Accès au contenu
RÉCOLTE

Fanage : pas de recette miracle mais la matière sèche en point de mire

Entre 2014 et 2018, diverses études ont été menées par Eva Jura* sur le fanage, avec une dizaine d'éleveurs du Grandvaux et du GVA de Nozeroy. La période est l'occasion de revenir sur les enseignements qui en ont été tirés.
Fanage : pas de recette miracle mais la matière sèche en point de mire

Le but des études menées par Eva Jura n'était pas d'écrire la formule magique du fanage pour obtenir le foin ultime mais de vérifier quelques hypothèses et voir si certaines pratiques étaient efficaces.
Analyses fourragères et enregistrement
Si les protocoles ont évolué durant les cinq campagnes d'essais fourragers, la ligne de conduite globale est restée la même : mesurer le gain de matière sèche et la perte de valeurs nutritives au cours de la phase de séchage (matières azotées totales, cellulose brute, unité fourragères lait...). Des prélèvements ont donc été opérés à différentes étapes du fanage et analysés dans la foulée. La première année, les mesures ont été réalisées lors de la fauche et de la récolte. Les années suivantes, des prélèvements ont été réalisés à chaque passage de matériel (faucheuse, pirouette, andaineur, récolte), afin d'analyser où se situaient les pertes et quelles pratiques les limitaient. Une dizaine de parcelles ont été suivies chaque année sur les trois dernières campagnes. Des études et analyses supplémentaires sont nécessaires pour solidifier ces premiers résultats.
La mise en andain du soir, espoir ?
En 2014, quatre éleveurs du canton de Nozeroy (second plateau jurassien) ont voulu tester la mise en andains de nuit. Il s'agit de mettre en andains le foin chaque soir, afin que la rosée ne vienne pas réhumidifier le foin étalé et ralentisse le séchage. Les limites de cette pratique semblaient résider dans le fait que le foin était beaucoup manipulé et que cela pouvait occasionner des pertes en feuilles et donc en valeurs nutritives. Chacun a choisi une parcelle de son tour de fauche et en a fait la moitié en méthode « sans andains de nuit » et l'autre « avec andains de nuit ». Les prélèvements ont été faits à la fauche et à la récolte. Il s'est avéré que, malgré des disparités entre élevage, la méthode « avec andains de nuit » permet bel et bien au foin de sécher plus vite, mais pas significativement (76,8 % de MS contre 75,3 % MS pour le « sans andains de nuit »). Cependant, des valeurs énergétiques quasi identiques (0,79 contre 0,80 UFL) et surtout une valeur MAT plus faible de 1 % sur la partie faite avec « andains de nuit » ont été notées ! L'hypothèse de la perte de feuilles par une trop forte mécanisation est donc permise. Néanmoins, lors de cette étude de juin 2014, il n'y avait pas de rosée car le temps était déjà aux fortes chaleurs. La « protection » contre la réhumidification n'a donc peut-être pas pu être vérifiée ?
Le nombre de coup de pirouettes, un miroir aux alouettes ?
C'est une hypothèse tenace chez certains mais plausible techniquement : plus on « brasse » son fourrage, en voulant le faire sécher plus vite, plus on peut occasionner des pertes notamment en feuilles. La compilation des données des cinq campagnes montre que le nombre d'interventions n'est que légèrement négatif sur les valeurs du fourrage récolté. Ce qui signifie qu'on n'obtient pas forcément un foin médiocre en le fanant 5 ou 6 fois mais que globalement on a plutôt intérêt à ne pas mettre de coups de pirouette inutiles, sous peine de donner un coup d'épée dans l'eau, voire pire... C'est l'expérience qu'a connu l'un des éleveurs. Adepte d'un troisième passage de pirouette, sa méthode a été soumise aux analyses et le verdict est sans appel : après le troisième coup de pirouette, il a gagné 3,3 % de MS (passant de 78,1 % à 81,4 %) mais a perdu 0,03 UFL/kg de MS (0,73 à 0,70 ; conséquent sur la réponse en lait) et 0,7 % de MAT ! Il a immédiatement supprimé un tour de fanage.
Vitesse de séchage
Plus le séchage est rapide, plus la plante garde sa valeur ! C'est l'enseignement majeur de ces études. Tant que la plante contient de l'eau, elle continue à vivre, et puise dans ses réserves, entraînant une baisse de valeur alimentaire. Bien sûr, il y a des exceptions à la règle mais, une fois toutes les données compilées, la vitesse de séchage est synonyme de moindre perte de valeurs nutritives. Pour exemple, l'éleveur ayant le moins de pertes obtient un séchage de son fourrage en une trentaine d'heures. Mais au-delà de ce délai réduit, c'est l'autre extrême de l'échelle de temps qui est intéressante : on note qu'au-delà de 60 heures (2,5 jours) après la fauche, on a une nette perte de valeur fourragère dans 66 % des cas !
Avoir un séchage en grange pour s'en servir ?
Le séchage en grange procure un net avantage lorsqu'on lui fait confiance car il permet de rentrer un fourrage à 70 voire 60 % de MS quand on a besoin qu'il atteigne 80 % en séchage au sol en balles rondes. La confiance dans son installation de séchage en grange, c'est la question que s'est posée une participante lorsqu'elle a découvert le taux de MS auquel elle récoltait son fourrage en 2016 : 89,9 % !
« A quoi ça sert d'avoir un séchage en grange pour récolter à 90 % de MS ? » s'est-elle interrogée. Depuis, cet élevage ne cesse de tenter de récolter de plus en plus tôt pour laisser faire le travail à leur outil de séchage en grange. Triple gain à la clé : valeurs fourragères, rentabilisation de l'installation et temps de travail lors des chantiers de fanage. On comprend que l'appréciation de ce fameux taux de matière sèche est un élément crucial dans la réussite de son foin.
La fertilisation, un risque à prendre ?
Les résultats qui vont suivre sont à prendre avec des pincettes car ils reposent sur un petit nombre de données mais ils posent le débat. Les pratiques de fertilisation de certaines parcelles suivies dans l'étude fanage de 2017 ont été enregistrées. Il se trouve que plus les parcelles reçoivent de l'azote, moins la valeur UFL est élevée. Concrètement, on passe de 0,81 UFL pour 30 unités d'azote (UN) à 0,68 UFL pour 70 UN. L'hypothèse est qu'une prairie recevant beaucoup d'azote risque de dépasser plus rapidement le stade optimal de récolte. Le rapport tige sur feuilles va très vite augmenter et les fourrages vont vite perdre de la valeur. L'objectif recherché quand on apporte de l'azote est d'avoir du rendement mais attention au risque de la valeur du futur fourrage, notamment lors d'années pluvieuses. Raisonner ses apports selon la précocité et le potentiel de ses parcelles est une manière de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Les sucres solubles : l'hypothèse suisse vérifiée
Depuis quelques années, le laboratoire d'analyses Cesar propose la recherche des sucres solubles, synonyme d'appétence et surtout de valeurs énergétiques élevées. En 2017, les heures de fauche enregistrées allaient de 9 h 30 à 19 h. Ces heures ont été comparées aux taux de sucres de l'échantillon prélevé juste après la fauche et les résultats sont conformes à ceux de la recherche suisse ! Les échantillons du matin ont une moyenne de 105 g de sucres solubles par kg de MS contre 132 g dans les échantillons de l'après-midi. Les chercheurs suisses expliquent que les sucres montent dans la plante au cours de la journée et sont consommés la nuit.
Et demain ?
L'analyse du taux de MS en direct et l'appréciation « à l'œil » reste incontestablement le défi pour la maîtrise de ce moment crucial de la récolte, que l'on soit en séchage au sol ou en grange. Le contexte 2020 a empêché des tests avec différents appareils de mesure de matière sèche mais ceci n'est que partie remise pour 2021. Le type de matériel utilisé est une question qui revient souvent : conditionnement ? Allure ? Vitesse de rotation ? Des réflexions sont en cours pour les années à venir sur ce thème. La fertilisation méritera aussi une expertise approfondie pour trouver le juste équilibre entre quantité et valeur. Il sera également important de pouvoir émettre des recommandations en fonction du type de prairies, du stade de fauche...
Vincent Mamet, animateur technique, et Florian Anselme, responsable R&D à Eva Jura
* Eva Jura est une coopérative agricole (fusion entre Jura Bétail et Jura Conseil élevage) spécialisée dans le conseil, le contrôle et la diffusion de la race bovine montbéliarde.

 

STOCKAGE / Les foins récoltés humides sont particulièrement sensibles à l’échauffement durant la phase de conservation… Risque d’incendie à la clé, c’est connu, mais aussi de diminution de leur valeur alimentaire.

Gare aux fermentations du foin

Une teneur en matière sèche insuffisante lors du pressage reste la principale cause d’échauffement des foins, mais d’au-
tres facteurs entrent en jeu. Même sans aller jusqu’à l’incendie, cet échauffement est préjudiciable car il diminue la valeur du fourrage. Voici quelques repères pour comprendre les processus en jeu, déceler les situations à risque et adopter les bons réflexes en cas de doute. Au champ, l’appréciation visuelle et le toucher du fourrage permettent d’estimer de manière plus ou moins précise sa teneur en MS mais requiert de l’expérience. Un fourrage prairial à 82-84 % MS se caractérise en premier lieu par des feuilles cassantes et des tiges sèches. Au toucher, aucune sensation d’humidité ne doit être ressentie, sur le dessus, à l’intérieur et au-dessous de l’andain en contact avec le sol. Sur les tiges, les nœuds ne doivent plus comporter de zones de couleur « vert chlorophylle », signe de la présence résiduelle d’eau. A ces endroits, les composés solubles (sucres notamment) s’y concentrent et retiennent l’eau par des forces hygroscopiques.
Outre cette estimation sensorielle, des sondes permettent de mesurer l’humidité des fourrages. Mais elles s’utilisent sur un fourrage compacté et impliquent qu’il soit déjà pressé pour disposer de l’information. Enfin, l’hétérogénéité du séchage dans la parcelle, en lien avec le type de sol et les zones de bordures ombragées, complexifie l’appréciation de la teneur en MS du fourrage en tout point de la parcelle. Et bien évidemment, les conditions météorologiques réelles ne sont pas toujours celles prévues lors de la fauche.
Récolter au bon moment
L’ensemble de ces éléments peut alors conduire à réaliser le pressage d’un foin insuffisamment sec. Les cellules de la plante qui ne sont alors pas complètement déshydratées ont un métabolisme ralenti mais toujours actif. Par ailleurs, l’eau résiduelle favorise également l’activité métabolique des levures et des moisissures naturellement présentes sur le fourrage. L’échauffement peut apparaître très rapidement après le pressage, en quelques heures. Dans cette situation, le phénomène est dû à l’activité des cellules de la plante encore vivantes. Après quelques jours (3 à 10), les cellules de la plante ne sont plus actives. Mais les micro-organismes (levures et moisissures) ont pu se développer et se multiplier : leur activité métabolique intense peut être à l’origine d’échauffement, qui peut durer de quelques jours à quelques dizaines de jours. Un échauffement traduit une perte d’énergie sous forme de chaleur, c’est-à-dire que le fourrage perd de sa valeur énergétique. D’un autre côté, l’élévation de température au-delà de 40°C provoque la réaction de Maillard : les protéines se lient aux fibres et deviennent de moins en moins digestibles. Le préjudice sur les valeurs énergétique et protéique du foin dépend de la température maximale atteinte et, dans une moindre mesure, de la durée de l’échauffement. Après échauffement, les résultats d’analyse de fourrage s’interprètent avec précaution.
La baisse de digestibilité des protéines ne sera pas perçue par les analyses classiques. La protéine est bien présente dans le fourrage mais sa digestibilité est inférieure à celle indiquée sur le bulletin. Malgré une excellente appétence lorsque ces foins sont exempts de moisissures, il importe de tenir compte de la plus faible valeur énergétique et protéique des foins « caramélisés » dans le rationnement. 
Anthony Uijttewaal (Arvalis - Institut du végétal)