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Témoignage

Fromagerie : des solutions pour améliorer ses conditions de travail

Après avoir réorganisé sa manière de travailler et ainsi gagné du temps et du confort, « je ne reviendrais jamais en arrière », confie Patrice Serre, fromager.
Fromagerie : des solutions pour améliorer ses conditions de travail

Patrice Serre est éleveur-fromager en AOP Picodon sur la commune de Gourdon, en Ardèche. Il possède un troupeau de 55 chèvres dont le lait est en grande partie vendu sous forme de tommes fraîches à un affineur (Fromagerie Peytot). Cherchant à s'associer, il compte depuis son installation en 2012 sur l'aide d'un salarié pour lui permettre de tenir la charge de travail au quotidien.

A quelle occasion vous êtes-vous penché sur la problématique du temps de travail ?
Patrice Serre : « Avant le printemps dernier, pour moi, la pénibilité ce n'était pas la priorité : je faisais de grosses journées mais je ne comptais pas mes heures et je me sentais en forme. J'avais alors 70 chèvres en production. En avril 2017, alors que nous étions en cours d'association, la personne avec qui j'envisageais de m'associer a subitement quitté le projet, au moment même où les chèvres mettaient bas et où le pic de travail s'annonçait. Je me suis retrouvé seul à gérer l'exploitation alors que nous avions toujours été deux sur la ferme avec un salarié. A 4 h du matin j'étais sur place, et ce jusqu'à 19 ou 20 h. Seul avec mes enfants, ça devenait ingérable, je ne pouvais pas continuer à ce rythme ! J'ai contacté Florine Woehl, ma conseillère d'élevage, et Sylvie Morge, ma conseillère en fromagerie, pour parer au plus urgent et trouver des solutions pour gagner du temps. »

Que s'est-il passé alors ?
P. S. : « Ma conseillère d'Ardèche conseil élevage m'a aidé à me pencher sur le gain de temps à la traite et m'a demandé mon avis sur un passage au bloc-moule en fromagerie. Moulant à la louche dès le départ, je n'étais pas vraiment emballé par ce changement. J'avais peur de perdre l'authenticité du fromage et sa qualité (fromages plus égouttés avec le bloc moule donc un peu plus "secs"), l'image aussi du geste ancestral du "moulé à la louche". Ma conseillère en fromagerie du Pep caprin m'a elle aussi parlé de cette solution et m'a également conseillé d'investir dans une laveuse en fromagerie. Finalement, de par ces conseils et malgré mes a priori, j'ai décidé d'investir dans des bloc-moules et dans une laveuse.
J'ai aussi pris contact avec la MSA et c'est à cette occasion que j'ai appris l'existence d'un pôle "pénibilité au travail". Ce pôle apporte notamment des aides pour le financement de matériel (destiné à réduire la pénibilité). J'ai fait une demande en avril et suis rapidement passé en commission. Ma demande ayant été acceptée, j'ai commandé mon matériel et, finalement, en juillet tout était installé. »

Quels ont été vos investissements et quel gain de temps réel avez-vous mesuré ?
P. S. : « J'ai acheté 11 bloc moules (un bloc moule = 35 fromages de type picodon), un répartiteur et une laveuse, le tout pour environ 10 000 euros, dont une partie financée par la MSA. Le bloc moule me permet de mouler 35 fromages d'un coup au lieu de remplir un par un les moules à la louche. Il me faut désormais 15 à 20 minutes pour mouler 300 fromages, contre au moins une heure auparavant. Lorsque je moulais le matin, je ne pouvais retourner mes fromages que le soir. Je revenais en fromagerie en fin de journée, je passais encore 1 h 30 à retourner, nettoyer le matériel, les locaux. Maintenant, une heure après moulage, il est possible de retourner mes fromages. A midi, tout est fini, je ne retourne plus en fromagerie avant le lendemain matin.
La laveuse a également été un vrai plus : avant j'utilisais deux lave-linges dans lesquelles je mettais les moules. Seulement le cycle de lavage était long, ce qui représentait quatre machines par jour, avec des résultats pas toujours parfaits. Outre le fait que ce système était très gourmand en eau et en électricité, il fallait relancer de nouveaux cycles de lavage, remettre du produit. La laveuse à moules a quant à elle des cycles de huit minutes. On remplit la machine le matin de produit pour toute la journée, on la programme, elle peut alors faire quinze à vingt cycles de lavage par jour. Et c'est toujours parfaitement propre ! On peut même y mettre directement les bassines de caillé. Et, au lieu de me casser le dos à les nettoyer, je peux pendant ce temps nettoyer mes tables, mon sol, etc. Au final, par jour, je suis passé de 4 h 30 - 5 h de fromagerie à 2 h 30 ! »

Etes-vous satisfait de la démarche que vous avez entreprise ?
P. S. : « Je ne reviendrais jamais en arrière ! Même si l'investissement financier de départ est conséquent, il est vite amorti : payer un salarié pour faire deux heures de plus par jour en fromagerie, rien qu'en une saison c'est plus cher que le coût de l'équipement. D'autant plus que ce matériel dure plusieurs années. En matière de pénibilité, le gain est énorme : mes tendinites ont disparu du fait de l'arrêt du moulage à la louche (geste répétitif). Je n'ai plus mal au dos. Laver ces bacs à caillé plié en deux, la tête à moitié dans la bassine, c'était éprouvant pour le dos. D'autant plus que l'eau de la laveuse est à 85 °C, même avec de bons gants, à la main on ne peut pas monter à ces températures. Là, sur le plan sanitaire, c'est une vraie sécurité. Et pendant que la machine lave mes bassines, j'avance sur d'autres choses en fromagerie ! Avec tout ça, je suis moins fatigué, j'ai retrouvé du temps pour ma vie de famille aussi et c'était vraiment important pour moi. Ça m'a permis de reprendre du souffle. »

Envisagez-vous d'autres améliorations ?
P. S. : « Je me rends compte qu'il y a sûrement d'autres choses à optimiser et que l'on se penche sur la pénibilité une fois qu'on est face au mur. A l'avenir, j'aimerais disposer d'un lieu de stockage plus grand pour mes foins. Ça me permettrait de moins courir après les fournisseurs, les coupes, les espèces. A la récolte, je pourrais définir ce qu'il me faut, tout stocker et être tranquille pour l'année. Finalement, notre temps de travail et la pénibilité, c'est notre quotidien. Et c'est dommage qu'on ne s'accorde jamais un moment pour vraiment y penser. » 

Propos recueillis par Florine Woehl, conseillère en élevage caprin à Ardèche-Drôme conseil élevage

 

Rendez-vous /

Retrouvez d’autres idées et témoignages à l’occasion des journées « Et si on parlait travail », les 9 et 15 novembre à Tournon (07) et La Côte-SaintAndré (38) organisées par Ardèche Drôme Isère Conseil Elevage et la MSA. Ces journées seront articulées autour de la projection d’un film documentaire, suivi d’un débat animé par Josiane Voisin, ergonome. Une large place sera consacrée aux témoignages d’éleveurs lors d’ateliers thématiques.