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Arboriculture

Fruits : les évolutions climatiques au coeur des interrogations

Lors des Rendez-vous de l’arbo, l’association Fruits Plus a mis en avant les enjeux climatiques de demain.
Fruits :  les évolutions climatiques au coeur des interrogations

«Enjeux climatiques : quelles prévisions pour la région ? » a constitué l'un des thèmes des Rendez-vous de l'Arbo, événement organisé par Fruits Plus le 10 décembre à Valence (Drôme). De nombreuses études ont été réalisées pour anticiper ce que serait le monde agricole de demain. A cet égard, Frédéric Levrault, expert « agriculture et changement climatique » pour le réseau des chambres d'agriculture, est intervenu afin de donner des perspectives au monde arboricole. Alors que le climat de la Terre se réchauffe et que l'accroissement de la température est estimée, depuis 1970 en France, à + 4 °C par siècle, la température moyenne annuelle en 2018 était de 14 °C, soit un chiffre inimaginable il y a encore quelques décennies.

Au pavillon des congrès de Valence, sont intervenus lors de l’après-midi consacré aux évolutions climatiques Frédéric Levrault (expert chambres d’agriculture sur le changement climatique), Michel Ribert (Compagnie nationale du Rhône) et Benoît Chauvin-Buthaud (conseiller à la chambre d’agriculture de la Drôme).

L'agriculture de demain « va manquer de froid »

Avec des températures de plus en plus chaudes, la floraison des arbres fruitiers est en avance. Cette précocité de démarrage de végétations entraîne des effets considérables sur les arbres : chute de bourgeons, étalement excessif de floraison et taux de floraison faible, irrégularité de production, croissance modifiée, etc. Pour l'heure, en revanche, il n'a pas été démontré de hausse des phénomènes de gel. Cependant, il faut s'attendre, pour les décennies à venir et dans la vallée du Rhône, à un climat plus chaud à toutes les saisons et à des gelées moindres. « L'agriculture française de demain va manquer de froid », avoue Frédéric Levrault. Le régime des pluies s'annonce également modifié avec des déséquilibres marqués entre les saisons.
Pour trouver des solutions, le réseau des chambres d'agriculture a engagé un déploiement de l'outil ClimA-XXI. Il permet de décrire l'évolution climatique et agroclimatique attendue au cours du XXIe siècle, ceci afin d'analyser l'évolution future de la faisabilité de productions agricoles sous influence du changement climatique projeté.

Quatre enjeux forts pour l'arboriculture

Quatre enjeux forts ont été définis pour l'arboriculture. Tout d'abord, pour pallier les besoins en froid, il s'avère nécessaire de travailler sur l'amélioration variétale, en développant des variétés ayant un besoin en froid moindre. De là, en découle les besoins de s'organiser pour remplacer une production actuelle par une production plus adaptée, par exemple les grenades. Les gelées tardives et les jours « très » chauds (au-delà de 30 °C) sont également à prendre en compte. Enfin, le contexte hydrique et l'évapotranspiration en hausse relancent le sujet de l'augmentation de la consommation de l'eau pour subvenir aux besoins croissants des arbres. Alors que les glaciers alpins devraient perdre 50 % de leur volume de masse d'ici 2050, la question de la ressource en eau doit être prise au sérieux. « En tant que producteurs, vous avez aussi une responsabilité », lance l'expert. Pour s'adapter aux évolutions climatiques, il conseille ainsi à tout un chacun de s'informer et d'analyser les faisabilités de demain. « L'agriculture doit être porteuse de projets, dans le choix des systèmes, dans l'évolution des pratiques... », conclut Frédéric Levrault. 

Amandine Priolet

 

En bref : le Rhône est-il une ressource inépuisable ?

En tant que premier producteur français d’électricité 100 % renouvelable et concessionnaire du fleuve Rhône, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) a trois missions historiques. A savoir, la production d’énergie, le développement de la navigation fluviale et l’irrigation des terres agricoles. Ainsi, pour cette dernière mission, vingt réseaux d’irrigation ont été réalisés sur l’ensemble de la vallée du Rhône entre les années 1960 et 1980. « Divers partenariats ont été instaurés avec le monde agricole et, en particulier, avec les chambres d’agriculture de la Drôme et de l’Ardèche pour travailler sur les sujets d’adaptation au changement climatique et la ressource en eau, explique Michel Ribert, délégué territorial de la CNR. Nous sommes également investis sur la recherche de techniques alternatives aux cultures traditionnelles, à travers l’agrivoltaïsme, les serres photovoltaïques... »
Pour autant, les perspectives quant à la ressource en eau sont alarmantes. « L’épaisseur des manteaux neigeux sur les glaciers alpins est de plus en plus faible, et le glacier du Rhône est lui aussi menacé. Dans les prévisions les plus pessimistes, le débit du Rhône, à horizon 2050-2100, devrait connaître, au moment de l’étiage, des baisses de débit de 30 à 50 % et ce, principalement entre les mois d’avril à octobre, poursuit le délégué. Nous allons devoir concilier les usages de l’eau (terres agricoles, refroidissement des centrales, usage industriel, etc.) et l’économie de la ressource. En tant que témoins et acteurs, nous sommes là pour accompagner le monde agricole dans ses recherches de solutions. » 
A. P.

 

Irrigation / Des solutions existent pour économiser l’eau d’irrigation. Reste à les appliquer sur l’ensemble des vergers de la vallée du Rhône afin d’anticiper les désagréments du changement climatique.

Comment concevoir un verger économe en eau ?

Pour répondre aux inquiétudes de la ressource en eau dans les décennies à venir, Benoît Chauvin-Buthaud, ingénieur conseil spécialisé en arboriculture fruitière, oléiculture, signes officiels de qualité et agriculture de précision à la chambre d’agriculture de la Drôme, a étudié les différents leviers permettant de concevoir un verger économe en eau. Il faut savoir que 70 % de l’eau douce disponible sur Terre sert à l’irrigation agricole. Avec une prévision de 8 milliards de personnes sur la planète d’ici 2025, les surfaces irriguées nécessaires devraient augmenter de 20 % pour faire face au défi alimentaire.
Pour faire des économies d’eau dans un verger, le choix de l’espèce et de la variété (résistante à la sécheresse) a toute son importance, au même titre que l’utilisation de porte-greffe avec un système racinaire adapté aux aléas climatiques.
La protection du feuillage, avec des applications d’argile, de silice, est un moyen de diminuer l’évapotranspiration. Cela passe aussi par la création d’ombrages sur la parcelle, par le biais de panneaux photovoltaïques ou l’agroforesterie. Les hydro-rétenteurs (molécules) sont de plus en plus utilisés dans tous les pays du monde pour conserver l’eau au moment des pluies. A savoir qu’un gramme de cette matière peut retenir 500 fois son poids en eau. Utilisés dans certains pays, les hydro-rétenteurs ne sont pas encore autorisés par l’Anses* sur les cultures alimentaires en France.
Le goutte-à-goutte enterré, solution d’avenir
« L’une des premières solutions pour concevoir un verger économe en eau est le goutte-à-goutte enterré », explique Benoît Chauvin-Buthaud. Ce système permet non seulement de fractionner les apports en eau mais aussi en engrais. Dans une thématique de réduction de la consommation d’eau, le goutte-à-goutte enterré peut faire l’objet de subventions.
Autre point important à prendre en compte, l’apport de matière organique augmente la capacité de stockage d’eau sur le sol.
« Parmi les solutions qui se présentent à nous demain, l’arboriculture de précision aura son rôle à jouer », poursuit l’ingénieur conseil.
L’imagerie agronomique, par satellite ou drone, permettra de faire de la modulation intra-parcellaire afin de doser les apports d’irrigation et d’intrants. « En modulant les apports à l’intérieur de la parcelle, on peut réduire de 10 à 20 % la consommation en eau ».
Réutiliser les eaux usées traitées…
D’autre part, la réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer les cultures est une solution locale pertinente pour économiser et préserver la qualité des eaux. Cette méthode n’a été officiellement autorisée dans l’Hexagone qu’en 2010. Aujourd’hui, avec 19 000 m3 réutilisés par jour, la France se situe très loin derrière l’Italie avec ses 800 000 m3 quotidiens. « En juin dernier, le conseil des ministres européens de l’environnement a validé un projet de règlement visant à favoriser l’utilisation des eaux usées épurées, à des fins d’irrigation agricole. 6,5 milliards de m3 d’eaux usées pourraient ainsi être mis à contribution pour l’irrigation des cultures à l’horizon 2025, soit six fois plus qu’aujourd’hui », annonce Benoît Chauvin-Buthaud. L’ingénieur de la chambre d’agriculture s’est également intéressé au concept tunisien du Dr Bellachheb Chahbani, qui a développé une technologie d’irrigation anticipée. L’objectif consiste à irriguer pendant l’automne et l’hiver durant une à deux semaines, 24 heures sur 24, afin de stocker dans le sol l’eau qui couvrira les besoins de l’arbre pendant l’été et ainsi utiliser le réservoir sol. Enfin, la technique « Partial Root Deficit », par le biais de l’hormone acide abscissique (ABA), joue un rôle de régulateur de la fermeture stomatique et de la croissance végétative lors de la dessication d’une partie du sol autour des racines. « L’irrigation dite déficitaire permet d’augmenter la productivité de l’eau d’une culture donnée par restriction d’un volume d’eau d’irrigation ayant peu d’impact sur le rendement », conclut-il. De nombreuses solutions existent pour valoriser l’économie en eau. Reste désormais à les appliquer sur l’ensemble des vergers de la vallée du Rhône pour anticiper les désagréments du changement climatique. 
Amandine Priolet
* Anses : agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Avec le changement climatique, l’évolution des techniques agronomiques et d’irrigation va constituer un enjeu de premier ordre.