Fièvre catarrhale ovine, l’effroyable hécatombe
Touchés par la fièvre catarrhale ovine (FCO) depuis le mois d’août, les éleveurs ovins et bovins du département voient leur exploitation fortement impactée, tant d’un point de vue humain que d’un point de vue financier. Témoignages.

Thierry Arnaud, éleveur ovin (Saint-Agnan-en-Vercors)
« 300 bêtes malades, 120 mortes »
« Tout a commencé début août… C’est en ayant nos premiers cas au sein de notre troupeau et en interrogeant notre vétérinaire que nous avons appris la présence de la fièvre catarrhale en Isère », explique Thierry Arnaud, éleveur ovin depuis 1986, co-gérant du Gaec de la Luire avec ses fils Grégory et Sébastien. Tous les trois sont à la tête d’un troupeau de 700 brebis. « La maladie déclarée, les responsables sanitaires nous ont dit qu’il était trop tard pour la vaccination. Ce n’est que vers le 20 août qu’ils nous ont dit de vacciner pour protéger la partie du troupeau qui n’était pas atteinte… On a donc perdu près de trois semaines ! Au final, nous avons eu près de 300 bêtes malades, et 120 sont mortes », poursuit-il. La famille d’éleveurs regrette avant toute chose le manque d’anticipation. « Tout le monde savait que la FCO était en Isère… Nous aurions pu vacciner en juillet pour éviter la moitié de cette mortalité… ». Dès le début de l’épidémie, ils ont eu le réflexe de rentrer les béliers en bergerie. S’ils n’en ont pas perdu un seul, ils aimeraient toutefois leur faire réaliser des tests de fertilité.
En parallèle de l’atelier ovin, la famille Arnaud dispose d’un troupeau de 20 vaches allaitantes et de 240 chèvres laitières. « Les vaches ont toutes été contaminées, et quelques chèvres malades sans réel impact ». Dans ce contexte, Thierry Arnaud estime sa perte à près de 60 000 € (soins, bêtes à renouveler, manque à gagner sur les agneaux...), hors vaccins. « Cela met à mal la trésorerie de l’exploitation. Heureusement que nous avons l’atelier caprin…. Sans les chèvres, on aurait beaucoup de mal à se remettre financièrement de cet épisode ». Si les conséquences financières seront dramatiques sur les trois prochaines années, ils font face à de nombreuses incertitudes et la peur de voir arriver de nouveaux variants : « Les années à venir ne laissent pas présager un avenir serein », alerte Thierry Arnaud. Avant de conclure : « Nous n’allons pas prendre de risque et vacciner à nouveau notre troupeau dès le mois de mars, contre les sérotypes 3 et 8. Cela nous coûtera toujours moins cher que de perdre encore des brebis… ».
Olivier Roux, éleveur ovin (Recoubeau-Jansac)
« La boule au ventre chaque matin »
Installé depuis 1996 sur l’exploitation familiale à Recoubeau-Jansac, Olivier Roux a créé cette année le Gaec La Ferme du Château avec son fils, Timoté. Ils gèrent un troupeau de 280 brebis de race Préalpes non lainées, en agriculture biologique, et disposent de 140 ha de terres (dont 50 labourables), avec des ateliers céréales, noix et lavande. Comme de nombreux éleveurs, leur cheptel a été touché par la FCO. « Nous avons découvert nos premières brebis malades le 20 août. Nous avons commencé par les soigner avec des anti-inflammatoires et des antibiotiques. Trois jours plus tard, elles étaient mortes… À partir du 5 septembre, nous avons rentré l’ensemble du troupeau mais nous en avons quand même perdu 80 à une vitesse incroyable ! », déplore Olivier Roux. Après analyses, la FCO-8 est détectée. La vétérinaire conseille alors à l’éleveur de procéder à la vaccination : « À cette période, il n’y avait pas de vaccins disponibles pour le sérotype 8… La vétérinaire m’a appelé mi-novembre pour me dire que les doses étaient enfin arrivées ! Mi-octobre, j’ai vacciné contre la FCO-3 seulement les brebis qui étaient vides sur conseil de la vétérinaire, pour éviter les effets secondaires. » Malgré tout, l’épizootie a fait des dégâts. Au-delà des 80 bêtes mortes, l’éleveur a dû faire face à une vague d’avortements. « D’ordinaire, à l’automne, j’ai 150 agneaux. Au printemps prochain, j’en aurai 100 de moins à la vente… Le manque à gagner sera énorme. » À cela s’ajouteront les achats d’agnelles de renouvellement, dont les prix sont annoncés à la hausse... « J’ai encore quatre ou cinq brebis faibles, qui sont condamnées à mourir… Au printemps, je vais vacciner l’ensemble du troupeau. Nous ne sommes pas éleveurs pour appeler l’équarrissage et voir nos brebis mortes étalées à côté de la bergerie. Nous avons la boule au ventre chaque matin en allant à la bergerie. C’est très difficile… mais il ne faut pas baisser les bras. »
Olivier Roux, éleveur ovin (Recoubeau-Jansac) ©OR
Alain Maréchal, éleveur bovin (La Chapelle-en-Vercors)
« Une baisse de production de 20 à 25 % »
Co-gérant du Gaec des Freydières avec son frère, Alain Maréchal élève un troupeau de 55 vaches laitières sur 110 hectares. La FCO est arrivée courant août à La Chapelle-en-Vercors. « Au début, nous ne savions pas ce que c’était. Il faisait chaud - mais pas caniculaire - et pourtant les vaches étaient essoufflées, elles ne voulaient plus rentrer ni sortir. Puis tout le monde a commencé à parler de la FCO et nous avons compris… Après, il y a pas mal de troupeaux de moutons par ici autour l’été. Est-ce que c’est arrivé comme ça dans nos montagnes ? On ne saura pas », se questionne l’éleveur.
Les deux frères n’ont perdu « que » deux vaches et un veau alors que l’ensemble du troupeau a été contaminé. Cependant, « les plus gros dégâts se ressentent sur la production de lait », décrit Alain Maréchal. « On estime une baisse de production de 20 à 25 %, et la qualité du lait est elle-même impactée, avec une montée en cellules importante. Les mamelles ont été bien abîmées, avec des croûtes qui se formaient sur les trayons… », poursuit-il. L’éleveur a également dû faire face à deux avortements. « Nous ne savons pas vraiment ce que le prochain vêlage nous réserve… », s’inquiète Alain Maréchal.
Si le duo d’éleveurs a vacciné son troupeau contre la FCO-3, les analyses ont finalement déterminé le sérotype 8 sur les bêtes touchées. « Nous allons vacciner à nouveau au printemps avant de sortir les bêtes en extérieur, contre la FCO-3, la FCO-8 et la MHE. Nous avons tellement perdu cette année qu’on ne peut pas se permettre de revivre cela à nouveau ». En comparaison avec une année dite « normale », le Gaec des Freydières a perdu près de 20 000 € (FCO et qualité médiocre des fourrages, ndlr). « Je suis installé depuis 1987, mon frère depuis 1998. Heureusement, nos gros emprunts sont terminés. Mais cela n’empêche pas de mettre à mal notre trésorerie. Il ne faut pas que cela recommence trop souvent. C’est une année vraiment terrible. Le moral en prend forcément un coup », conclut Alain Maréchal.
Alain Maréchal et son frère en charge du Gaec des Freydières. ©AM
Éric Juven, éleveur bovin (Geyssans)
« Nous avons perdu beaucoup, et ce n’est pas fini »
Agriculteur depuis 42 ans, installé sur une superficie de 220 hectares, Éric Juven élève aujourd’hui 70 vaches laitières, 30 vaches allaitantes et dispose d’un atelier de poules pondeuses sur la commune de Geyssans, en Gaec avec ses deux fils. Eux aussi ont été touchés par la FCO, et ce, dès la fin juillet. Ils ont perdu une dizaine de vaches, tous symptômes confondus. « Mon fils était de garde un week-end, il a vu des bêtes baver, une autre morte après la traite… Personne ne nous avait alerté que la FCO était là, même si on se doutait qu’elle allait arriver », affirme-t-il. La maladie a entrainé immédiatement une grosse perte de production. « Au mois d’août, nous avons perdu 500 litres de lait par jour. Aujourd’hui, nous enregistrons toujours une perte de 250 l par jour. Les vaches ont du mal à récupérer, certaines boitent encore… » En parallèle, l’éleveur observe un problème de fécondité dans son troupeau. « 50 % de nos bêtes qui devraient être pleines ne le sont pas. Cela se rajoute à la perte de nos bêtes. Si on ne peut pas encore les chiffrer, cela représente des dizaines de milliers d’euros. Nous avons perdu beaucoup, et ce n’est pas fini… ».
Éric Juven se dit avoir été très en colère du manque d’informations transmises. « Je reproche que nos services vétérinaires ne nous aient pas du tout alertés, alors que nous les avions fortement questionnés au printemps par l’intermédiaire de nos vétérinaires ». Désormais, « c’est le sérotype 3 et la MHE qui nous inquiètent. Nous allons essayer de vacciner dans l’hiver, avant de sortir les bêtes. Le souci sera de vacciner pour le bon sérotype… ». À 62 ans, Éric Juven s’estime « blindé » par les différents aléas, mais pense à ses fils comme aux jeunes installés : « L’ambiance est morose dans les campagnes, dans le monde agricole… il faut s’attendre à un gros effondrement au niveau des exploitations », conclut-il.