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Filière bois

Exploiter plus et valoriser mieux, le défi de la forêt

La forêt française vieillit. Si cet état de fait n’interpelle pas le profane – chacun s’extasie devant un arbre multiséculaire - c’est un véritable sujet d’inquiétude pour la profession. Économique d’abord, parce que c’est une valeur ajoutée potentielle non valorisée ; environnementale ensuite parce qu’une forêt âgée capte moins de carbone. Mais, pour améliorer durablement la gestion de la forêt, tous les maillons de la filière (l’exploitation, la 1e et la 2e
transformation
ainsi que
la distribution)
ont de nombreux défis à relever.
Exploiter plus et valoriser  mieux, le défi de la forêt

«Les propriétaires ont souvent une approche sentimentale de leur parcelle de bois. Il la voit plutôt comme un produit d'épargne que comme un produit d'investissement », résume Loïc Casset, coordinateur général de Sylv'Acctes(1). La problématique n'est pas nouvelle, la forêt privée est morcelée et appartient pour beaucoup à de petits propriétaires qui parfois négligent de l'exploiter et de la gérer pour la génération suivante. Au point que, si la forêt privée représente 50 % des surfaces de l'Hexagone, elle ne produit que 20 % des volumes de bois commercialisés.

Se regrouper pour gérer

Le principal frein à l'exploitation de la forêt privée est donc la modestie des parcelles. On estime généralement à 4 ha la surface minimum pour la valoriser économiquement. Chiffre théorique car selon l'essence concernée, la situation géographique et le tissu économique de la filière entourant la parcelle, de petites parcelles peuvent revêtir un intérêt économique. Néanmoins, le regroupement de propriétaires, qui peut-être ponctuel ; pour la réalisation de certains chantiers (coupe, éclaircie...) ; ou plus durable (association de copropriétaires, groupements forestiers, coopérative, etc.) apparaît souvent indispensable. Au-delà de la valorisation du bois sur pied, le taux de reboisement demeure relativement faible, et ce, malgré les aides financières incitatives (jusqu'à 70 %). Sans doute parce qu'il s'agit d'un investissement de très long terme et donc relativement incertain. « Et puis, aujourd'hui, les dégâts de gibier (chevreuils et cerfs principalement) alourdissent le coût. C'est un euro pour un plant et autant pour une protection contre le gibier », signale Loïc Casset.

Un site internet pour simplifier la forêt

Sur les territoires, de nombreuses initiatives sont prises pour inciter les propriétaires. Parmi celles-ci, la création d'un site internet dédié, la foretbouge.fr, « parce que nous pensions que les outils numériques pouvaient nous aider à lever certains freins », estime la directrice du CRPF Auvergne Rhône-Alpes, Anne-Laure Soleilhavoup, qui insiste sur « l'essentielle concertation entre l'intégralité des acteurs » qui a présidé à la construction de ce projet. Concrètement, ce site permet à un propriétaire de localiser et visualiser ses parcelles à l'aide de supports cartogra-
phiques, de décrire son peuplement et d'estimer ainsi la valeur de la parcelle. Il offre la possibilité de contacter les professionnels ; l'annuaire en ligne en regroupe une centaine ; qui pourraient faire des propositions de travaux. Il permet de mieux comprendre comment s'établit le prix des bois et même de passer une annonce pour vendre sa parcelle. « Depuis sa mise en place il y a un an, nous avons déjà eu 171 offres de vente », se félicite la directrice. Si certains étaient dubitatifs, eu égard à l'âge moyen des propriétaires forestiers - 70 ans - 500 d'entre eux ont déjà créé un compte sur le site !
Son utilité a été reconnue par le ministère de l'Agriculture et de la Forêt, qui a décidé de dupliquer ce modèle et d'en faire un site national « la forêt bouge » à horizon 2018. « La vente de parcelles à des acheteurs motivés va créer une dynamique qui va profiter à toute la filière », espère la directrice. Et de rappeler qu'Auvergne-Rhône-Alpes est la région avec le plus gros volume de bois sur pied, « une ressource qui ne demande qu'à créer de la valeur. »

Nouvelle charte pour les communes forestières

La forêt publique entend aussi entrer dans une phase de progrès. Les communes forestières ont signé l'an passé un contrat d'objectifs 2016-2020 qui prévoit une augmentation de 700 000 m3 de la récolte. « Il nous faut augmenter les volumes et notamment via des contrats entre un acheteur et l'ONF, qui garantissent un prix et un volume », estime son président, Dominique Jarlier. 
D. B.
(1) : Sylv'Acctes, association dédiée à l'accompagnement de l'investissement forestier durable et multifonctionnel, a été créée en septembre 2015 par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, la Métropole du Grand Lyon et la banque Neuflize.

 

Réchauffement climatique / Comment repenser les nouvelles plantations ?

La forêt n’échappe pas aux conséquences des évolutions climatiques. Quand bien même à court terme le réchauffement a un effet bénéfique : notamment par la dynamisation de la croissance de l’arbre, il est largement contrebalancé par l’impact négatif. « Trois facteurs viennent se cumuler pour menacer la forêt », rappelle Loïc Casset. « Les évolutions climatiques saisonnières (moins de gel, pluies mal réparties, sécheresses plus fréquentes) qui affaiblissent l’arbre ; les attaques de ravageurs d’autant plus dangereux que les arbres sont affaiblis (le scolyte sur l’épicéa, les pucerons sur les peupliers..) ; les phénomènes climatiques extrêmes : tempête, neige lourde ou canicule ». Des conséquences déjà visibles dans notre région avec « l’épicéa décimé et les risques d’incendie qui s’étendent vers le nord alors qu’ils ne concernaient jusqu’ici que l’extrême sud de la Drôme et de l’Ardèche. » Pour pallier ces risques, plusieurs acteurs de la filière parient sur la génétique en choisissant des essences plus adaptées ; le douglas de Californie plutôt que celui de Colombie Britannique ; d’autres travaillent sur le peuplement naturel ; le hêtre dans notre région mais sa valorisation économique est faible. Concrètement, l’association Sylv’Acctes distille trois conseils principaux aux candidats à la replantation : le mélange des essences pour ne pas parier sur une seule ; la diminution de la densité pour limiter la concurrence hydrique ; une plantation à plusieurs étages afin de mieux résister au vent. Un travail de longue haleine car, aujourd’hui, les replantations en « mono-spécifique » sont encore largement majoritaires. « Mais prévoir un modèle de sylviculture sur les 80 prochaines années, c’est compliqué », reconnaît humblement le spécialiste.                       D. B.

 

DÉBARDAGE / L’hélium plutôt que le kérosène

Jean-Charles Mogenet a pensé à une solution innovante de débardage  aérien par ballon filoguidé.
«En région de montagne, 50 % de la ressource est inaccessible et l’hélicoptère n’est plus utilisé que de façon très marginale. Or, économiquement, nous perdons tous car la demande des industriels est là. » L’hélium plutôt que le kérosène pour sortir le bois ? C’est ce qu’a imaginé Jean-Charles Mogenet, 48 ans, dirigeant de la SARL EchoForêt basée à Samoëns (Haute-Savoie), entreprise de travaux forestiers, l’une des quatre des Savoie à pratiquer le débardage par câble. Dès 2009, il a pensé à un nouveau système aérien de débardage par ballon filoguidé qui a donné naissance au projet Aérolifter.
Objectif : deux tonnes dans les airs !
Portée par un consortium de deux laboratoires (FCBA, l’institut national forêt cellulose bois ameublement qui a une antenne à Grenoble, et l’Onera) et trois entreprises (Airstar, Solution F et EchoForêt), cette solution innovante, compétitive, respectueuse de l’environnement a convaincu. La candidature en fonds interministériels dans l’aide aux projets a été acceptée en 2015 et ce projet de 4 millions d’euros, financé à 45 % essentiellement par la Région et les Départements, donnera naissance en 2019 à un prototype. L’objectif : lever 2 tonnes de bois sur 2 kilomètres à 10 m/s de moyenne en passant en aérien au-dessus de la forêt, sans ouvrir de ligne.
De la R & D à la réalité, le Haut-Savoyard est dans l’action. Aérolifter représente un investissement de 500 000 euros pour sa propre entreprise. « J’ai monté mon équipe de débardage par câble car, dans deux ans, il va falloir que j’aie du personnel sachant travailler sous le ballon ». Deux jeunes salariés, Maxime et Lucas, sont déjà à l’œuvre. Avec une rémunération confortée. À terme, ils devraient être quatre salariés avec leur patron. Très impliqué, Jean-Charles Mogenet copréside le Pôle excellence bois des Pays de Savoie et il est vice-président de l’Association des entreprises forestières des Savoie (ASDEFS) qui, en l’espace de trois ans, a déjà réuni 70 entreprises de l’amont de la filière (bûcherons et débardeurs, petits exploitants, acteurs du bois énergie, transporteurs) sur des missions majeures d’animation de la filière et de formation. « Le métier de bûcheron évolue, il faut s’adapter et mobiliser des acteurs ». Pour favoriser le développement du débardage par câble et les compétences métiers, « Formicâble » vient ainsi d’être mis en œuvre dans le cadre d’Interreg France-Suisse rapprochant la région Auvergne-Rhône-Alpes et la Suisse romande. 

Armelle Lacôte