Exploitations et aléas climatiques : « un mix de solutions »

« Les aléas climatiques : sécuriser et protéger nos exploitations », tel était le thème de la deuxième édition des rencontres économiques du Crédit Agricole Sud Rhône Alpes (Casra), le 23 novembre à Valence. Pour commencer, Béatrice Charpiot, directrice de Météo France en Drôme Ardèche, a fait un point sur les évolutions climatiques. Exceptionnellement douces en ce début d'année, les températures ont eu un impact sur la végétation, a-t-elle entre autres constaté. Puis est survenu un gel tardif (21 avril). A Chabeuil, par exemple, il a gelé quatre fois après le 15 avril ces vingt dernières années. « C'est peu fréquent mais pas exceptionnel. » En termes de précipitations, le cumul d'avril à octobre est de 50 % de la normale cette année (comme en 1989) à Saint-Marcel-lès-Valence. Dans le sud de la Drôme et de l'Ardèche, il a encore moins plu. « A l'avenir, il faut aussi s'attendre à avoir de fortes précipitations de temps en temps. » A noter encore, avec une chaleur élevée, la neige fond plus vite. L'eau est alors moins disponible au moment où les cultures en ont besoin. Quant à la grêle, elle est très aléatoire. Mais « la Drôme, l'Ardèche et l'Isère sont des départements grélifères ».
S'unir pour trouver des solutions
« Les risques sont multiples, a observé le directeur général du Casra, Christian Rouchon. En tant que banquiers, nous voyons les impacts sur l'agriculture. Il faut une réponse collective. Nous devons unir nos forces pour trouver des solutions, favoriser la protection active et financière des exploitations. » Aussi, pour essayer de construire des propositions, deux tables rondes ont suivi. La première sur la sécheresse et l'accès à l'eau avec Jean-Pierre Royannez, vice-président de la chambre d'agriculture de la Drôme, Rémi Fabre, vice-président de celle de l'Ardèche, et Jean-Claude Darlet, président de celle de l'Isère. Dédiée au gel et à la grêle, l'autre table ronde a réuni Régis Aubenas, responsable fruits à la FDSEA de la Drôme, Jean-Luc Flaugère, président de la chambre d'agriculture de l'Ardèche, et François Rosenberg, responsable du pôle marché agri-agro chez Crédit Agricole Assurances.
A la première table ronde, il s'est notamment dit que la sécheresse a une incidence sur le rendement, donc le revenu. Elle peut aussi en avoir les campagnes suivantes lorsqu'il s'agit de cultures pluriannelles. En élevage, le manque d'herbe oblige à puiser dans les stocks précocement. L'accès à la ressource en eau est « capital ». Les exploitations pilotent l'irrigation de plus en plus finement, les marges à « gratter » sont faibles. Aussi, l'augmentation des disponibilités en eau passe par le stockage avec des retenues individuelles ou collectives. Mais, leur coût étant élevé, un accompagnement financier est « nécessaire ». Les élus politiques doivent prendre conscience de cette problématique.
Articuler plusieurs outils
Gel et grêle, c'est une « triple peine » sur les exploitations, a remarqué Jean-Luc Flaugère : perte de récolte, risque de perdre des marchés, et éventuels problèmes de reprise pour des cultures pérennes. Ces aléas ont aussi des conséquences pour les metteurs en marché. La protection des vergers avec des filets paragrêle fonctionne bien mais elle est onéreuse : « au minimum 15 000 euros à l'hectare », a précisé Régis Aubenas. Cela accroît le taux d'endettement. Selon lui, les annuités à rembourser sont du même ordre de prix que l'assurance. Une différence : avec le filet, les fruits sont tous protégés et moins exposés au boisage (effet du vent atténué). Quant aux canons, aucune étude n'a encore démontré leur efficacité. Et contre le gel, plusieurs systèmes de lutte préventive existent : brassage de l'air, chaufferettes, aspersion. La Région et l'Europe (Feader) aident actuellement l'achat de tels équipements : 5 millions d'euros sur trois ans (2017-2019).
« La gestion efficace d'un risque climatique sur une exploitation est l'articulation de plusieurs outils, a confié François Rosenberg. Notre métier est de prendre le relais sur la partie que l'agriculteur ne peut gérer lui-même. C'est à ce titre que les contrats d'assurance sont modulables. » Lui comme le directeur de l'agriculture du Groupe Crédit Agricole, Jean-Christophe Roubin, ont observé : « La couverture assurantielle a un coût élevé pour l'agriculteur et peu de rentabilité pour l'assureur ». Pour Jean-Luc Flaugère, « il faut engager une réflexion complète sur les protections physiques possibles et l'assurance. Elle doit commencer par une analyse fine sur les exploitations ». Le président du Casra, Jean-Pierre Gaillard, a résumé : « Il y a un mix de solutions de protection et assurantielles ». Et Jean-Christophe Roubin - qui considère l'assurance comme « un outil important de gestion des risques » - a aussi mis en avant l'épargne de précaution. C'est un débat assez peu porté aujourd'hui mais qu'il faut avoir. Pour nous, travailler sur l'épargne de précaution avec les OPA* est un enjeu majeur ».
Annie Laurie
* OPA : organisations professionnelles agricoles.
Agriculture et changement climatique /Un message d'espoirLors de ces deuxièmes rencontres du Casra, Maximilien Rouer a donné son regard sur l'agriculture et la lutte contre le changement climatique via une vidéo. Il est diplômé d'AgroParisTech, maître ès biologie cellulaire et physiologie végétale de l'Université Paris-Diderot, fondateur de l'association France Ferme.
« Nous avons une capacité à réabsorber une quantité assez significative du CO2 atmosphérique, confie-t-il. En 2006, nous avons travaillé sur des modèles économiques qui démontrent que, si l'agriculture investissait à hauteur des besoins, le monde serait capable de restaurer en une centaine d'années le climat pré-industriel. Cela passe par une agriculture polyvalente et diverse, la "reforestation", la "révégétalisation" de déserts, de terres agricoles dégradées. Il faut des territoires divers pour qu'ils soient résiliants, puissent s'adapter aux aléas. »
Maximilien Rouer souligne le rôle que peut jouer l'agriculture. A travers la photosynthèse, les plantes extraient du CO2 de l'atmosphère. Et il conclut : « On va devoir travailler pour préparer ce nouveau monde qui est un monde d'opportunités, pour l'agriculture en particulier ».
Lors de cette rencontre du 23 novembre, le président du Casra a fait remarquer : « De toutes les activités humaines, l'agriculture est la seule à pouvoir capter du carbone. Les autres ne peuvent que réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. L'agriculture peut actionner les deux leviers ».