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Productions végétales

Fin des néonicotinoïdes : le long chemin de la lutte intégrée

Comment, depuis le retrait des néonicotinoïdes en septembre 2018, peut-on venir à bout de pucerons en utilisant leurs prédateurs ? Cette question est au cœur du projet Reguleg (2018-2020), porté par le CTIFL et soutenu par l'Agence française de la biodiversité (AFB). Ce projet a été présenté le 17 janvier au Sival1. L'affaire n'est pas simple.
Fin des néonicotinoïdes : le long chemin de la lutte intégrée

Alors que jusqu'en septembre dernier, les néonicotinoïdes constituaient la base des stratégies de protection anti-insectes, lutter contre les pucerons de l'aubergine en s'alliant avec leurs prédateurs est une alternative habile, mais elle est plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. En effet, pour proliférer, les prédateurs du puceron de l'aubergine doivent avoir beaucoup de pucerons à manger... Les courbes, projetées par Sébastien Picault, ingénieur de recherche et d'expérimentation au CTIFL (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes), le montrent : quand les populations du puceron de l'aubergine augmentent, peu de temps après les populations de ses prédateurs se mettent à croître elles aussi, parce que bien nourries. Les prédateurs finissent par éliminer le puceron de l'aubergine, mais ce phénomène n'intervient qu'une fois que les dégâts ont été occasionnés sur les plantes... L'idée du projet Reguleg est d'accroître les populations de prédateurs bien avant l'arrivée du puceron sur l'aubergine : pour cela on donne des pucerons du blé en pâture aux prédateurs.
Ces pucerons s'installent en effet sur le blé très tôt (voir encadré) et sont inoffensifs pour l'aubergine. On les laisse proliférer pour que leurs populations augmentent. Celles des prédateurs augmentent elles aussi peu après et sont alors suffisamment développées et actives au moment où les premiers pucerons de l'aubergine commencent à arriver.

Sébastien Picault, ingénieur de recherche et d’expérimentation au CTIFL.

Des températures trop basses peuvent paralyser la lutte biologique

« En théorie, cette stratégie est intéressante. Mais son efficacité dépend des conditions dans lesquelles elle est mise en œuvre, et en particulier des températures », a prévenu Sébastien Picault. En effet, il faut 16 degrés pour que les prédateurs se développent, alors que 12 degrés suffisent à engendrer la prolifération du puceron de l'aubergine. D'où l'utilisation, dans les prochaines expérimentations, de voiles de forçage pour élever la température. « Je ne sais pas si ça va marcher », a commenté Sébastien Picault. Les premiers résultats du projet Reguleg seront publiés en 2019, notamment lors de la visite d'essais qui sera organisée le 6 juin par le centre CTIFL de Carquefou. Le projet Reguleg a commencé en 2018 et s'arrêtera en 2020. Mené par le CTIFL, il est soutenu financièrement par l'Agence française pour la biodiversité (liée au ministère de la Transition écologique), par le Casdar (Compte d'affectation spécial pour le développement agricole et rural) et l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). 
M. N.
(1) Sival : Salon des techniques des productions végétales autres que les grandes cultures (maraîchage, arboriculture, viticulture, horticulture).

 

Plantes ressources et plantes de service 
Dans son intervention, Sébastien Picault a utilisé souvent les termes « plantes ressources et plantes de service ». Il a aussi employé le terme « plantes banques ». Les plantes ressources sont les plantes comestibles, qui servent à la consommation en alimentation (humaine ou animale) ou en chimie ou énergie. Les plantes de service sont des plantes qui rendent des services en dehors de leur fonction de ressource. Elles regroupent les « plantes banques », aussi appelées « plantes relais », qui servent à attirer les ennemis des cultures, et les plantes répulsives, qui font fuir les ravageurs (insectes, nématodes, rongeurs). Certaines plantes répulsives ont des actions antifongiques, comme l’ortie, la lavande, le thym. 

 

Maraîchage / Au Sival, un programme de suivi de bio-indicateurs pour l’augmentation de la biodiversité des sols maraîchers, intitulé Biodiv’sol, et mené par le CTIFL, a par ailleurs été présenté.

Un suivi de bio-indicateurs pour augmenter la biodiversité des sols

«Il est primordial de prendre en compte l’impact des productions agricoles sur la biodiversité des sols et sur leur fonctionnement biologique », comme la fertilité et la régulation des bioagresseurs, a indiqué Charlotte Berthelot, responsable d’unité au CTIFL. Son constat est le suivant : il existe peu de moyens pour juger de l’impact des techniques culturales sur la biodiversité du sol, et il est nécessaire de développer des outils « universels » et « comparables » pour juger de la santé des sols dans différents contextes pédoclimatiques. Autant les indicateurs physico-chimiques (teneur en carbone, phosphore, calcaire, matière organique, fer, cuivre, etc.) sont très utilisés, autant les bio-indicateurs (vers de terre, champignons symbiotiques) ne sont pas assez utilisés, a-t-elle noté. Un des objectifs du programme Biodiv’sol sera d’évaluer l’impact de pratiques culturales sur la biodiversité et l’état sanitaire et structural des sols, et au final d’initier un référentiel de données, utilisables en cultures maraîchères. Ce référentiel devrait permettre d’établir une classification des sols : dégradés, moyens, bons. Les bio-indicateurs sélectionnés devront être connus scientifiquement, et présenter des qualités de mesure « précises, fiables et robustes », ainsi qu’être « faciles à utiliser et peu chers ». « Le sol est un vivier de ressources, 25 % de la biodiversité mondiale sont sous nos pieds », a fait remarquer Charlotte Berthelot. Déjà, le programme Gedubat (gestion durable des bioagresseurs telluriques dans les systèmes maraîchers sous abris) a montré qu’après six ans d’expérimentations, la diversification des cultures couplée à l’absence de désinfection des sols, a permis de stimuler la quantité de champignons et de bactéries présentes dans les sols par rapport à la méthode conventionnelle. Les rendements « sont satisfaisants pour l’ensemble des cultures, plus particulièrement » pour le radis d’automne, qui sont augmentés.  
M. N.