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Culture du cacao

Forte poussée de fève au Nicaragua

Longtemps tombée en désuétude, la culture du cacao connaît un regain de
production spectaculaire au Nicaragua. Pas forcément compétitives sur le grand marché mondial,
les coopératives de petits producteurs visent un marché de niche de cacao fin, mieux valorisé.
Forte poussée de fève au Nicaragua

Les bâtiments de l'exploitation Menier sont toujours debout à Nandaime, petit village du sud du Nicaragua, entre océan Pacifique et grand lac. Le célèbre chocolatier français avait investi dans les années 1860 dans une vaste plantation de cacao. Si la vallée conserve son nom, l'aventure a tourné court, la faute à un contexte politique et économique trop instable. On dit aussi que le Banania aurait été inventé ici quand un journaliste français aurait rapporté la recette d'une boisson locale, mélange de banane et de cacao. Pourtant, malgré ce passé prestigieux, cela fait bien longtemps que le Nicaragua a disparu de la carte des grands producteurs de cacao.

Une plantation de cacaoyer compte 600 à 700 arbres par manzana 
(0,7 hectare). Les cabosses sont récoltées principalement en décembre-janvier et avril-juin.

Les bienfaits... du réchauffement climatique

Mais depuis une dizaine d'années, le cacao a repris son développement.
« Le phénomène s'accélère depuis trois ou quatre ans », constate Laurent Dietsch, responsable Amérique centrale pour l'ONG lyonnaise AVSF (Agronomes et vétérinaires sans frontières) qui appuie trois coopératives dans le nord du pays. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la production nationale est passée de 500 t en 2004 à près de 5 000 en 2014. Ce développement repose à la fois sur une volonté gouvernementale, un cours mondial favorable et sur le changement climatique. « Plus la température s'élève, plus la zone de culture de café se réduit aux territoires d'altitude, laissant le champ libre au cacao », explique Laurent Dietsch. Mais, pour profiter de ce rebond, la production doit encore s'organiser. Les ONG pointent du doigt le manque de compétences techniques et d'organisation commerciale. La création d'une Chambre nationale de producteurs de cacao est notamment à l'étude. Elle permettrait aux paysans de pouvoir mieux négocier avec les autres acteurs de la filière.

Un œil sur la bourse de New York

Si les deux tiers du cacao nicaraguayen sont exportés, le marché local n'est sûrement pas à négliger. Les locaux consomment le cacao, non fermenté, dans des boissons tel le pino pillo. Ainsi, au moment de la semaine de Pâques, temps fort de consommation, le prix grimpe jusqu'à 7 $/kg sous l'effet de la demande. L'accès au marché d'exportation est actuellement assuré, un quasi-monopole, par l'entreprise allemande Ritter Sport, très attachée au Nicaragua pour des raisons affectives. « Elle paye au-dessus du prix du marché mondial dont la référence est la bourse de New York qui affiche actuellement 2 800$ la tonne », remarque Laurent Dietsch. Une nécessité car le cours mondial ne suffirait pas à couvrir les coûts de production, plus élevés ici que chez les concurrents, africains notamment. Mais le cacao acheté par Ritter est mélangé à d'autres et n'entre donc pas dans une démarche de valorisation de la production nicaraguayenne.

Le chocolatier Bonnat intéressé

Certaines coopératives optent pour la culture biologique du cacao, peu contraignante techniquement « mais la certification est compliquée car il n'y a pas de tradition de tenue de registres et certains producteurs sont analphabètes », regrette Melba Navarro.
L'accès au commerce équitable est une autre voie de valorisation « qui demande une régularité en quantité et en qualité. Nous n'en sommes pas encore là », tempère Laurent Dietsch. Le prix peut s'élever sur ce marché-là à 4 200$ la tonne, soit près de 30 % de plus que le cours traditionnel. Cette quête de marchés lucratifs entraîne Veco à participer à des salons en Europe. L'ONG a rencontré des chocolatiers réputés comme Bernachon et Bonnat. « Ce dernier nous a pris un sac pour le tester. Il va nous en renvoyer une partie sous forme de chocolat car les producteurs locaux n'imaginent pas ce que l'on peut faire avec leurs fèves »,
souligne Melba Navarro. Conséquence de la bonne tenue des cours, le cacao aiguise l'appétit des groupes privés.
Si certains propriétaires locaux, plus aisés, sont parvenus à étendre leur plantation, des investisseurs internationaux multiplient les projets de plantations, sur de grosses surfaces, faisant courir le risque d'une perte de contrôle des terres par les locaux. Autre revers de médaille, le risque d'introduction de variétés plus productives que qualitatives même si le gouvernement a interdit dernièrement l'implantation d'un hybride de mauvaise qualité. C'est donc un nouveau chapitre de l'histoire du cacao au Nicaragua qui est en train de s'écrire aujourd'hui. Le pays vient d'intégrer l'association mondiale des producteurs de cacao. Il lui reste à rejoindre celle des producteurs de cacao fin pour retrouver son lustre d'antan. 

David Bessenay