevées », selon lui. « Il ne s'agit pas d'une crise de l'endettement », assure-t-il à propos de la crise vécue par l'agriculture française, révélée avec ampleur cette année. Pourtant, bon nombre d'acteurs, dont Jérémy Decerle, affirment que les banques sont plutôt frileuses en ce moment.


Intégrer par la distribution ?

Dominique Plihon, professeur d’économie financière à l’Université Paris XIII.
Frilosité des banques selon certains, investissements colossaux selon d'autres, faible rentabilité du capital selon les investisseurs... les agriculteurs cherchent de l'argent où ils peuvent. Dominique Plihon rappelle le contexte économique actuel : « Une plus grande incertitude marque l'économie d'aujourd'hui et l'agriculture n'y échappe pas. Les réformes de la Pac vont toutes dans le même sens, celui d'un amoindrissement de la protection des agriculteurs, avec moins d'aides et plus de libéralisation ». Il alerte sur le fait que l'agriculture n'est pas une activité comme les autres. « Dans le monde agricole, la notion de risque n'est pas de même nature que dans le monde industriel. De plus, nous rentrons dans une période où les aléas climatiques vont être de plus en plus importants. Le problème de la couverture de ces risques par les assurances se pose déjà. »
1 Résultat courant avant impôts/capital engagé.

 

Les exploitations françaises trois fois plus endettées que la moyenne européenne
Le taux d’endettement1 des exploitations agricoles en France est très supérieur à la moyenne européenne, selon une étude présentée par Laurent Piet, ingénieur à l’Inra de Rennes, à l’occasion du congrès de la FNSafer. Avec un taux moyen, pour les moyennes et grandes exploitations, de 35 %, les entreprises agricoles françaises sont les deuxièmes les plus endettées d’Europe, juste derrière le Danemark, à 47 %. Ces données, basées sur une moyenne des taux d’endettement entre 2008 et 2012, révèlent que les exploitations françaises sont trois fois plus endettées que la moyenne des exploitations européennes (12 %). En Allemagne, le taux, à 14 %, dépasse à peine la moyenne européenne, tandis que l’Espagne et l’Italie, à moins de 2 %, figurent parmi les trois pays les moins endettés. L’étude constate également que le taux d’endettement français est relativement stable depuis les années quatre-vingt-dix et que les exploitations françaises gagnent en productivité, leur chiffre d’affaires augmentant plus vite que leur endettement. 
1 Rapport des dettes totales sur le passif.

Un capital peu rémunérateur
Le taux de rentabilité réel du capital dans une exploitation agricole ne serait que de 0,5 à 1 %, selon Didier Caraès, économiste à l’APCA. Avec des revenus de plus en plus instables (particulièrement depuis les années 2000), il constate que les agriculteurs continuent à investir de façon régulière, le capital par actif non salarié ayant augmenté d’environ 35 % depuis 1995. Pourtant, ces investissements sont, selon son étude, de moins en moins rémunérateurs. Ainsi, la rémunération du capital - c’est-à-dire le rapport entre le revenu (revenu courant avant impôts) et le capital -, au-delà d’être particulièrement instable d’une année sur l’autre, tend à diminuer. En analysant des données lissées, basées sur la moyenne quinquennale de cette rémunération du capital, l’étude de Didier Caraès met en lumière une baisse de plus de 15 % entre 1999 et 2013. Cette baisse tendancielle de la rémunération du capital est encore plus visible dans l’élevage laitier, atteignant plus de 20 % sur la même période. De telles données n’attirent pas les investisseurs potentiels.

La « banalisation » de l’entreprise agricole 
« L’entreprise agricole est de plus en plus banale », annonçait le sociologue François Purseigle en ouverture du colloque « Agriculture et capital » organisé par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA). En ce sens, comme toute entreprise, elle a besoin de capitaux ; et si ceux-ci étaient à l’origine apportés par les exploitants eux-mêmes, dans des structures dites « familiales », les mutations du système agricole amènent les agriculteurs à chercher de nouvelles sources de capitaux. Le modèle de l’exploitation familiale tend à devenir minoritaire, doublé par le modèle de « firme », observe François Purseigle. La mutualisation des outils de production, les recours à des salariés et même à des entreprises de services extérieures, illustrent bien cette ouverture de l’entreprise agricole. Si deux tiers des exploitations sont encore individuelles, les formes sociétaires sont de plus en plus courantes. Elles représentent même 50 % des « moyennes et grandes exploitations », selon Didier Caraès, économiste à l’APCA.