Fertilisation azotée des céréales : assurer rendement et qualité

Pour toutes les céréales, la qualité est importante et dépend en grande partie de la teneur en protéines. En blé dur, l'objectif est d'atteindre 14 % de protéines pour limiter le mitadinage et produire des pâtes d'une ténacité suffisante. En blé de force, l'objectif est d'atteindre également un taux de protéines de 14 % afin de proposer des farines de haute qualité boulangère. En blé tendre, la teneur en protéines est à maximiser avec, a minima, une teneur autour de 11,5 %. En orge fourragère, la teneur en protéines n'est pas un critère discriminant mais il est à regarder car important en alimentation animale. Au final, la conduite de la fertilisation azotée est essentielle pour atteindre ces objectifs : choix de la dose, du mode de fractionnement et de la forme.
La gestion de la fertilisation se réalise en trois étapes indissociables. Ne réaliser qu'une seule de ces étapes ne permet pas d'optimiser correctement les résultats rendement et protéines des céréales.
La première étape consiste à calculer les besoins moyens de la culture en fonction de la variété et de la parcelle : la dose X est calculée a priori. La deuxième étape consiste à fractionner les apports pour répondre aux besoins évolutifs des céréales, et ainsi maximiser le rendement en ajustant la teneur en protéines. Et enfin, la troisième étape consiste à piloter les apports azotés pour valoriser au mieux les apports et s'adapter aux conditions de l'année.
Étape 1 : calculer une dose prévisionnelle adaptée à la variété
Le calcul de la dose prévisionnelle se réalise grâce à la méthode de calcul adapté à la région. Ce calcul est identique pour toutes les céréales, la seule différence réside dans les besoins unitaires - valeur « b » : besoin en azote pour produire 1 quintal de céréale.
En blé tendre, les besoins moyens sont de l'ordre de 3 unités par quintal mais il existe des différences entre variétés.
Le blé dur et le blé améliorant ont des besoins en azote supérieurs à ceux du blé tendre. Ainsi, avec un potentiel de rendement plus faible, il nécessite une dose totale d'azote souvent égale à celle du blé tendre et parfois plus élevée. La méthode de calcul de la dose prévisionnelle est similaire à celle utilisée pour le blé tendre mais avec des besoins par quintal spécifiques appelés « bq » qui intègrent l'absorption nécessaire à la qualité. Les variétés n'ayant pas la même capacité à produire des protéines, il est indispensable d'en tenir compte pour prévoir le niveau de fertilisation. Les variétés de blé dur et de blé améliorant les plus productives ont, en tendance, des besoins en azote plus élevés car des teneurs en protéines plus faibles. Elles nécessitent donc une dose totale supérieure qui se traduira surtout par un apport au stade « sortie dernière feuille » plus conséquent. C'est cet apport qui joue le plus sur la qualité. Chaque année, les besoins en azote par quintal adaptés à chaque variété ainsi que la dose à reporter fin montaison (mise en réserve) sont évalués et les résultats sont publiés pour permettre d'adapter les doses totales prévisionnelles au plus juste. Les tableaux actualisés sont disponibles sur le site : https://urlz.fr/c5JP.
Étape 2 : fractionner les apports pour répondre aux besoins évolutifs des céréales
Les céréales à paille ont des besoins variables au cours de leur cycle. Les besoins sont modestes au moment du tallage, deviennent très importants à partir du stade épi 1 cm et redeviennent moins importants à partir de l'épiaison. Le fractionnement en 3 ou 4 apports permet de satisfaire ces besoins de façon plus performante. Il faut cependant faire attention à la répartition des quantités d'azote au cours du cycle. Le premier apport au stade tallage doit être modéré : la plante n'a pas des besoins azotés importants. L'apport réalisé à ce stade a pour but de couvrir les besoins de la plante pour arriver au stade épi 1 cm sans subir de carence.
Pour rappel :
• Au stade épi 1 cm la céréale a capté entre 40 et 60 unités (kg N/ha) depuis le semis. Il n'est donc pas nécessaire d'amener davantage au moment du tallage, d'autant plus que le coefficient apparent d'utilisation de l'engrais (CAU : quantité d'azote apportée sur quantité d'azote absorbée) est relativement faible à ce stade. La plupart des sols fournissant toujours un minimum d'azote à la plante pendant l'automne, 40 unités au moment du tallage semblent être un maximum.
• Les CAU au moment du tallage sont relativement bas comparés aux CAU plus tardifs. Ainsi, appliquer de forte dose au tallage, c'est appliquer de l'azote qui ne sera pas absorbé. À dose totale équivalente, cela limite finalement les doses d'azote dans les stades plus tardifs, ce qui a pour effet de limiter l'effet protéines.
• Le tallage est piloté par la température. Ainsi, s'il n'y a pas de carence très précoce (comme cela peut être le cas dans certains sols superficiels où en blé de blé), les fortes doses d'azote au moment du tallage n'ont aucun effet sur le nombre de talles mis en place. Cela permet de rendre compétitives des talles secondaires non nécessaires au rendement. En effet, ces talles secondaires finissent par régresser, surtout si l'optimum de nombre de talles est dépassé. Au final, en mobilisant de l'azote, ces talles secondaires, privent les épis futurs d'une quantité d'azote essentielle pour la teneur en protéines.
• Au-delà de la nutrition azotée, un apport courant tallage trop élevé, ou s'il s'additionne à de forts reliquats sortie hiver, peut avoir des effets négatifs sur la culture : augmentation du risque de verse, de certaines maladies (racines et feuilles) et augmentation de la sensibilité à la sécheresse en fin de cycle. En définitive, les besoins d'azote au tallage sont limités et les fortes quantités d'azote appliquées à ce stade n'ont pas d'effet positif sur le rendement et la protéine. Par conséquent, 40 unités au moment du tallage sont suffisantes. Dans certains cas, l'apport au tallage peut être fortement réduit, voire faire l'impasse, sans que cela n'entraîne de perte de rendement. Le report des unités prévues au stade tallage vers la fin de cycle favorisera, au contraire, la teneur en protéines des blés de qualité. Cette impasse ne peut être réalisée que si : le sol est profond ; le reliquat d'azote « sortie hiver » de l'horizon 0-60 cm est au moins égal à 60 kg/ha ; la structure du sol est favorable et les racines sont correctement développées.
Prévoir un report d'azote au stade « sortie dernière feuille »
Plus l'azote est apporté tardivement, mieux il est absorbé par la plante et plus il jouera sur la teneur en protéines. En moyenne, un report de 40 unités d'azote au stade dernière feuille étalée permet une augmentation de 0,5 % de teneur en protéines. Les variétés qui présentent les plus faibles teneurs en protéines nécessitent un report d'azote fin montaison supérieure. Le tableau qui présente les quantités minimales d'azote à reporter au stade « sortie dernière feuille » est à retrouver à l'adresse : https://urlz.fr/c5JP. Ces mises en réserves peuvent être supérieures, notamment dans le cas de fortes doses totales ou dans des situations (sol, précédents) à faibles fournitures d'azote. L'azote apporté au stade dernière feuille étalée n'est pas moins efficace sur le rendement que l'azote qui est apporté début montaison. Lorsque le report est supérieur ou égal à 60 unités, il peut être fractionné en deux. Dans ce cas, le dernier apport est spécifique de la qualité et sera efficace jusqu'au stade épiaison.
Tenir compte de la forme de l'azote utilisé
Toutes les formes d'azote n'ont pas la même efficacité, en particulier sur la teneur en protéines. Les formes ammonitrate ou urées + additif (NBPT) sont les plus efficaces et sont à privilégier pour les apports tardifs. La forme urée donne également de bons résultats.
La solution azotée est moins performante avec des teneurs en protéines significativement plus faibles ; y compris en adaptant la dose (majoration 10 à 15 % selon le type de sol). De plus, elle peut entraîner des brûlures et doit être utilisée avec prudence à ce stade. L'idéal est de l'appliquer juste avant un épisode pluvieux. L'écart d'efficacité entre forme est d'autant plus élevé que les conditions d'absorption de l'azote sont mauvaises (sécheresse, enracinement déficient). Quant aux engrais azotés foliaires, les produits testés n'ont pas présenté d'intérêt technico-économique dans les expérimentations conduites par Arvalis-institut du végétal, voire un effet négatif sur la protéine, y compris en conditions sèches.
Étape 3 : maximiser la valorisation des apports
Si la stratégie des trois ou quatre apports est gagnante, c'est surtout les stades des apports et la valorisation de l'azote par la plante qui vont jouer une année donnée sur les rendements et les protéines. Le meilleur positionnent en stade mais de mauvaise valorisation aura des résultats décevants, comme les meilleures valorisations mais aux mauvais stades. Autrement dit, il y a un fractionnement idéal à adapter selon les conditions climatiques de l'année. C'est en réalité un compromis entre : le fractionnement aux stades idéaux : tallage, épi 1 cm, dernière feuille pointante à gonflement et la valorisation de l'azote : meilleur coefficient apparent d'utilisation (CAU : quantité d'azote apportée sur quantité d'azote absorbée) : meilleur coefficient observé s'il y a 15 mm de pluie dans les 15 jours suivant l'apport et que le temps est poussant.
On peut ainsi définir trois stratégies selon les 3 ou 4 apports :
- L'apport autour du tallage est parfois compliqué en termes de valorisation, car en tendance, il existe peu de créneau pour valoriser cet apport (quelques créneaux selon la région entre le 15 et 31 janvier puis entre le 20 et fin février). Il est donc nécessaire de suivre la climatologie de l'année en cours afin de positionner l'apport au stade tallage au plus près d'une pluie. Le deuxième paramètre à suivre est la croissance des plantes.
En effet, si la plante n'est pas en croissance, le CAU est mauvais (autour de 50 % : autrement dit, sortie hiver, une plante peu poussante ne capte que la moitié de l'azote qu'on lui apporte). Pour cet apport, il est donc nécessaire d'attendre un temps poussant et d'appliquer l'azote au moment de prévision météorologique pluvieuse.
- L'apport autour du stade épi 1cm est le plus délicat à positionner car en moyenne, entre le 1er et le 15 mars, les pluviométries sont rares. A ce stade, la culture est en pleine croissance et ses besoins azotés sont importants. Ainsi pour maximiser la valorisation de cet apport, il est judicieux de fractionner l'apport épi 1cm en deux, pour encadrer le stade. La deuxième partie de ce fractionnement pourra se positionner après le 15 mars pour bénéficier des pluies en tendance plus probables, sauf si des pluies sont annoncées plus précocement.
- Le troisième apport est l'apport le mieux valorisé (le CAU peut se rapprocher de 100 %) à condition qu'il soit réalisé après le 15 avril qui correspond en moyenne au stade dernière feuille pointante. Ainsi, pour valoriser l'effet rendement et protéine, il y a peu de risque, au niveau valorisation climatique, à attendre le stade dernière feuille étalée.
Thibaut Ray, Arvalis-institut du végétal
A consulter les exemples de fractionnement et les outils de pilotage