Génétique : créer les variétés fruitières de demain

A la journée technique de la Sefra (station expérimentale fruits Rhône-Alpes), le 27 septembre à Etoile-sur-Rhône, un point a été fait sur l'amélioration génétique. Ce sujet a été traité par Bénédicte Quilot-Turion, directrice de recherche au sein de l'unité génétique et amélioration des fruits et légumes (GAFL) de l'Inra d'Avignon. Son intervention était centrée sur les travaux conduits sur Prunus.
Un challenge
Ces travaux sont conduits en partenariat avec d'autres unités de l'Inra, CEP Innovation (éditeur exclusif mondial des variétés et porte-greffe fruitiers de l'Inra)... et bénéficient d'une collaboration internationale. Ils sont basés sur la recherche de sources de résistance dans les collections conservées par l'Inra. La démarche consiste à essayer d'identifier de nouveaux géniteurs d'intérêt, sources de résistance et de résilience. Il s'agit ensuite d'associer les gènes identifiés pour combiner des facteurs de résistance dont les mécanismes d'action sont différents. « C'est la clé pour augmenter la durabilité des résistances découvertes. » L'étape suivante consiste à tester la durabilité de la résistance en vergers multisites et conditions de faibles intrants phytosanitaires. « Le gros du travail sera de tester l'effet et la durabilité des associations de gènes réalisées. » Et ce, pour obtenir des variétés intéressantes et protéger les gènes identifiés. « C'est ça le challenge », a confié l'intervenante.
Pour le pêcher, les principales cibles sont le monilia sur fruit, les pucerons, l'oïdium, la cloque, la sharka, le xanthomonas. Pour l'abricotier, ce sont le chancre bactérien, le monilia sur fleur, la sharka, la régularité de production. Et pour les porte-greffes, les nématodes, pucerons ainsi que la compatibilité de greffage. « De plus en plus, on se dirige vers des objectifs multi-stress, biotiques et abiotiques. »
Résistance, tolérance
Un certain nombre de pathogènes sont régulés par des gènes majeurs (c'est-à-dire un seul gène ; résistance monogénique), a expliqué Bénédicte Quilot-Turion. C'est le cas du puceron vert du pêcher, de l'oïdium, des nématodes. Les sources de résistance ont été identifiées. Ainsi, des variétés résistantes peuvent être développées par un programme de sélection. A ces gènes majeurs, s'ajoutent des résistances dites « quantitatives », c'est-à-dire partielles (plusieurs gènes sont impliqués ; résistances polygéniques). C'est vrai pour le puceron vert du pêcher, l'oïdium. Des zones de génome ont aussi été identifiées pour la cloque du pêcher, la sharka, le monilia, le xanthomonas. Dans ces cas de multifacteurs venant de parents différents, les résistances partielles doivent être cumulées pour atteindre des niveaux satisfaisants.
Des outils, méthodes et connaissances ont été développés pour essayer de créer les variétés de demain. « Jusqu'à présent, beaucoup de tests de phénotypage en conditions contrôlées ont été faits, a noté Bénédicte Quilot-Turion. On a développé la sélection assistée par marqueurs* et les croisements contrôlés** afin d'associer des traits d'intérêt, des facteurs de résistance. A l'avenir, on se dirigera plus vers la caractérisation de la résilience, la tolérance aux bas intrants. » Et ce, pour assurer la durabilité des résistances et la résilience en vergers bas intrants.
Bioagresseurs : quelques cibles de l'Inra
A la journée technique de la Sefra, Bénédicte Quilot-Turion a « zoomé » sur cinq bioagresseurs faisant l'objet de recherches à l'unité génétique et amélioration des fruits et légumes (GAFL) de l'Inra d'Avignon.
Sharka
Concernant la sharka, depuis plusieurs années, la recherche explore et exploite des sources de résistance naturelle. Sur abricotier, une composante de résistance génétique à cette maladie a été mise en évidence : PPVres. Des variétés qui en sont porteuses ont été caractérisées. Et des marqueurs moléculaires robustes ont été développés pour identifier les variétés portant cette résistance (originaire d'Asie centrale). Ces variétés sont en nombre limité et proviennent toutes de la même origine. La composante PPVres est nécessaire à la résistance à la sharka. Mais, pour s'assurer de la durabilité de la résistance, elle doit être associée à des composantes complémentaires non encore identifiées. Une procédure de caractérisation d'une résistance durable a été développée : Aramis®. Avec, sont testées des variétés candidates à l'entrée dans la gamme Aramis® (résistantes à la sharka). Si PPVres est absent, les individus sont éliminés. S'il est présent, des tests sont réalisés pour s'assurer que la variété cumule d'autres facteurs de résistance. Si c'est le cas, elle obtient la mention Aramis.
Monilia sur fruit
Jusque-là, il n'a pas été identifié de résistance majeure à monilia sur fruit en pêcher. « Une résistance satisfaisante à cette maladie ne sera pas donnée par un seul gène mais par l'association de plusieurs facteurs, a dit Bénédicte Quilot-Turion. Cela dépend certainement beaucoup de la croissance du fruit, qui est liée au climat et aux pratiques culturales. Mais aussi du génotype, qui influe sur la croissance du fruit, sa composition biochimique et la structure de son épiderme. Il y a certainement d'autres facteurs de défense du fruit encore mal connus. » S'ajoute l'inoculum (sous l'influence du climat et des pratiques culturales). « La concordance d'éléments entre la pression de l'inoculum et les caractéristiques du fruit fera que l'infection se développera ou pas. »
Une descendance issue de Prunus davidiana (espèce sauvage proche du pêcher) est actuellement étudiée. Les premières observations montrent que certains individus possèdent des facteurs pouvant avoir un rôle sur monilia. Sont aussi étudiées des descendances intraspécifiques, issues de variétés plutôt résistantes, ainsi qu'une collection brésilienne. Des infections contrôlées en verger et en laboratoire ont été mises au point. Cela, pour suivre l'évolution de l'infection et comparer les variétés. Des travaux sont en cours dans l'unité GAFL de l'Inra d'Avignon.
Puceron vert
Pour Myzus persicae, le puceron vert du pêcher, « les travaux sont plus avancés », a confié l'intervenante. Un phénotypage contrôlé est réalisé : deux pucerons sont déposés sur chaque plante et le développement de colonies est surveillé. Si la variété est sensible, il y a colonisation. Si elle est résistante, il n'y a plus de pucerons. Grâce à ces travaux, des gènes majeurs ont été identifiés chez le pêcher. Mais aussi une molécule toxique pour le puceron (acide dicaféoylquinique) qui pourrait servir de biopesticide. Il y a aussi des résistances polygéniques venant de Prunus davidiana. Sur le génome, sept zones (locus) contrôleraient partiellement la résistance (résistance quantitative). Parmi ces zones, deux avec des effets raisonnablement larges ont été détectés. L'une provoque l'antibiose (perturbation de la biologie du puceron). Pour l'autre, c'est plus une tolérance. « A la suite de ces travaux, on développe des marqueurs pour faire de la sélection assistée, a indiqué Bénédicte Quilot-Turion. L'idée est d'associer des gènes majeurs et des facteurs quantitatifs afin d'avoir une résistance durable. »
Oïdium
Pour l'oïdium, c'est un peu le même schéma. Deux gènes majeurs ont été découverts. Ont aussi été mis en évidence des facteurs de résistance partielle provenant de Prunus davidiana. Des tests en conditions contrôlées sont faits sous tunnel (inoculation par saupoudrage). Les individus résistants sont ensuite mis en verger. « Pour l'oïdium, a résumé l'intervenante, on dispose de gènes majeurs associés à des gènes de résistance partielle. »
Xanthomonas
« La résistance à xanthomonas sur pêcher est une problématique à laquelle on s'attaque dans le cadre d'un projet Casdar*** avec la Sefra et qui s'appuie sur des travaux de collègues américains », a expliqué Bénédicte Quilot-Turion. Ces Américains ont mis en évidence que deux zones du génome contrôlent un pourcentage assez élevé de la réponse à xanthomonas. En présence de certains marqueurs, les attaques sur fruits sont moins importantes. L'objectif du projet est d'essayer d'utiliser ces marqueurs sur des variétés en France. « On ne sait si cela peut fonctionner. Si ces variétés n'ont pas la même origine, les marqueurs ne seront pas utilisables. C'est en cours de test. »
L'idée est de développer un outil d'aide à la décision (marqueurs) pour optimiser le choix variétal dans les zones à risque xanthomonas. La sélection variétale est un autre volet : des croisements ont été réalisés avec du pollen de géniteurs de résistance américains. Des descendants qui en sont issus ont été plantés à la Sefra. A suivre.
Annie Laurie
* Utilisation de marqueurs génétiques permettant de localiser puis de suivre la présence de gènes de résistance en sélection.
** Récupération du pollen de géniteurs intéressants et croisements contrôlés pour essayer d'obtenir des descendances suffisamment grandes afin de pouvoir travailler.
*** Casdar : programme finançant l'appui à l'innovation et au développement agricole et rural.